Analyses

Contre le genre et la race, tout contre

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Résumé

Prenant acte d’une opposition de plus en plus explicite d’un marxisme orthodoxe vis-à-vis des questions de genre et de race – au sens sociologique, (1) je propose une typologie des tensions mutuellement exclusives qui distinguent de fait ces épistémologies ; (2) en m’appuyant sur le concept marxiste de « rapports de production », je montre que l’apparition de classes sociales est un des effets du capitalisme et non « la » cause unique à laquelle seraient subordonnés le genre et la race, lesquels sont à envisager comme des exploitations systémiques ; (3) j’établis un plan d’actions concrètes sur base de ces propositions théoriques.   

Introduction

Note préalable : Je souhaite ici m’interroger publiquement. Ce texte est une image à l’instant « t » de l’état de réflexions en cours. Je prends donc acte de ce qu’il s’agit d’un processus de réflexion, sujet à évolutions. Non que je me renie anticipativement, mais que les positions soit se complexifient, soit mutent sous le joug d’arguments qui s’imposent.

Je précise que si j’écris ce texte, il serait incorrect et injuste de me considérer comme en étant le seul auteur. Je dois énormément aux nombreuses discussions avec Barbara Dupont, du blog « D’où », qui a été à l’origine de mes premières remises en question. C’est avec elle que j’ai commencé, il y a un peu plus de deux ans, à en apprendre plus sur les féminismes et les questions raciales, à lire, à écouter des podcasts, à opérer des rapprochements avec les cadres théoriques qui me portent. Et c’est aussi en échangeant avec elle lors de l’écriture de cet article, puis en tenant compte de ses commentaires sur des versions précédentes, que je peux aujourd’hui en proposer une première formalisation.

Merci également à Fabio Bruschi pour sa relecture experte, riche de commentaires qui auront complété et nourri la proposition théorique que je fais ci-dessous. Merci aussi pour ses suggestions de lectures, toujours pertinentes.

Photo de Yaroslav Shuraev provenant de Pexels

Je vois de plus en plus la gauche radicale anticapitaliste et marxiste s’attaquer frontalement au « féminisme » (voir par exemple Cespedes & Chaigneau, 2021), souvent avec un bien commode singulier, et aux positionnements parfois appelés « identitaires[1] » (LGBTQia+, questions raciales, etc.), comme dans cet article du Monde diplomatique (Beaud & Noiriel, 2021) dont la thèse naviguant entre tautologie et homme de paille est très joliment critiquée ici (Ajari, 2021). Sur les questions raciales notamment, on y vilipende « l’américanisation des polémiques publiques » – comme si le racisme institutionnel, pour n’évoquer que cette oppression, n’était pas d’actualité en France ou en Belgique. Faut-il rappeler les scores du RN et le succès de Zemmour en France ? Les sondages d’opinion mettant le Vlaams Belang et la NV-A en tête en Belgique ?

Il faut dire que l’avalanche de bullshit notamment proféré au nom « du » féminisme n’aide pas à une prise en compte sérieuse, par une gauche marxiste obtuse, des questions de genre et de race. Je vois de nombreuses autrices, se réclamant d’un certain féminisme, défendre des positions ridiculement antiscientifiques (Retta, 2021) ou des magazines féminins comme « Elle » misérablement surfer sur la vague verte de l’écoféminisme lunaire (Fonters, 2021, c’est même pas une blague…) – participant d’ailleurs à l’invisibilisation, hors des cercles spécialisés, du féminisme matérialiste.

Sommes-nous donc irréconciliables ?

La pensée mainstream, dominante, se délecte de ces oppositions entre « radicaux », dans une pure logique de la division qui consolide son règne. La ministre française de l’éducation peut alors instrumentaliser le faux concept de « l’islamogauchisme » (Zappi et al., 2021), tout en faisant pression sur la recherche universitaire…tandis que l’extrême-droite se voit ainsi adoubée mine de rien, ce qui laisse penser que ses figures les plus charismatiques comme Marion Maréchal Le Pen sauront en tirer un profit maximum à moyen terme.

Qu’une partie des réflexions « identitaires » vienne des campus US n’arrange rien à l’affaire. Chez les communistes et apparenté.es, on craint plus que tout – et à raison – « l’influence américaine » mais, ce faisant, on met dans un même sac des champs disciplinaires présentant pourtant de profondes divergences et donc des solidités théoriques et méthodologiques hétérogènes comme les cultural studies, les gender studies et les différents courants féministes, les pensées décoloniale et anticoloniale, les masculinity studies…mais aussi leurs incarnations militantes : l’écriture inclusive, la non-mixité, les quotas de genre et raciaux, etc. Ces dernières incarnations font l’objet de débats vigoureux et très polarisés au sein de la société, alimentant même des volontés de légiférer (comme la proposition de loi de Jolivet sur l’écriture inclusive ou cet amendement pour dissoudre les associations organisant des réunions non mixtes entre personnes racisées).

Ce qu’il faut penser de l’articulation entre les positions, théoriques et militantes, citées plus haut est loin d’être trivial. En filigrane : des façons de comprendre et de se représenter le monde qui sont fondamentales et qui, bien souvent, sont effectivement mutuellement exclusives. Le défi pour les classes progressistes défendant des valeurs d’égalité est de se situer vis-à-vis de ces « curseurs » théoriques s’opposant afin de pouvoir ensuite traduire en actions politiques des positions épistémologiques. Autrement dit : sur quelle base conceptuelle puis-je appuyer mon action ?

C’est dans leur nature de…

Ou l’essentialisme contre la construction sociale

La première et reine de ces contradictions est l’opposition entre essentialisme et construction sociale. L’essentialisme postule que « l’essence précède l’existence ». Typiquement, les tenant.es de cette position considéreront, par exemple, qu’il est « dans la nature des femmes » d’agir d’une certaine façon (parce qu’elles disposent d’un « logiciel inné d’instinct maternel » par exemple ; ne riez pas, certain.es y croient). Celleux qui défendent la construction sociale estiment au contraire que si nous agissons d’une certaine manière, c’est parce que la société nous a conditionné.es à répondre aux stéréotypes, ici, de la masculinité ou de la féminité.

On voit combien ces deux positions sont antagonistes car comme on ne peut agir collectivement que sur les inégalités résultant de construits sociaux et non sur la nature des personnes (voir sur ce point l’excellent Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (Rousseau, 1754, p.21 dans ce lien), ce qui entrera dans la catégorie « construction sociale » est déterminant quant aux moyens à notre disposition pour lutter.

Or, comme les rapports économiques (et, de ce fait, la lutte des classes) ne peuvent être que des construits, certain.es marxistes ont tendance à la considérer comme la source de toutes les oppressions. D’autre part, si l’on pense que les différences biologiques entre « hommes » et « femmes » (pour s’arrêter à la binarité considérée classiquement) ont d’évidentes implications sur les comportements, ça devient bien pratique d’imaginer qu’on ne « peut rien faire » à sa domination en tant que « masculin biologique » (une position d’ailleurs contestée par une chercheuse brillante comme Odile Fillod sur son site Allodoxia).

Notons qu’il y a des courants féministes qui se réclament aussi de l’essentialisme (le propre, par exemple, du « féminin sacré ») mais la plupart, au contraire, rappellent qu’il s’agit de constructions sociales et que, à considération et contexte égal, femmes et hommes développent de semblables qualités intellectuelles, comportementales, etc.

Dire, c’est faire ? Vraiment ?

UNSPECIFIED – CIRCA 1865: Karl Marx (1818-1883), philosopher and German politician. (Photo by Roger Viollet Collection/Getty Images)

Ou l’idéalisme contre le matérialisme

La seconde grande opposition est d’ordre philosophique et est héritée du travail intellectuel de Marx et ses proches critiquant les jeunes hégéliens (Marx & Engels, 1845). Il s’agit ici, en posant les bases du matérialisme historique, de rejeter la posture idéaliste. Pour le dire simplement, l’idéalisme envisage qu’en changeant les idées, les opinions, les façons de voir, on change le réel. Ainsi, pour supprimer le racisme, il suffirait de ne « plus voir les couleurs », en « pensant écologie » on règle le problème du changement climatique, etc. Les théories pseudo-scientifiques comme la psychanalyse, les lois de l’attraction et autres absurdités du développement personnel relèvent toutes de ces catégories. Or, comme le soulignait déjà Marx, « la proclamation des droits égaux n’aboutit pas à leur réalisation pour la majorité de la population » (Marx cité par Pestieau, 2018).

Le matérialisme, au contraire, pose que c’est en changeant le réel, en participant à la transformation sociale effective et matérielle, qu’on modifie les façons de penser. Ainsi, c’est en assurant que les institutions et les personnes cessent leurs pratiques racistes qu’on finira par « ne plus voir les couleurs » – un objectif donc et non un postulat.

On pourrait toutefois y voir une forme d’aporie, parce que pour savoir comment changer le réel, il faut avoir une idée de ce qu’on veut changer et où on veut aller – sans quoi l’épaisse bibliographie de Marx lui-même serait bien peu utile. Malgré tout, critiquer l’idéalisme, c’est reconnaître que ce ne sont pas les représentations qui nous enchaînent mais la traduction matérielle de ces représentations ou, pour le dire dans les mots de Fabio Bruschi : « Au final l’opposition est moins entre idées et réel, mais entre idées capables de devenir des forces réelles et idées qui prétendent changer quelque chose en changeant « simplement » les esprits ».

