J’ai écouté ce matin, avec grand intérêt, la nouvelle « livraison » de l’excellent podcast d’Élisabeth Feytit « Meta de choc ». Le sujet de cette nouvelle série est le complotisme et son invitée est l’autrice des livres « L’ère du complotisme » et « Obsession ». Je précise toutefois que je ne réagis qu’au podcast, je n’ai pas (encore) lu les livres.
Mon intérêt était d’autant plus marqué que ces épisodes adressent une question souvent laissée de côté par la sphère sceptique, la géopolitique. Question qui, comme vous le savez si vous me lisez, me passionne également.
Mais voilà, j’ai été extrêmement déçu – irrité, même – par ce premier volet. J’en profite ici pour adresser quelques questions. Il semble en effet que, selon les critères que l’intervenante prend en compte, j’appartiens à la catégorie de celleux « aveuglé·es par leurs postulats anti-impérialistes » (sic). Quant à moi, j’ai vécu cette première écoute comme une longue entreprise de discrédit, pas toujours rationnelle, de la position anti-impérialiste. Voilà, l’opposition franche est posée, j’en viens à mes questions.
1) Vous définissez le complot [EDIT] (et votre définition du complotisme est sensiblement la même, vous y ajoutez seulement une notion d’obsession, ce qui est une attaque d’ordre moral et non d’ordre factuel – or, on ne reproche pas à Eric Jonckheere d’être « obsédé » contre Éternit!]] comme une référence à « une collusion d’intérêts qui se ferait de façon cachée ». Je suppose donc que s’il s’agit de désigner des collusions d’intérêts qui ne sont pas cachées, on ne pourrait considérer comme « complotiste » cette désignation. Or, l’anti-impérialisme rend essentiellement compte de collusions qui ne sont pas cachées :
a) d’abord à travers une lecture théorique qui montre que ces collusions sont le résultat de dynamiques économiques et non intentionnelles dont la logique est apparente – comme l’ont montré Marx puis Lénine ;
b) ensuite, il existe de nombreuses preuves de « collusions », soit que des archives ont été ouvertes (archives US sur l’embargo de Cuba, par exemple), que les preuves historiques sont suffisantes (Gladio), que des déclarations de responsables politiques en charge l’affirment (Brzezinski sur l’Afghanistan), que des rapports sont explicites (comme celui du Project for a New American Century), etc.
Est-il alors encore pertinent de taxer de « complotisme » les questions posées par l’anti-impérialisme dans les cas de nouveaux conflits ? On peut bien sûr relativiser ces sources, remettre en question leur authenticité ou leur degré d’influence historique. Mais la discussion est alors sensiblement différente de celle portant sur un discours qui serait « caché ».
2) Vous reconnaissez l’existence historique de certains complots et dites quelques mots, notamment, sur le renversement d’Allende fomenté par les USA. En revanche, vous ne dites rien des raisons économiques et politiques ayant poussé les USA à renverser Allende. Or, il est légitime d’estimer que, si de mêmes causes produisent les mêmes effets, les causes du renversement d’Allende peuvent avoir poussé les USA à renverser d’autres gouvernements qui ne leur plaisaient pas en usant de complots similaires. Il semble d’ailleurs que d’autres coups d’État similaires fassent consensus. N’est-il pas important de le rappeler ? Ne faut-il pas considérer, dès lors, qu’il est logique, lorsque des bouleversements géopolitiques sont en cours, de se demander si les USA n’y trouvent pas un intérêt semblable à celui trouvé dans ces différents renversements ? Comment faites-vous pour vous assurer, à chaque nouvelle guerre, qu’il ne s’agit pas d’un « nouveau Chili » ? Pensez-vous que le Chili soit une « aberration historique », un événement nécessairement unique et singulier ? Si oui, qu’est-ce qui vous fait penser une telle chose ?