À ce titre, et peut-être de façon contre-intuitive pour la plupart de mes lecteurices, l’écriture inclusive relève pour moi clairement d’une action de « type matérialiste » : c’est en agissant directement sur les rapports sociaux dans notre façon d’écrire et de parler (c’est-à-dire en agissant sur la superstructure) qu’on change les représentations et, ici, qu’on donne leur place aux femmes et/ou aux gens hors binarité (comme d’ailleurs le disait très justement Mona Gérardin (2021) dans le podcast Fracas). La langue fait advenir, rend possible des imaginaires, participe à rendre naturel, attendu, évident, une présence – ici des femmes – dans la sphère publique. La langue agit sur le réel comme le réel agit sur la langue ; c’est là tout l’intérêt de la fiction, de la poésie…et même de la théorie qui permet de construire des catégories insoupçonnées (comme dans cet article). Ainsi, le langage inclusif reconnaît la matérialité de la langue, comme en fait l’expérience le.la migrant.e qui ne parle pas celle du pays qui (ne) l’accueille (pas) et qui voit les portes (très matérielles) se fermer à cause de ça, comme toute personne ne maîtrisant pas le bon registre de langage se trouve dominé.e sur le marché de l’emploi, du logement, etc.

Ainsi donc, la langue est part intégrante de notre « être social ». Quand Marx (1859) dit que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience », on comprend aisément que la langue est matérielle et que les représentations sont secondes.

Il ne s’agit donc pas du tout de s’arrêter à la sphère des discours et des représentations mais bien de considérer comment une praxis (les différences de salaires entre hommes et femmes, par exemple) se transforme en pensée dominante (« les hommes sont plus compétents ») et comment le contraire (obliger à la parité dans les conseils d’administration, par exemple) se transformera subtilement en évidence (« hommes et femmes sont aussi compétent.es »).

Peu importe les bonnes intentions des oppresseurs, peu importe le discours de tel ou tel grand patron, de tel ou tel « homme woke », les rapports d’exploitation ne peuvent évoluer que par la lutte de terrain, la langue en étant une des scènes mais non la seule. Comme me le partageait Barbara Dupont, « aussi bonnes soient elles, les intentions ne sont que des potentialités [qu’on] brandit comme si elles étaient déjà une forme de changement, d’encouragement dans le bon sens, alors qu’en tant qu’intentions, elles n’ont absolument aucun effet tangible ».

Ou l’universalisme contre le communautarisme

Je poursuis avec l’opposition entre communautarisme et universalisme. Le communautarisme, côté pile, renvoie à une différenciation volontaire de la part de groupes exploités. Le communautarisme est souhaitable parce qu’il permet à ces groupes de s’entraider, construire des réseaux de soutiens, s’organiser dans la lutte, etc. Les fameuses réunions en « non-mixité », entre personnes racisées, poursuivent exactement cet objectif. En les criminalisant par la loi, l’État patriarcal, raciste et capitaliste a très bien compris leur pouvoir subversif et cherche par conséquent à s’en préserver pour assurer la pérennité de ses moyens d’oppression.

Il me semble pourtant que le communautarisme a aussi des écueils : en se concentrant fort légitimement sur la lutte contre sa propre domination (ou contre l’une de ses dominations vécues), chaque groupe dominé prend le risque de s’isoler dans sa lutte, perdant ainsi en masse critique capable de peser dans le rapport de forces. Est-ce à dire qu’il finirait par s’opposer à d’autres groupes par « enfermement identitaire » pour reprendre les termes méprisants de Beaud et Noiriel (2021) cités – et critiqués – plus haut ? Comme dans tout « dilemme du prisonnier », il arrive certes que les intérêts de groupes singuliers s’opposent parfois à l’intérêt collectif. Mais, comme le propose Fabio Bruschi dans un échange personnel, si « les idées dominantes sont les idées de la classe dominante » (Marx & Engels, 1845), cela veut dire que les représentations dominantes de l’intérêt général sont en effet des sublimations de l’intérêt particulier des groupes dominants. Or, en permettant d’approfondir l’intérêt particulier de certains groupes dominés, le « communautarisme » peut avoir pour conséquence de critiquer et transformer les représentations mêmes de l’intérêt général, en les rendant plus proches d’une réelle universalité.

Et justement, l’universalisme, côté face, reconnaît une commune appartenance à l’ensemble du genre humain, laquelle appartenance doit permettre des textes aussi englobants que la déclaration universelle des droits de l’homme, visant de ce fait l’égalité entre toustes. La première internationale de l’OIT en serait une autre incarnation, parce qu’elle considère que seuls les mouvements de masse, transcendant les frontières, sont à même de peser dans le rapport de force contre les capitalistes. À noter que, d’une certaine façon, cet internationalisme est aussi un communautarisme puisqu’il ne rassemble que les « personnes concernées », à savoir les ouvrier.es. Au contraire, l’universalisme qui voudrait mettre, a priori, un signe d’égalité entre toustes, favorise de facto les dominant.es parce que, précisément, le monde est profondément inégalitaire. Cela reviendrait à dire que 2 = 1. Comme on l’a dit plus haut : désigner une réalité par des mots ne la fait pas magiquement exister dans les faits. On ne « décrète » pas l’égalité, on lutte pour l’obtenir.

Paradoxalement, il faut bien souvent du communautarisme pour atteindre l’universalisme – et c’est bien cette temporalité particulière que semblent régulièrement oublier les « marxistes orthodoxes ». Entre elleux, les dominé.es peuvent s’émanciper des puissant.es pour ensuite espérer jouer jeu égal et viser « l’universel », de la même façon qu’on vous dit de mettre d’abord votre masque d’oxygène dans l’avion avant d’aider votre enfant à enfiler le sien… A contrario, la critique du « communautarisme » revient souvent à un communautarisme de fait, entre hommes riches et blancs, comme le montre très bien « D’où » dans ce texte fondamental (Dupont, 2021).

Ainsi, l’universalisme comme fin, oui, trois fois oui, mais le souhaiter comme objectif n’implique pas de faire semblant qu’il serait un déjà-là qui opportunément occulte les rapports d’exploitation. C’est tout le problème des antiracistes qui « ne voient pas les couleurs », ou les adorateurs d’un « féminisme qui est avant tout un humanisme » : ces phrases masquent mal que la classe des blancs systémiquement opprime les personnes racisées et que la classe des hommes systémiquement opprime la classe des femmes (pour prendre ces seuls exemples). Le danger est à nouveau réel de prendre la finalité pour un postulat.

Une objective subjectivité

Ou l’objectivisme sociologique contre le point de vue situé

Comme toujours dans les débats épistémologiques, la connaissance des faits sociaux oppose généralement deux camps : une posture réaliste qui considère que les faits sociaux existent indépendamment de leur observateurice et une posture subjectiviste qui estime qu’on ne peut les dissocier de qui les observe.

Il y a pourtant ici un espace d’entente possible entre les marxistes et les « identitaires ». Les chercheuses et chercheurs parmi les féministes et les antiracistes marxistes ne s’y sont d’ailleurs pas trompé. Pourquoi ? Parce que l’école de Francfort, d’inspiration marxiste, a mis en évidence avec Horkheimer (1974 [1937]) la théorie critique, laquelle pose que la connaissance n’est pas extérieure à la réalité, qu’elle se doit d’être transformatrice et de tenir compte de cellui qui pense ainsi que des intérêts qu’iel poursuit. Dans le camp d’en face, on retrouve l’approche durkheimienne consistant à « traiter les faits sociaux comme des choses » (Pinto, 2021). Dans ce cas, les outils méthodologiques de la sociologie « suffiraient » à garantir la distance neutre d’avec son objet de recherche : la « société est extérieure à ce qui se passe dans nos esprits singuliers » (Pinto, 2021).

Pourquoi ce débat apparemment très théorique est-il important ? Parce qu’il dit quelque chose de qui est légitime dans la prise de parole, dans la production de connaissances, dans la prise de décision – notamment lorsqu’il est question d’exploitation. Des débats qui ont des conséquences très concrètes, par exemple sur les plateaux télés (des hommes blancs, comme Zemmour, ne sont pas légitimes pour parler de l’oppression vécue par les femmes noires), mais aussi lorsqu’il s’agit de penser qui fait les lois, qui rédige les manuels scolaires, etc.

Les personnes dominées se caractérisent notamment par leur relative absence des lieux décisionnels des « appareils idéologiques d’État » (médias, école, politique, église – au sens d’Althusser (1970)). Par conséquent, si on peut démontrer qu’on ne tient pas compte d’elleux en leur absence, ni d’un point de vue théorique, ni d’un point de vue politique fondé sur ces théories (ne fut-ce que parce que les phénomènes de dominations raciale et patriarcale persistent), alors il faudra considérer que « l’objectivisme sociologique » est une imposture et que tout est organisé pour reproduire en l’état les dominations dont nous sommes témoins. Et avec la possibilité de conclure que la parole des non-concerné.es est tout simplement incapable de rendre compte fidèlement des situations d’oppression.

C’est à Donna Haraway (Haraway, 2007 [1991]), à la suite de Sandra Harding, que l’on doit la radicalisation de la prise en compte du sujet connaissant au service de la construction d’une objectivité sociologique. Son concept de « savoirs situés » (voir le chapitre éponyme dans son livre Cyborg manifesto) est une critique explicite de l’objectivisme qui, mettant à distance les faits sociaux, invisibilise les auteurices, leur permettant ainsi de ne pas être redevables. On « oublie » alors que les chercheur.es sont celleux qui répondent aux questions, mais surtout qui décident de celles qu’il faut poser. Or, par définition, on ne peut poser une question…qu’on ne se pose pas ! Le risque est énorme de ne pas voir ses propres biais. Et c’est ainsi qu’un penseur aussi essentiel que Karl Marx n’aurait pas vu le travail gratuit – donc le travail volé – des femmes dans la sphère domestique…

File:Donna Haraway and Cayenne.jpg. (2021, May 13). Wikimedia Commons, the free media repository. Retrieved 17:59, June 16, 2021 from https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Donna_Haraway_and_Cayenne.jpg&oldid=560004694.

Au contraire, un « point de vue situé » précisément produit, selon Haraway (1991), de l’objectivité. Le point de vue situé responsabilise. Il ne prétend pas dire au-delà de ce qu’il permet, par l’expérience, de connaître. Cette posture est modeste, elle ne prétend à aucune « transcendance ». L’idée est avant tout de « faire confiance au point de vue des assujettis » (p.118), d’autant que ces dernier.es, parce qu’iels font quotidiennement l’expérience d’être réduit.es au silence, sont « moins susceptibles d’autoriser le déni » (p.119) accompagnant la production de savoir. Ainsi, une chercheure faisant une étude sur les violences des hommes au sein du foyer posera d’autres questions, trouvera d’autres chemins pour faire émerger la parole, interprétera autrement les silences, etc. Son « point de vue situé », loin d’être un handicap, devient un véritable atout pour sa recherche – tandis qu’on observe au contraire une « crispation » vis-à-vis de la libération de la parole des femmes victimes, bien trop souvent jugées coupables a priori (de mensonge, d’exagération, de provocation, etc.). On voit combien le fossé est grand.

Toutefois, le « point de vue situé » pose d’autres problèmes. Le danger est « d’idéaliser et/ou de s’approprier la vision des moins puissant.es alors qu’on revendique de voir à partir de leur position » (p.119). Tous les hommes se déclarant « féministes » ou « alliés » profitent de leur maîtrise des codes, des théories, des pratiques militantes féministes, mais certains de surcroît utilisent cette maîtrise pour gagner encore en pouvoir. On comprend alors l’importance de « l’expérience encorporée », au sens d’Haraway (1991). Il ne s’agit pas seulement de voir « avec les yeux de », mais de vivre, dans sa chair, « l’expérience de ». Or, on ne s’invente pas noir.e, femme[2] ou ouvrier.e. En miroir – et ça continue de se compliquer, il ne « suffit » pas d’avoir l’expérience de la domination pour être capable de produire du savoir sur cette domination : « Nous ne sommes pas directement présents à nous-mêmes » (1991, p.121). Les outils méthodologiques de la production de savoir demeurent, pour moi, essentiels.

Que penser de tout ça ? Je vois une filiation entre le « point de vue situé » d’Haraway et le concept de « savoir local » de l’anthropologue culturel Clifford Geertz (2012), lequel considère (1) qu’il faudrait cesser de vouloir être prédictif car, après tout, si chaque situation est singulière, rien ne permet d’élaborer une théorie générale ; (2) qu’il faut prioritairement s’intéresser aux représentations des acteurs sociaux, au sens qu’iels donnent à leur vécu. J’y vois par conséquent aussi la plus grande faiblesse : le risque de nier les structures. En évacuant les structures au profit d’un réseau de vécus singuliers, ces auteurices font courir le risque de manquer les mécanismes généralisant[3], ce par quoi un fait est décrit, par la sociologie, comme étant « social ». Or, comme le disait Durkheim (1919), un fait social est un phénomène « suffisamment fréquent dans une société pour être dit régulier et suffisamment étendu pour être qualifié de collectif ; c’est-à-dire qui est au-dessus des consciences individuelles et qui les contraint par sa préséance ». Le rôle de ces sociologues sera donc de partir des « points de vue situés », certes irréductibles à leurs similarités, mais admettant que ces dernières pourtant autorisent la montée en généralité en cristallisant par l’exemple l’effet des structures. On ne peut mener presque huit milliards de batailles individuelles (contre qui ?).

En résumé, il me semble que le point de vue situé permet une richesse interprétative et une honnêteté dont ne peuvent se targuer les tenant.es de l’objectivité sociologique si et seulement si ce point de vue situé s’accompagne d’une rigoureuse méthodologie. Quant aux sociologues « détaché.es » de leurs objets, je voudrais leur demander combien de fois leur « objectivité » n’a-t-elle pas été l’argument parfait pour ne pas avoir à écouter les personnes concernées et, par conséquent, pour ne pas avoir à remettre en cause leurs propres privilèges ? La question, finalement, serait donc moins de savoir s’il est possible de rendre compte d’une réalité de domination sans la subir elle-même, mais de se demander si celleux qui prétendent le faire le font vraiment dès l’instant où rendre cette description fidèle, c’est potentiellement se mettre soi-même en difficulté.

Les roux sont-ils dominés de façon systémique ?

Ou le concept de « discrimination » contre celui « d’exploitation »

Dans la section précédente, j’ai amorcé une distinction entre phénomènes de domination et phénomènes de domination systémique. D’une certaine façon, toutes les dominations ne seraient pas de même nature. Qu’y a-t-il de commun et qu’est-ce qui diffère entre les discriminations vécues par les personnes racisées, les personnes handicapées, les femmes, les travailleureuses du sexe, les roux.sses, les enfants, les ouvrier.es, les personnes trans, etc. ?

Le marxisme considère que les inégalités (et la domination qui en découle) naissent de la lutte dans les rapports de production. Comme c’est bien le mode de production capitaliste qui régit nos sociétés, en finir avec ce dernier permettrait, par effet domino, de résoudre ces inégalités. C’est dans cet esprit que Mao dédiait le chapitre XXXI de son Petit Livre rouge aux femmes (1964, p.101) et que la Russie soviétique espérait rebattre les cartes de la famille patriarcale. Le féminisme matérialiste, qui a également construit sur l’héritage marxiste, reconnaît bien sûr un caractère systémique au patriarcat et en interrogeant le travail domestique, ce sont encore les rapports de production qui sont interrogés.

À ce stade, plusieurs questions. Une domination systémique indépendante des rapports de production est-elle envisageable ? Un phénomène de domination peut-il être « plus ou moins systémique », comme s’il s’inscrivait dans un continuum allant de la domination d’un.e seul.e à celle de l’ensemble d’une classe ? Ou faut-il comprendre la notion de système comme exclusive : une domination est systémique, ou ne l’est pas – comme les classes sociales au sens de Marx ?

Une approche quantitative des dominations, comme dans cette définition québécoise du racisme systémique (p.6), renvoie à l’idée de continuum : au plus la domination est étendue, se retrouve en plusieurs lieux de la société, au plus elle tend à être systémique – là où elle le serait devenue effectivement si elle touchait l’ensemble de la société. Le problème de cette perspective « totalisante », c’est qu’elle ne permet pas de rendre compte des exceptions : quelques femmes sont effectivement au pouvoir, certaines personnes racisées n’ont sans doute effectivement pas l’impression de subir du racisme. D’autre part, cette perspective n’articule pas dominants et dominé.es, comme si les discriminations s’apparentaient à une maladie pouvant venir et disparaître, sans cause apparente.

Une approche qualitative consiste plutôt à interroger la relation qui unit dominant.es et dominé.es au regard de l’oppression visée, l’une faisant exister l’autre et les liant par un rapport de causalité[4]. Par exemple, la classe bourgeoise tire son existence de l’exploitation d’une classe prolétaire, qui n’a que sa force de travail. Supprimez le rapport d’exploitation, supprimez la domination, et vous supprimerez de fait l’accumulation de profit et, par suite, la bourgeoisie. Exploiteureuses et exploité.es s’en trouvent changé.es.

Depuis l’esclavage jusque l’emploi de sans-papiers sous-payés, du personnel d’entretien des villes et des entreprises, d’ouvriers racisés dans le secteur de la construction ou de femmes racisées dans le travail de care, etc., le racisme considéré comme étant un système fait voir là encore qu’une classe blanche exploite les personnes racisées, au meilleur profit de la bourgeoisie. Remplacez « Irlandais » par « immigré ou racisé » dans le texte de Marx et Engels (1843-1850) ci-dessous et voyez comme c’est éclairant : « L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. » Ainsi, la domination n’est pas seulement domination, elle est exploitation.

Photo de RODNAE Productions provenant de Pexels

De la même façon, le patriarcat relègue les femmes dans la sphère du travail domestique « privé » ou du travail domestique « marchandisé » dans des conditions salariales et de travail minables. Ceci a des conséquences énormes sur les possibilités de valorisation du capital puisqu’une partie des coûts de la reproduction de la force de travail ne sont pas assumés sous la forme du salaire. Ainsi encore, la domination n’est pas seulement domination, elle est exploitation.