3) Peut-être se peut-il que j’interprète mal mais j’ai perçu certaines formes de pensée dichotomique dans votre critique des anti-impérialistes. Comme si dénoncer les ingérences occidentales – notamment états-uniennes (réelles ou supposées, là n’est même pas la question ici) – revenait à donner son blanc-seing à des régimes autocratiques et à dénier toute légitimité aux mouvements démocratiques demandant plus de droits ? Est-il possible d’envisager que ces mouvements ont été potentiellement gangrénés par les extrémistes, comme en témoignent les horreurs commises par les fameux casques blancs ? Est-il possible d’envisager que ces mouvements, tout légitimes qu’ils soient, ont été instrumentalisés notamment par les USA, comme le montre Ahmed Bensaada dans son livre « Arabesque$ » ? Quel est pour vous le niveau de preuve suffisant pour en effet pouvoir parler de « complot » ? Sur ces questions, il n’y a pas de démarche expérimentale possible. Donc, on fait comment ?
4) Vous semblez être sûre de la correspondance de votre position avec les faits, notamment sur la Syrie. Pouvez-vous expliquer votre méthode ? Par exemple, comment vous êtes-vous assurée que votre ami prêtre en Syrie était plus crédible que les discours anti-impérialistes « complotistes », tout en ignorant le terrain et la langue ? Je pose la question parce que, pour ma part, j’ai aussi un témoignage personnel : celui de restaurateurs syriens près de chez moi. Ils sont aussi chrétiens et m’ont dit que, sans Assad, leur communauté aurait été décimée par l’État islamique, qu’heureusement Assad avait été là ! Alors, qui croire ? Et pourquoi ? Comment faire quand des témoignages s’opposent ? Doit-on, par exemple, passer sous silence le soutien précoce à Assad par la population syrienne, objectivé par un sondage qatari paru dans le Gulf Times en décembre 2012 ?
5) Ne pensez-vous pas que votre développement est tautologique en ce que vous partez de la prémisse que vous avez « raison » (vous savez ce qui relève du complotisme et ce qui n’en est pas – AKA votre position) pour conclure sur le fait que les autres ont tort… Pensez-vous que la focale mise sur la « sémantique » ou sur le « discours » est à même, méthodologiquement, de sortir de cette tautologie dans la mesure où toute nouvelle analyse de ce que disent les anti-impérialistes (comme par exemple ce long post) pourra de facto entrer dans l’une de vos catégories préconstruites ?
6) Une réflexion récurrente serait, selon vous, complotiste par sa seule récurrence ; ce que vous appelez « mantra » ou « obsession ». Or si l’on considère qu’une même cause produit de mêmes effets, il est logique de chercher s’il n’y a pas des points communs entre plusieurs événements géopolitiques apparemment différents. Par exemple, si l’on considère la volonté de maintien de son hégémonie par les USA comme cause de son implication dans différents coups d’État (dont celui contre le Chili d’Allende), alors il est logique de se demander de façon récurrente si chaque coup d’État ne serait pas potentiellement (j’insiste sur le fait que c’est une éventualité à réfuter et non une certitude à confirmer) une énième itération de cette volonté hégémonique ?
7) S’il peut arriver que certains questionnements que vous nommez « complotistes » soient des raisonnements motivés, est-ce bien différent dans votre camp politique ? Ne pensez-vous pas que les a priori (qu’ils se révèlent pertinents ou non par la suite) sont autant le fait de celleux qui voient des complots partout que de celleux qui n’en voient nulle part ? Que si les un·es semblent vouloir, à tout moment, nier la légitimité de l’ordre existant, les autres semblent avoir un tropisme tout aussi pernicieux tendant à vouloir maintenir ce même ordre ?