Dans ce cas, le statut des exceptions change puisque le propre d’un système, c’est de ne pas en admettre (vivre hors-système est impossible). Le matérialisme dialectique fait voir que les exceptions ne sont qu’apparentes : on ne s’extrait pas des rapports d’exploitation. Par exemple, une femme au pouvoir a bien dû être « acceptée » par le patriarcat mais demeure dominée en tant que femme partout ailleurs, et probablement aussi dans l’exercice de son pouvoir. Ces cas particuliers peuvent d’ailleurs être vus comme renforçant les systèmes qu’ils paraissent contredire, en servant notamment de caution : « Regarde, elle y est bien arrivée, elle! » Focalisant sur les cas particuliers, on passe d’ailleurs sous silence les rapports de proportion (Wathelet & Dupont, 2020) qui sont caractéristiques des faits sociaux (selon la définition vue plus haut). La chose paraît entendue en ce qui concerne les trois grandes dominations que sont la classe, le genre et la race : elles appartiennent toutes trois à des systèmes d’exploitation.

Qu’en est-il des autres discriminations ? Tout d’abord, j’insiste sur le fait que le caractère non systémique d’une discrimination ne la rend pas moins grave pour qui en est victime. Il s’agit essentiellement de dire que distinguer discriminations systémiques et non systémiques a pour avantage principal d’informer sur les moyens de lutte : par exemple, on ne changera pas les rapports de production en ne faisant que de la « sensibilisation » ; cependant, un travail de sensibilisation peut profondément augmenter le niveau de connaissance et d’acceptation de groupes discriminés. Loin de considérer que tout va bien sur ce point, il semble que l’homosexualité est, par exemple, beaucoup plus acceptée en France et en Belgique aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a vingt ans, ce qui se traduit notamment dans la loi. Il n’est pas irrationnel d’espérer semblable évolution concernant la liste des nombreuses discriminations évoquées plus haut, dont la rousseur ! Ce n’est pas dans l’objectif de cet article de décider une fois pour toutes du caractère systémique ou non de telle ou telle forme de domination. Je m’efforce plus modestement de proposer que le caractère systémique des dominations est à trouver dans leur ancrage dans les rapports de production.

Comme le pointaient déjà Marx et Engels à propos de la détestation des ouvriers anglais pour les ouvriers irlandais, il existe non seulement des rapports de forces entre oppresseurs et opprimé.es (bourgeois.es VS prolétaires, blanc.hes VS noir.es, etc.) mais aussi entre les opprimé.es (hommes pauvres VS femmes riches, femmes blanches VS femmes noires, etc.). L’appartenance à l’une ou l’autre de ces catégories implique de se trouver à des « intersections » (Crenshaw, 2015 [1991]), parfois contradictoires, entre plusieurs oppressions systémiques ou non et souvent cumulatives. Ainsi, un homme noir violent fait subir à sa femme noire le cruel choix, si elle porte plainte, d’augmenter les stéréotypes raciaux et, si elle se tait, de continuer à souffrir de la domination masculine ; une femme noire riche se voit reprocher sa richesse et se voit refuser sa souffrance liée au racisme – comme l’illustraient récemment les commentaires subis par Meghan Markle à la suite de son passage chez Oprah Winfrey, etc.

L’intersectionnalité en tant que concept fait en revanche courir le risque de réduire à des singularités chaque situation d’oppression, au même titre que ne le faisait la théorie du point de vue situé : en cherchant à chaque fois le « carrefour spécifique des dominations », on serait tenté d’y trouver une réponse ad hoc qui de facto empêche de voir les systèmes et leurs dépendances dans leur entièreté. Ainsi, l’efficacité de l’intersectionnalité comme outil dans la praxis militante (par exemple pour répondre concrètement à des difficultés du type : comment tenir compte de la place particulière et protéger une femme sans-papier dans une manifestation ?) pourrait ne pas trouver son miroir en tant que concept sociologique généralisant – ce pour quoi du reste l’intersectionnalité n’a pas été conçue.  

Que faire ?

Il me semble que la critique marxiste des questions identitaires, dans son « réductionnisme de classe » (Ajari, 2021), peut confondre « classe » et « rapports de production », alors que la première notion n’est jamais qu’une conséquence de la seconde.

Sans rapport de production « capitaliste », il n’y aurait tout simplement pas une bourgeoisie d’un côté et une classe prolétaire de l’autre (une société non capitaliste n’implique pas, non plus, des rapports de production égalitaire – il n’y avait pas de « bourgeoisie » en tant que telle dans un mode de production comme le servage, et les femmes y étaient tout aussi dominées). Et donc, faire de la classe sociale la mère de toutes les inégalités systémiques supposerait de subordonner les luttes féministes et raciales à ces questions d’appartenance de classe. Ce qui n’a pas de sens sur le terrain : même chez les plus dominé.es des ouvriers, une femme sera toujours plus dominée encore que son mari, comme l’exprime très bien le slogan féministe : « Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » Une telle subordination implique de facto un morcellement des luttes – comme le craignent par ailleurs les communistes.

Si, au contraire, l’on considère que classe, genre et race participent tous trois à l’exploitation au sein et à cause d’un certain rapport de production, on peut alors mettre en place des mécanismes de soutien, de partages, de collaborations dans les luttes, sans « parler à la place de », et en tenant compte des intersections particulières dans lesquelles se trouvent les personnes concernées.

Que le mode de production capitaliste ait trouvé dans le racisme et dans la domination masculine (qui le précède) des possibilités d’expression de sa propre nécessité relève sans doute de la contingence. Il aurait très bien pu s’accommoder d’autres discriminations qu’il aurait transformées en exploitation, mais le fait concret, matériel, est là – pour des raisons d’opportunités historiques sans doute : les dominations raciale et patriarcale le renforcent. Pour reprendre les termes de Félix Boggio Ewanjé-Épée : « Ce qui est né de façon contingente va non seulement devenir structurel mais ne peut que se renforcer si on laisse faire le marché libre […] » (à lire dans l’ouvrage de Lordon, 2021). Et qu’est-ce que le « marché libre » sinon, précisément, le rapport de production énoncé plus haut ?

D’ailleurs, il semble que l’impérialisme soit le quatrième rapport d’exploitation systémique régulièrement oublié par la fameuse triade « classe, genre, race ». Lénine (1916) a très bien montré comment les guerres étaient conséquentes du mode de production capitaliste et, ce faisant, on voit également très bien l’articulation entre des capitalistes pour qui rien ne se perd : non contents de leur seule prédation en Afrique, ils exploitent la misère ainsi créée dans les mines puis par les effets conjoints du racisme et de l’immigration s’emploient à achever leur œuvre de destruction (et ce n’est qu’un parmi de multiples exemples).

Bien, mais qu’est-ce que cela signifie ? Que si, par magie ou par révolution (!), les rapports de production venaient subitement à changer, nous assisterions à l’avènement d’une société sans classes, sans sexisme et sans racisme – voire sans guerres ?

Certes non.  

D’abord, comme dit précédemment, il n’est pas dit qu’une société hors capitalisme ne reproduirait pas d’autres formes d’inégalités systémiques basées sur les rapports de production, comme dans une société esclavagiste par exemple. Il n’est donc pas dit que cette société serait sans classe. Et il en va de même pour le genre et la race. Mais si les rapports de production devenaient effectivement égalitaires, alors les conséquences sur la classe, le genre et la race changeraient eux aussi de nature. Loin de penser que ces catégories dominées disparaitraient sans laisser de trace, il apparaît qu’elles « glisseraient » vers la catégorie des discriminations non systémiques et que l’évolution des mentalités, grâce à la sensibilisation, l’éducation, etc. pourrait, à mesure, les éliminer.

En ce qui me concerne, je présente ci-dessous les positions que je tiens aujourd’hui. Ces positions sont indissociables de ma place dominante au sein des rapports de production (si je ne suis pas propriétaire de mes moyens de production, je suis en tout cas un homme blanc) et de ma domination vis-à-vis des discriminations non systémiques : je suis titulaire d’un doctorat, je suis hétérosexuel, je dispose d’un réseau social conséquent, j’ai un salaire confortable, j’ai une famille aimante, je ne souffre pas de troubles mentaux ni de handicaps physiques, etc. J’ai d’ailleurs peu de responsabilité personnelle dans un « confort de vie » que je dois essentiellement au hasard de ma naissance.

En revanche, je nourris l’intention (et on a vu plus haut que l’intention seule est bien peu…) (1) d’œuvrer activement à la réduction de mes propres privilèges en ce qui concerne les différents « marchés des discriminations non systémiques » et (2) de lutter activement contre les rapports de production capitalistes qui produisent inévitablement une société honteusement inégalitaire.

Ainsi donc :

1) Je m’oppose fermement à une radicalité de gauche qui minimise les oppressions raciale et patriarcale, en ce que ces dernières, par leur caractère systémique, alimentent directement l’exploitation dans les rapports de production.

2) Tout en reconnaissant leur nature différente, je m’associe aux luttes contre toutes les formes de discriminations non systémiques qui produisent quotidiennement une terrible souffrance. Á ma mesure, en tant que président d’un master en éducation aux médias, je suis régulièrement amené à travailler sur ces questions. Par exemple, comment lutter contre les discriminations liées à l’usage des réseaux sociaux, comme le revenge porn ou le cyberharcèlement ? Comment adresser la médiatisation du rapport au corps ? Etc.

3) Je dénonce les organisations ou personnes financées et instrumentalisées par le capitalisme. Quand je vois que Soros finance le féminisme, je ne peux m’empêcher de penser qu’il instrumentalise une cause qui lui serait éminemment dommageable si son caractère systémique, articulé donc aux rapports de production, était reconnu.

4) « Le » féminisme n’existe pas. Il y a autant de féminismes que de perspectives « de gauche ». Rien n’est plus éloigné, par exemple, du féminisme matérialiste de Monique Wittig ou Colette Guillaumin que l’idée, disons, d’un « féminin sacré », non-scientifique, – de la même façon qu’il n’y a pas grand-chose de commun entre mon blog du radis et le réformisme des partis « dits » socialistes. Il faudrait donc que la gauche radicale, révolutionnaire, cesse de moquer des théories et des luttes que vraisemblablement elle ne connaît pas et qu’elle se mette à lire (et je parle pour moi également) Donna Haraway, Sandra Harding, Gail Pheterson, Jules Falquet, Silvia Federici, etc.

5) Je pense que les conditions sociales des individus déterminent leur être social. Je défends donc un matérialisme de construction sociale qui refuse d’enfermer les personnes dans une « essence » qui ne trouve aucune confirmation scientifique. Je défends l’opportunité des groupes opprimés à se rassembler entre eux, je pense que nous devons même les y aider, et je défends l’idée que les expert.es concerné.es par des oppressions seront toujours plus convaincant.es que des expert.es tout court. Enfin, j’appelle à ce que les groupes opprimés puissent s’accorder sur l’édification, ensemble, d’une société dont les rapports de production soient égalitaires.

6) Avec Lénine (1902, p.92), je pense fondamental de travailler sur le plan théorique et de s’organiser sur le plan pratique : l’assaut « est l’attaque d’une troupe permanente et non l’explosion spontanée d’une foule. Précisément parce que la foule peut broyer et refouler la troupe permanente, il faut absolument que notre travail d’“organisation” rigoureusement systématique dans la troupe permanente “marche aussi vite” que l’élan spontané […] ». Ainsi, il nous faut prévoir « des moments de luttes collectives, de luttes de masse » et « réclamer la concentration de tous les efforts en vue de rassembler, d’organiser et de mobiliser une troupe permanente » (Lénine, 1902, p.92). C’est ce dernier point qui ressemble le plus à une « convergence des luttes » ;

7) Enfin, je pense que nous ne pouvons être complaisant.es entre nous mais que nous n’avons pas non plus la marge de nous nuire mutuellement, et certainement pas en public. Notre exigence ne peut être sélective et ne concerner que les adversaires politiques. En miroir, nous devons rester conscient.es de ce que nous sommes toujours déjà dans des processus d’apprentissage, qu’il nous faut accompagner les jeunes militant.es, les guider et non les juger. Nous sommes chacun.e disciple d’un.e autre.


Encore un immense merci à mes tipeurices : smart684, guillaume jeremia, Jean-Marc, Martial Toniotti, Inês.
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Références

Ajari, N. (2021). Impasses du réductionnisme de classe. Sur un texte de Beaud et Noiriel. Blogs de Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/norman-ajari/blog/040121/impasses-du-reductionnisme-de-classe-sur-un-texte-de-beaud-et-noiriel

Althusser, L. (1970). Idéologie et appareils idéologiques d’État. (Notes pour une recherche). In Positions (pp. 67–125). Les Éditions sociales.

Beaud, S., & Noiriel, G. (2021). Impasses des politiques identitaires. Le Monde Diplomatique, 3. https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/BEAUD/62661

Cespedes, V., & Chaigneau, L. (2021). POSTMODERNISME & INTERSECTIONNALITÉ = Anticommunisme de gauche. https://www.youtube.com/watch?v=8bdc1eaC0ZI&ab_channel=LoïcChaigneau-IHT

Crenshaw, K. (2015). On Intersectionality: The Essential Writings of Kimberle Crenshaw. New Press.

Dupont, B. (2021). D’où c’est toujours les mêmes qui décident? D’où. https://doulapage.com/2021/03/27/dou-cest-toujours-les-memes-qui-decident/

Durkheim, E. (1919). Les règles de la méthode sociologique.

Fonters, A. (2021). “ELLE” S’ENGAGE POUR L’ËCOFËMINISME. Elle. https://articles.cafeyn.co/5d873e/elle/2021-05-28/elle-sengage-pour-lecofeminisme

Geertz, C. (2012). Savoir local, savoir global: les lieux du savoir. Presses universitaires de France.

Gérardin-Laverge, M. (2021). Quand les luttes féministes s’emparent du langage. Fracas. https://open.spotify.com/episode/2uD1NGcIE6JnEX1zuqABR9?si=8f8VRS6CSGadbuFDLX11Tg&utm_source=whatsapp&nd=1

Haraway, D. (2007). Le manifeste cyborg et autres essais. Exils Editeur.

Horkheimer, M. (1974). Théorie traditionnelle et théorie critique. Gallimard.

Lénine, V. I. (1902). Que faire?

Lénine, V. I. (1916). L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.

Lordon, F. (2021). Figures du communisme. La Fabrique.

Marx, K. (1859). Critique de l’économie politique. https://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm

Marx, K., & Engels, F. (n.d.). Vers la guerre et la commune. In Le parti de classe.

Marx, K., & Engels, F. (1845). L’idéologie allemande.

Pestieau, D. (2018). Marx, luttes de classes et antiracisme. Lava. https://lavamedia.be/fr/marx-luttes-de-classes-et-antiracisme/#easy-footnote-5-9360

Pinto, L. (2021). SOCIOLOGIE – La démarche sociologique ». In Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/sociologie-la-demarche-sociologique/

Retta, M. (2021). The Astrological Is Political. The Nation. https://www.thenation.com/article/culture/alice-sparkly-kat-interview/

Rousseau, J.-J. (1754). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Les échos du maquis. https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-sur-linégalité-1754.pdf

Wathelet, E., & Dupont, B. (2020). Approches des terrains sociaux et culturels.

Zappi, S., Darame, M., Faye, O., & Le Nevé, S. (2021). « Islamo-gauchisme » : Frédérique Vidal suscite un tollé dans le monde universitaire et un malaise au sein de la majorité. Le Monde2. https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/18/polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-de-l-enseignement-superieur-recadree-par-l-executif-et-les-chercheurs_6070388_823448.html

Zédong, M. (1964). Le petit livre rouge : Citations du Président Mao Zédong.


[1] À ne pas confondre avec les « identitaires » au sens de « nationalistes », qu’on associe plutôt aux mouvements d’extrême-droite.

[2] Les femmes trans ne « s’inventent pas femmes » ; leur expérience de femme est au contraire si « encorporée » que la tension entre leur genre assigné à la naissance et le genre dont elles ont l’expérience est intenable.

[3] Je ne voudrais toutefois pas faire un « sophisme de l’épouvantail ». Haraway n’est pas aussi explicite que ce que je ne le laisse ici entendre quant au caractère non systémique de sa perspective, mais on peut malgré tout lire un tel tropisme dans ses positions épistémologiques (elle oppose par exemple « théorie maître » et « récits en réseau »).

[4] Notons que, pour les marxistes, ce rapport de causalité touchera nécessairement aux rapports de production.

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Zététique sur Youtube, douter de tout sauf de soi-même

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[EDIT] 14 avril 2019 – voir aussi, plus bas, l'[EDIT] du 22/10/2019. Suite à la publication de l’article qui suit et une invitation aux Youtubers mis en cause à s’exprimer sur ma page Facebook, seul un Monde Riant a répondu par ces mots :

« Si j’avais pas 15 minutes à perdre, je devrais m’arrêter ici :
« La méthode scientifique deviendrait alors la mesure de toute connaissance », vu que cette phrase est déjà erronée et qu’il me semble que si certains d’entre nous la prétendent, on doit pas être beaucoup (et en vrai, j’ai jamais vu personne prétendre ça).
J’me suis arrêté pour de vrai à « arrogance autosatisfaite » à 3.23. »

Passons sur le fait que le travail de ce Youtuber consiste précisément à « perdre 15 minutes » sur des sujets avec lesquels il n’est pas d’accord et qu’il tente de déconstruire. Il devrait s’en donner à cœur joie ici aussi mais, apparemment, il est moins disposé à s’attaquer aux questions de fond qu’il évacue directement en me reprochant de souligner [son] « arrogance autosatisfaite ». Ce qu’il ne dit pas, c’est que je ne suis pas le premier à dénoncer leur posture arrogante, et certains l’expriment particulièrement bien, comme dans cette vidéo de Charles Robin : « Vous avez dit esprit critique? » Et dans cette vidéo, l’auteur lui aussi formule le reproche d’une méthode scientifique qui devrait être l’ultime outil pour atteindre la connaissance…

Enfin, dans sa dernière vidéo, Mr. Sam – que j’ai également mis en cause dans l’article qui suit mais qui n’a pas réagi – annonce justement (un heureux hasard?) qu’il arrête un de ses formats courts en vidéo, pourtant très populaire. Parmi les raisons invoquées : le niveau de qualité qui, avec le peu de temps à sa disposition, est pour lui insuffisant. Il souligne explicitement les trop nombreuses erreurs mais aussi le mépris qu’il emploie parfois dans le ton! Bien qu’étonné par une telle annonce, je dois dire que c’est extrêmement courageux de sa part et il faut saluer l’humilité, preuve s’il en faut d’intelligence, d’une telle décision et de telles précisions. Si d’aventure Mr. Sam devait lire ces lignes, qu’il n’hésite pas à me contacter par mail pour parler ensemble d’épistémologie. [EDIT BIS – 22/10/2019] Entre-temps, Mr. Sam a repris ses « Petits points d’interrogation« , en assumant le fait que ce serait des « vlogs » dont la qualité ne serait par conséquent pas forcément au rendez-vous parce qu’il prendrait moins de soin à vérifier ses sources… Le tout après avoir commis une critique (dont il reconnait lui-même la médiocrité) du débat entre Étienne Klein et Stéphane Foucart! Quand un apôtre de la « pensée critique » nous demande d’excuser la piètre qualité de ses vidéos qui doivent servir à « flatter l’algorithme de Youtube », que faut-il penser sinon que l’hôpital se fout de la charité? Moi qui avais cru reconnaître de l’humilité et de l’intelligence…


La zététique, c’est l’art du doute. On l’utilisait pour étudier rationnellement les phénomènes paranormaux. Avec le temps, son champ s’est étendu. La méthode scientifique deviendrait alors la mesure de toute connaissance.