8 ) De façon plus générale, ceci traversant l’ensemble de ce premier volet et sur base de l’ensemble des points développés ci-dessus, qu’est-ce qui justifie l’emploi au singulier du terme « complotisme » ? Cela a-t-il du sens de mettre dans une même boîte les complotismes que vous dites d’extrême-droite et « d’extrême-gauche » ? De comparer Qanon avec l’anti-impérialisme ? Lors même que le critère principal – à savoir le caractère « caché » des complots – est valable chez les premiers mais pas chez les seconds ?
9) Vous projetez une intention malveillante chez celleux que vous appelez « idéologues du conspirationnisme », mais vous ne citez pas de nom. Vous dites que ces derni·ères « exploitent les fragilités des gens ». Ainsi, vous supposez a) qu’iels se savent mentir, b) qu’iels le font à dessein pour faire du tort. Cette remarque est-elle vraiment généralisable ? Ne peut-on imaginer que, selon les thématiques, certain·es croient pour de bon ce qu’iels avancent, sont de bonne foi et, qui plus est, ont « de bonnes raisons du croire » (raisons avec lesquelles vous pourriez, bien entendu, être en désaccord) ?
Je serais ravi d’échanger autour de ces questions, notamment en attendant le second volet de cette série vendredi prochain. Lequel volet, peut-être, apportera également des réponses aux questions posées ci-dessus.
Étant donné la longueur de l’analyse, je rouvre mon blog pour ce billet. 😉
Le second volet du podcast Meta de choc « Complotisme : si loin, si proche » d’Élisabeth Feytit est sorti ce vendredi. Ai-je été plus convaincu par le volet 2 que je ne l’ai été par le volet 1 (dont vous trouverez l’analyse ici)? Malheureusement non et je vais vous expliquer pourquoi.
Je tiens à préciser, avant de commencer cette critique, que j’apprécie énormément le podcast Meta de choc. C’est avant tout ma déception pour un travail par ailleurs admirable qui me fait réagir. Par ailleurs, les propos tenus dans le podcast rendent compte d’un certain courant de la littérature et de l’expression publique sur le complotisme. Il ne s’agit pas de viser les personnes qui s’expriment dans le podcast mais de déconstruire/d’analyser une posture qui me paraît poser problème.
Soyons de bon compte d’abord : pour celleux qui n’y connaissent vraiment rien, sont toujours utiles un petit retour sur le faux que furent les « protocoles des Sages de Sion », la propagande historique des cigarettiers, quelques banalités en éducation aux médias sur les réseaux sociaux. Pourquoi pas. Au moins sur ces points abordés, je n’ai rien à dire. Mais, à ce prix, on a une fois encore une pensée qui pose énormément de problèmes et ne permet à mon sens pas du tout de cerner ce que « complotisme » veut dire, ni même de savoir si ce terme à quelque valeur que ce soit.
Cela commence mal dès la question initiale posée dans ce second volet. Élisabeth Feytit se demande quelle serait « l’origine », « l’initiateur » de ce mode de pensée. Le hic, c’est qu’il ne s’agit pas d’UNE dérive sectaire ! Pas de Raël en vue, pas de Ron Hubbard non plus. En fait, le conspirationnisme (ou complotisme) désigne un « mode de pensée » renvoyant à des faits qui tantôt sont réels, tantôt sont fake (puisqu’il y a des complots avérés et d’autres non) – sans que l’on sache a priori, c’est-à-dire lors de la formulation de ladite pensée, à quelle catégorie elle appartiendra ; d’autre part, le conspirationnisme renvoie à des idéologies, des positionnements couvrant l’ensemble du spectre politique – donc pouvant s’opposer. Ce n’est certainement PAS une pensée cohérente – au contraire des « croyances » analysées habituellement dans le podcast. Lui donner un acte de naissance historique est une manœuvre artificielle qui fait courir le risque de tout mettre dans le même sac.