Qu’est-ce que la méthode scientifique ? Un ensemble d’outils qui devraient normalement permettre de s’assurer que différents phénomènes sont bien reliés par de la causalité. Par exemple, si vous soupçonnez votre maison d’être hantée par le fantôme d’un arrière grand-oncle, la méthode scientifique doit vous permettre de le démontrer. Si vous pensez que le glyphosate est dangereux pour la santé, la méthode scientifique doit vous permettre de le démontrer… Vous avez compris le principe.

(Auto-)dérision 🙂

Sur Youtube, une large communauté de vidéastes se réclament de la zététique. Et c’est très bien. Très bien parce que cela donne lieu à une grande quantité de vidéos d’excellente facture, lesquelles discréditent le pire de la désinformation (du style « Révélation des pyramides »). Le problème, c’est que, comme nous allons le voir, les plus ardents défenseurs du doute systématique paradoxalement oublient d’appliquer à eux-mêmes les grands principes qu’ils imposent fort logiquement aux autres. L’art du doute se transforme alors en dogme et c’est l’ensemble de la pensée critique qui trinque. Voyons ça de plus près.

Douter de ses doutes ?

Commençons par une expérience de pensée. Un grand principe de la zététique est celui de la crédence : il s’agit de se demander quel degré de certitude on a vis-à-vis de ce qu’on dit/pense. Par exemple, lorsque je dis : « le glyphosate est mauvais pour la santé dans les proportions actuellement présentes dans les aliments », à quel point j’y crois ? 100% a priori ? Je n’aurais aucun doute là-dessus ? Un peu moins, disons 90% après avoir regardé le sujet d’Envoyé Spécial? Et plus que 40% après la campagne des zététiciens de Youtube ?

Bon, maintenant, faisons le même travail avec la méthode scientifique. À quel point un zététicien pense-t-il que la méthode scientifique seule peut permettre d’atteindre la connaissance ? S’il y croit à 100%, on a un problème : être certain que l’art du doute est la mesure de toute chose, c’est contradictoire. Mais d’autre part, douter – même de façon infime – de l’art du doute, c’est accepter, au moins infimement, qu’il y aurait d’autres façons de connaître. Autrement dit, que la zététique n’est pas la mesure de toute chose, ce contre quoi ils s’efforcent de lutter. On est là face à un avatar du paradoxe du menteur.

Jusqu’ici, dans leur immense majorité (et c’est bien là le propos de cet article…), les zététiciens de Youtube ont choisi la contradiction[1] : être certain de leur art du doute. Les vidéos de « Mr. Sam » sont éclairantes de ce point de vue, de même que la plupart des vidéos de « La Tronche En Biais » ou d’un « monde riant » affichent le même genre d’arrogance autosatisfaite. Pourtant, il apparaît clairement qu’un nombre incalculable de connaissances s’accumulent en-dehors du cadre strict de la méthode scientifique. Doutez-vous d’exister ? Si pas, comment démontrer votre existence scientifiquement ? Quel serait le « groupe contrôle » ? L’existence est une question philosophique, imperméable aux considérations méthodologiques. Malheureusement. Et il en va de même des questions morales, des émotions, etc.

Toute connaissance n’est pas scientifique

Il y a même d’autres espaces parfaitement rétifs à l’investigation scientifique « poppérienne ». Par exemple, je me suis beaucoup intéressé au rêve. Eh bien, qu’on le veuille ou non, le contenu du rêve est inaccessible à la méthode scientifique. Pire : il est impossible de prouver que nous rêvons ! On peut prouver l’activité cérébrale certes, mais pas le vécu phénoménologique. Allez dire ça à votre enfant qui s’éveille d’un cauchemar… Et il en va de même pour différentes expériences de transcendance, de la prise d’hallucinogènes avec ses « ego loss » jusqu’aux rencontres divines par des prophètes : qu’on y croie ou non n’y change rien. Ce n’est pas que l’expérience soit irréfutable (au sens de Popper), c’est qu’elle est singulière, unique et, à ce titre, non généralisable. Donc, non scientifique. Est-ce à dire qu’on n’y apprend rien ?

À ce moment, vous vous direz peut-être : « Certes, mais est-ce vraiment important ? » La réponse est : « oui », parce que les conséquences d’une position dogmatique sur la méthode scientifique peut mener à renforcer des préjugés là où on aurait souhaité le contraire, c’est-à-dire à agir contre son propre objectif et à finalement faire des erreurs. Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu épistémologique : se tromper sur la causalité qui lie des phénomènes entre eux mène potentiellement à défendre l’indéfendable.

Passons en revue les outils principaux de la zététique et essayons de les appliquer à un « cas », par exemple celui des « théories du complot ». Je prends un tel exemple sensible à dessein : en effet, il fait tant consensus que la simple affirmation « c’est une théorie du complot ! » suffit généralement à discréditer un propos. Ainsi, le « complot pharmaceutique » est souvent moqué par les zététiciens qui critiquent les positions anti-glyphosates pour des questions sanitaires…

Les limites de la méthode zététique

Le premier outil de la zététique est la recherche systématique de l’erreur dans sa propre hypothèse. Imaginons, comme dit plus haut, une attaque terroriste, dans une démocratie européenne, faisant 17 morts. Tout porte à croire que l’extrême-gauche est responsable de l’attentat mais, moi, je défends une « théorie du complot ». Je dis au contraire que l’extrême-droite en est responsable et, en plus, que c’est la CIA et le MI6 qui étaient derrière. On a là tous les meilleurs aliments pour une bonne théorie du complot, non ?

Une fois ces éléments posés : comment puis-je tester mon hypothèse ? Sur quelle base m’assurer que ma position minoritaire n’est pas fausse ? Eh bien, je suis incapable de le faire : puisqu’un complot a vocation à être secret, tous les éléments que je trouverai et qui rendront responsables l’extrême-gauche ne peuvent que confirmer à la fois la théorie dominante (si on prend les « preuves » pour véritables) mais aussi ma théorie (si on prend les « preuves » comme des artefacts de l’opération sous faux-drapeau !) On n’est pas très avancé. À l’inverse, les tenants de l’hypothèse dominante peuvent chercher des preuves allant dans mon sens et leur hypothèse est d’autant renforcée qu’ils n’en trouvent pas. Ma théorie du complot sort perdante de l’usage du premier outil.  

Dans un deuxième temps, la zététique incite à formuler des hypothèses cohérentes et puis à les tester. Bon, honnêtement, je trouve mon hypothèse très cohérente – comme tous les tenants d’une théorie du complot : l’attentat vise à discréditer la Russie soviétique et le communisme en général tout en œuvrant à l’installation d’un pouvoir fasciste dans ce pays démocratique. Cohérent, non ? Toutefois, comment pourrais-je tester mon hypothèse ? Et comment mon contradicteur, soutenant l’hypothèse opposée, pourrait-il tester la sienne ? Nous ne le pouvons pas. En réalité, bien rares sont les cas où il est possible de mettre en place des protocoles d’expérimentations solides qui permettent de tester et retester ses hypothèses. C’est la raison pour laquelle les zététiciens aiment tant parler des questions de santé (en déconstruisant notamment les pseudo-médecines alternatives comme l’homéopathie) ou les soi-disant « dons » hors du commun de médiums qui ne toucheront (sans doute) jamais le pactole promis par James Randi. Dans ces deux cas, il est en effet possible de mettre en place ces fameux protocoles.

Le point suivant revient à considérer qu’une « affirmation extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires ». Autrement dit, la charge de la preuve incombe au demandeur. Observez bien ce point, il est crucial. Ça veut dire que la zététique favorise, par nature, le sens commun, donc la pensée dominante. Dans la plupart des cas, ce n’est évidemment pas un souci mais, lorsqu’il s’agit de questions sensibles, comme la géopolitique, c’est beaucoup moins clair. Or, dans notre exemple, cet outil de la zététique joue absolument contre moi : non seulement c’est mon hypothèse du complot qui est décrite comme extraordinaire mais, en plus, je ne peux y apporter aucune preuve puisque précisément la nature du complot est de les cacher ! Cependant, il existe de nombreux pays dans lesquels le sens commun, la pensée dominante, inciterait à croire au complot comme hypothèse la plus probable. Cela veut dire que la propension à discréditer le complot dépend avant tout du contexte culturel, de croyances, de l’éducation, de l’expérience historique, du système politique dans lequel on se trouve, etc. Tout n’est pas ici démontrable, l’hypothèse défendue ne répond qu’à un principe dit « de parcimonie ».

L’idée de parcimonie renvoie à l’outil suivant de la zététique : le rasoir d’Ockham. Entre plusieurs hypothèses, il faudrait privilégier la moins coûteuse, c’est-à-dire celle qui fait le moins appel au mystère. Voici une anecdote en montrant les limites. En allant chercher mon fils à l’école il y a quelques jours (véridique), pour la dixième fois, je ne retrouve pas ses chaussures ! Comme d’habitude, l’ensemble de ses affaires sont éparpillées dans l’école, les chaussettes sont orphelines, la veste sous le toboggan, le pull dans le sable, etc. Et les chaussures ? Le rasoir d’Ockham m’invite à privilégier l’hypothèse selon laquelle il les a égarées comme le reste. Il s’ensuit qu’il se prend naturellement mes foudres et voilà mon petit bonhomme de quatre ans qui, en pleurs, pendant une heure (toujours aussi véridique), se met à chercher des chaussures…qu’il ne trouvera pas ! Pourquoi ? Parce qu’un autre minuscule, trouvant les chaussures à son goût, s’est dit qu’il les mettrait bien pour rentrer chez lui tandis que son papa, peu au fait des affaires de son fils, n’y a pas prêté attention. L’hypothèse « parcimonieuse » était la mauvaise : putain d’Ockham !

Et qu’en est-il du rasoir d’Ockham dans notre histoire de complot ? Eh bien, par définition, l’hypothèse du complot est nécessairement la plus coûteuse ! Elle implique des gens qui se coordonnent, qui servent des desseins éventuellement flous, qui arrivent à garder le secret tout en agissant de façon immorale, etc. En termes de parcimonie, aucun doute à avoir, les théories du complot ne tiennent pas le coup. Nada. Pschuiit. Au revoir. Oui, sauf que. Comme le rappelait Frédéric Lordon dans le Monde diplomatique, l’erreur en matière de complot serait autant d’en voir partout que d’en voir nulle part ! L’Histoire est émaillée de complots avérés et il n’est pas inconcevable de penser que celui que je mentionne depuis le début en fasse partie ! Mais là, étant donné les points qui précèdent, aucune raison d’aller chercher de ce côté-là. Conclusion : le complot est discrédité et on peut en rire comme les zététiciens de Youtube ne se privent pas de le faire.

Le hic, le souci…c’est que cette histoire de complot est depuis lors effectivement avérée. Nous sommes en 1969 quand les attaques terroristes de l’opération Gladio surviennent en Italie. Il s’agit de faire porter le chapeau à la gauche, tout en renforçant la droite dure, avec l’aimable soutien de la CIA et du MI6. Les outils de la zététique ne nous auront pas aidés. On aurait hurlé avec les loups et on se serait trompé. Sur une question aussi fondamentale que celle-là, ça fait tache.

La théorie : le chaînon manquant de la zététique

Alors, que manque-t-il aux outils de la zététique pour ne pas tomber dans ce genre de pièges ? Il leur manque la prise de conscience de ce qu’il n’existe pas d’hypothèse non soutenue par un cadre théorique ! Et c’est précisément ce point qui est toujours absent des débats zététiques dont j’ai pris connaissance. Le cadre théorique, c’est la paire de lunettes à travers laquelle on s’offre d’observer le réel. Pour compliquer le truc, il existe des sciences dans lesquelles les cadres théoriques se succèdent et d’autres où les cadres théoriques s’accumulent. Par exemple, la physique newtonienne a été littéralement remplacée à la suite des travaux d’Einstein. Alors que dans les sciences sociales, il est tout à fait possible d’observer un même phénomène avec les théories de Foucault, celles de Marx, celles de Bourdieu, de Latour, etc.

Le choix du cadre théorique nous informe alors de la position politique, voire morale, du chercheur (ou du zététicien). Il nous informe éventuellement des valeurs qu’il défend : quand je choisis les théories marxistes pour décrire le monde du travail, c’est parce que je soutiens des valeurs d’égalité ! Mais attention, de façon contre-intuitive, il faut bien comprendre que tandis qu’elles font voir des choses différentes, de bonnes théories demeurent valables quand bien même on serait en désaccord avec elles ! Autrement dit, ce qu’elles font voir est vrai (dans le sens où cela correspond aux faits), mais nécessairement partiel (dans le sens où une bonne théorie ne peut être capable de tout montrer). Ce qui n’empêche pas qu’une bonne théorie dans l’absolu puisse être incompatible avec un certain objet de recherche…

Ainsi, face à une théorie du complot, j’ai tendance à ne pas user d’outils comme le rasoir d’Ockham ou la responsabilité de la charge de la preuve parce que je sais que par nature ces outils faussent l’acuité de ma réflexion. J’essaie également d’appuyer ma réflexion sur plusieurs socles théoriques. Par exemple, que penser de la théorie du complot concernant le 11 septembre 2001 avec une théorie anti-impérialiste ? Eh bien, ce qui apparaît, c’est qu’on n’a pas besoin du complot pour faire sens des événements. Le complot est a priori rejeté. Je peux faire le même travail avec des théories vis-à-vis desquelles je suis plutôt hostile, comme celle du « clash des civilisations ». Et, pareil, l’opération sous faux drapeau n’y est pas cohérente, etc.

Cette façon de procéder n’implique malheureusement pas de ne plus faire d’erreur. Cependant, elle permet d’une part d’en limiter le nombre, d’autre part, d’en limiter l’amplitude parce qu’elle oblige à faire preuve de réserve et de modestie. Elle oblige à expliciter la position d’où on parle, ce qui nous pousse à croire ce que l’on croit. Elle oblige à embrasser l’adversité, même quand c’est désagréable, parce que ce faisant, on en apprend autant sur les autres que sur soi-même. Elle n’est pas synonyme de relativisme – comme dit plus haut, tout ne se vaut pas, mais elle est un garde-fou essentiel contre toute forme de dogmatisme parce que l’on sait, inévitablement, que tous les cadres théoriques, quels qu’ils soient, de la physique fondamentale à la psychologie sociale en passant par l’économie, sont amenés à évoluer, à gagner en nuances et en complexité.


[1] Il va de soi que c’est injuste pour les zététiciens qui ne verseraient pas dans ces travers. Quand on généralise, on simplifie, toujours. Je n’ai, par exemple, jamais pris en défaut « Hygiène mentale » sur ces points-là…


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Analyses

Comprendre les fusions d’entreprise (partie 5)

Pour la partie 1, voir ici
Pour la partie 2, voir ici
Pour la partie 3, voir ici
Pour la partie 4, voir ici

  • Et les États là-dedans ? Je veux dire : on a quand même du pouvoir comme citoyen ! C’est un peu notre responsabilité si on élit des gens qui agissent contre nos intérêts.
  • Il suffirait d’élire des gens « biens » ? Des politiques qui « tiendraient leur parole » ?
  • Mais oui ! Ce n’est pas si bête quand même…
  • Ou alors, ils ne peuvent tout simplement pas tenir parole. Regarde, Nicolas Hulot a fini par démissionner…

GM

General Motors

  • Oui, enfin, un ministre de l’écologie qui avait neuf voitures, bonjour l’intégrité quand même !
  • N’empêche. Il aurait pu continuer à être ministre. Or, même lui, avec le peu d’exigence qu’il avait de lui-même a fini par avaler trop de couleuvres !
  • Comment peut-on l’expliquer ?
  • Comme pour les patrons de l’industrie ou de la finance : l’absence de choix.
  • Je ne comprends pas.
  • Pour des tas de raisons, politiques et hommes d’affaires partagent les mêmes intérêts. Certains passent d’un milieu à un autre indifféremment, comme Barroso ex-Président de la Commission européenne passé chez Goldman Sachs. On appelle ça les « revolving doors ». Soit parce que comme ils se fréquentent sans cesse, ils deviennent amis. Voire même ils ont fait leurs études ensemble, ils appartiennent au même milieu socio-économique et socio-culturel.
  • Ok, mais ça ne fait pas tout…
  • C’est déjà beaucoup. Ils se fréquentent lors de repas d’affaires, au dîner du Siècle, au Bilderberg, dans la franc-maçonnerie, dans les divers dîners où on retrouve des politiques, des hommes d’affaires, des journalistes, etc.
  • Tu verses dans le complot là, non ? Tu vas bientôt me parler des Juifs ?
  • Mais non, pas du tout. Dans tous les milieux, il y a ce genre de rassemblement. Compare ça à la pétanque du dimanche midi sur la place du village ! Sauf que là, la différence, c’est qu’ils ont beaucoup plus de pouvoir. Et ils s’arrangent donc collectivement pour le conserver.
  • Je ne sais pas. Cette explication presque psychologisante me dérange un peu. Il doit bien y avoir des raisons plus…rationnelles.
  • Assurer ses intérêts présents et futurs est très rationnel. C’est le principe même du lobbyisme. Cela dit, tu as raison. Il y a des mécanismes purement économiques.
  • Que veux-tu dire ?
  • La plupart croit vraiment dans le dogme du libéralisme économique voulant que l’entrepreneuriat privé crée de l’emploi et que, par ruissellement, l’ensemble de la société en profitera. Les yeux fixés sur le PIB, qui ne s’intéresse qu’à la création de richesses et non à sa distribution, ils pensent qu’une augmentation de la production profite nécessairement à tout le monde.
  • Et donc ils favorisent les cadeaux économiques, comme les diminutions de taxes aux grandes entreprises, en pensant que de ce fait ils font d’une pierre deux coups ?
  • Voilà, on peut dire ça. Mais évidemment, on a tendance à croire avant tout à ce qui nous arrange.
  • Sauf que les grandes entreprises, corsetées par l’obligation de profit, elles n’en profitent pas pour engager des gens mais pour gagner en compétitivité.
  • Et comprends bien que comme on l’a dit plusieurs fois, c’est très sensé ! L’entreprise en question gagne alors la guerre économique, mais pour un temps très limité seulement, puisque très vite, les autres pays se calquent sur ces nouvelles normes et c’est la collectivité qui paie le prix fort.
  • Dis, c’est quoi la différence entre la productivité et la compétitivité en fait ?
  • La productivité, c’est arriver à faire plus avec moins. Produire plus de voitures avec moins d’ouvriers par exemple.
  • Et la compétitivité ?
  • C’est arriver à être « plus productif » que les autres !
  • Comme c’est relatif, c’est un jeu qui ne s’arrête jamais du coup…
  • En effet.
  • Et donc, aucun politique ne peut sortir de ce jeu-là ?
  • Tant qu’on reste dans le jeu capitaliste, non. Du coup, les gens croient de moins en moins à la politique. De moins en moins dans un pays qui serait géré par les pouvoirs publics.
  • Tu veux dire que ça participe à la croyance que seul le privé est capable de bonne gestion et qu’il faudrait donc qu’un pays soit géré comme une entreprise ? C’est complètement paradoxal.
  • Tout à fait. Et c’est exactement sur ce mythe-là qu’un Emmanuel Macron a été élu. Peu importe au final que cette vision puisse contribuer au problème plutôt qu’à la solution…c’est de l’ordre de la pensée magique.
  • Je vois. Au moins l’État est capable de prendre les bonnes décisions, au plus on considère que diminuer son pouvoir est la solution. Alors que c’est le problème.
  • Et tout ça est très cohérent avec un monde individualiste où il faut « performer ». Les notions de « collectif » nous passent complètement au-dessus aujourd’hui. Je voyais la une du Monde récemment sur le climat. Individuellement, les gens ne s’en foutent pas mais, collectivement, personne ne se bouge. Même pas moi.
  • Je suppose que les gens se sentent impuissants. Les décisions difficiles doivent être prises en amont, par le pouvoir politique.
  • …dont on vient de dire qu’il n’en avait plus les moyens !
  • Pourtant, c’est comme ça que fonctionne la démocratie ! Tu ne voudrais quand même pas d’une dictature !
  • Les dictatures s’accommodent très bien d’une pensée capitaliste. À ton avis, par qui Hitler faisait-il construire ses voitures ?
  • Je ne sais pas…
  • General Motors. Et le contraire est vrai aussi : rien n’indique qu’une société où l’économie serait publique ne puisse être démocratique.
  • Oui, bon, historiquement, tu conviendras que ce n’est pas gagné.
  • De quoi parles-tu ? De Cuba qui subit un embargo scandaleux et terrifiant depuis 1962 par les USA ? De l’URSS qui s’est construite en temps de guerre ? De la Chine de Mao ? Tout ça est vraiment comparable ?
  • Tu ne vas pas défendre Staline ! Et Mao !
  • Ni Reagan, ni Obama, ni Trump, ni l’UE ! Qui sait ce que Lumumba aurait pu faire s’il n’avait été assassiné ? De qui parles-tu ? D’Allende, de Torrijos, d’Arbenz, de Chavez, de Mossadegh, de Zelaya…tous morts. De mort suspecte pour la plupart. Ou renversés par des Coups d’état. Des USA en général. C’est trop facile de jeter l’opprobre sur une théorie politique en pointant le doigt vers une mise en pratique qui, souvent, a été mise en difficulté par ceux-là mêmes qui la critiquent.
  • On appelle ça l’argument de l’homme de paille, non ?
  • Ça y ressemble bien, oui. Puis de toute façon, ces mêmes démocrates qui sont censés nous diriger avec tellement d’éthique s’embarrassent peu des dictatures quand ça les arrange. On parlait des liens entre GM et les Nazis, mais ça vaut encore pour nos dirigeants avec l’Arabie saoudite ou le Qatar.
  • Je n’arrive pas à comprendre l’intérêt qu’ils ont à défendre des pays pareils. On ne partage rien avec eux ! Leurs idées rétrogrades, la lapidation…
  • Mais ce n’est pas la question. La question, c’est le business. L’Arabie saoudite est le deuxième importateur d’armes au monde.
  • Ils en font quoi de ces armes ?
  • Ils font la guerre. Ils financent le terrorisme.
  • Attends, il ne faut pas exagérer non plus. On ne peut quand même pas affirmer qu’il n’y avait pas de guerres avant le capitalisme et que toutes les guerres d’aujourd’hui sont des guerres du capitalisme.
  • C’est une bonne remarque. Je serais curieux de savoir ce que d’autres en pensent. Effectivement, il y a toujours eu des guerres. Chaque système économique a produit ses propres inégalités, ses propres luttes intestines mais aussi ses propres croyances. Les esclaves se sont révoltés, les cerfs ont cherché à avoir plus de droits. La révolte des paysans qui ont tenté de prendre Londres en 1381 a été écrasée…
  • Où veux-tu en venir ?
  • Il faut bien comprendre qu’il y a une évolution dans les rapports de production. D’une certaine façon, si on défend des valeurs d’égalité bien sûr, le servage représente un « mieux » par rapport à l’esclavage. Et le capitalisme est aussi un « mieux » par rapport au servage.
  • Te voilà en train de défendre le capitalisme ?
  • Non, pas du tout. Je montre simplement qu’il ne faut pas être binaire. L’historicité est importante. Il est aussi ridicule d’idéaliser les rapports de production précédents que de penser qu’il n’est pas possible de faire mieux que le capitalisme.
  • Ceux qui disent que le capitalisme est indépassable se trompent à ton avis ?
  • Bien entendu. Dans sa forme impérialiste, celle qu’on vit aujourd’hui, il est même plutôt récent.
  • Impérialiste ? Que veux-tu dire ?
  • On en revient à ta question initiale sur les guerres. Quand des patrons n’arrivent plus à exploiter leur propre main d’œuvre, ils exploitent la main d’œuvre ailleurs. Et les sols avec les matières premières.
  • Oui, et puis quoi ? Les colonies par exemple ?
  • En effet. Mais souviens-toi du principe de compétitivité : tous les acteurs économiques, pour ne pas disparaître avalés par les autres, sont obligés de faire pareil et même de faire plus que les autres. Avec comme conséquence un partage de la planète entre les seules grandes puissances du moment.
  • On peut dire que la conférence de Berlin illustre bien ce que tu dis ?
  • Tout à fait. Et la suite, tu la connais. L’Allemagne, arrivée plus tard dans le jeu colonial, s’est sentie flouée. La Première guerre mondiale, que si peu de gens arrivent à expliquer, n’est jamais qu’une nécessité de renégocier les territoires partagés précédemment.
  • Attends, quoi ? Là, je ne te suis plus.
  • C’est pourtant simple : si vous êtes six, vous divisez le gâteau en six ! Mais imagine qu’un septième arrive et que personne ne veut lui donner un morceau de sa part ?
  • S’il veut être sûr de manger, il se battra pour…
  • Tu as compris le principe des guerres impérialistes.
  • Et tu sous-entends qu’on pourrait appliquer cette grille de lecture à tous les conflits mondiaux ?
  • Si on n’occulte pas toutes les autres raisons, comme l’Histoire des peuples concernés, leurs croyances, leur culture, les conditions météorologiques, etc., oui. La forme que prennent les conflits est contingente mais que le capitalisme soit un mécanisme fondamental des guerres est évident.
  • Olà, évident ? Il faudrait pouvoir le prouver !
  • Comment reconnaît-on une bonne théorie ?
  • Je ne sais pas.
  • À sa capacité d’explication, certes, mais aussi à sa capacité de prédiction, comme le dirait le sociologue Karl E. Weick. Autrement dit, si on est en mesure de prédire les guerres et leurs conséquences grâce à cette théorie, on a de bonne chance de croire que cette théorie est performante.
  • Et c’est le cas ?
  • Oui, ça l’est. Par exemple, seuls les théoriciens qui défendaient ce genre de théories ont pu, dès le départ, prédire que la guerre en Libye serait un fiasco. Ce sont les mêmes qui dénonçaient les mensonges des armes de destruction massive en Irak bien avant que les médias mainstream reconnaissent qu’ils s’étaient fait berner.
  • Mais on dit aussi que cette théorie, pour faire simple disons la perspective marxiste-léniniste, est une mauvaise théorie parce qu’elle serait infalsifiable. Autrement dit, on arriverait toujours à tout expliquer avec cette théorie, une chose et son contraire !
  • Je ne pense pas que ce soit vrai. Je dis la chose suivante : si un gouvernement élu est capable de changer les règles du jeu capitaliste avec des réformes sans subir d’attaques de quelque nature par les autres pays capitalistes et sans le recours à la lutte sociale, je serai d’avis que cette théorie ne tient pas.
  • Donc cette théorie est falsifiable ?
  • Pour moi, oui. Puisqu’on est en mesure d’énoncer une situation fictive qui la rendrait caduque.
  • Ça me paraît un peu compliqué, je crois que je devrais revenir là-dessus plus tard. Mais je pense comprendre dans les grandes lignes.

Suite dans la partie 6

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