Tout se vaut…tant que c’est l’ennemi
Très vite dans le podcast, anti-impérialisme sera associé à…évangélisme – grâce à l’évocation du cas de Kémi Seba. Que l’anti-impérialisme soit directement lié à la gauche révolutionnaire marxiste, peu suspecte d’être religieuse, ne semble bizarrement pas déterminant. L’intervenante se sert alors de l’exception Kémi Seba comme d’un épouvantail. L’avantage, imparable pour elle, c’est de pouvoir ensuite procéder à une odieuse entreprise de confusion, en mettant dans un même sac et sans sourciller extrême-droite, antisémitisme, anti-impérialisme, anticolonialisme, antisionisme. Parce que, voyez-vous, il y a « continuum entre ces thématiques ». Une confusion « antisémitisme – antisionisme » validée un peu plus tard par Élisabeth Feytit elle-même.
Hein ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ?
Marx et Lénine, tous deux d’origine juive, seraient heureux d’entendre ça ! D’ailleurs, l’appellation antisémite et anticommuniste de « judéo-bolchevique » n’entre pas dans le « logiciel » tel qu’exprimé dans le podcast. Zut, on fait quoi alors ? Plus proche de nous, l’Union Progressiste des Juifs de Belgique doit aussi être heureuse d’apprendre qu’elle est suspecte d’être antisémite, parce qu’inscrite dans un « continuum » ! Quelle bêtise. Sans compter qu’il y a presque un réflexe raciste dans ce discours qui ose affirmer qu’en « Afrique, on a besoin de leaders ». Bah tiens. Les « Africains·es » seront, elleux aussi, content·es de l’apprendre. C’est quoi l’idée derrière, hein ? Pouvez-vous être plus explicite ? En même temps, les leaders africains au service de l’Afrique, l’Occident en a fait quoi ? Qu’est devenu Lumumba ? Sankara ? Assassinés par le « complotisme » ou par les « complots » ? Que la gauche marxiste révolutionnaire ait activement lutté contre Soral et ses copains, jusqu’à lui consacrer un très gros ouvrage juste pour le critiquer, ne semble pas non plus poser de questions.
Soyons clairs : il n’y a AUCUN continuum. Il s’agit d’OPPOSANTS politiques que RIEN ne lie.
Tout est récit : confondre les faits et les discours
Dans cette perspective, la réalité matérielle semble ne plus exister. Il n’y a que des « récits », des « imaginaires », des « discours », des « glissements sémantiques », voire des « hold-up sémantiques », des « symboles cassés » ou au contraire reconstruits, des « idéologies », des « logiciels » de pensée, etc. À quelle matérialité renvoient tous ces concepts ? Peu importe, apparemment. Le discours devient cause et conséquence du réel. « Au commencement était le verbe », n’est-ce pas ?
L’analyse qui s’ensuit est d’une indigence manifeste. « Au plus il y a du symbolisme dans l’actualité, au plus il y aura de complotisme. » Va démontrer une affirmation pareille ! Va la réfuter ! « L’antisémitisme est probablement le discours le plus ancré dans l’histoire de nos sociétés, donc forcément le conspirationnisme est lié à ça. » Va démontrer une affirmation pareille ! Va la réfuter ! Si Thierry Meyssan a eu du succès, c’est parce que le « récit » de Bush n’avait pas convaincu. Va démontrer une affirmation pareille ! Va la réfuter ! Etc.
Marx et Engels ont parfaitement montré, dans ce livre, les dangers de ne voir le monde qu’en termes de « discours »
L’avantage avec une telle façon de voir les choses, c’est précisément que la matérialité des faits passe au second plan. Par exemple, lorsqu’on affirme dans le podcast que le 11 septembre 2001, c’est la fin de deux générations qui n’avaient pas connu la guerre, elle « oublie » opportunément que l’absence de guerres sur NOS territoires ne nous a pas empêchés de massivement la pratiquer…chez les autres. Qui pour oublier le Vietnam et le napalm ? La guerre de Corée ? Les guerres d’indépendance ? Le Congo ? La Rhodésie du Sud ? Les attaques de Cuba, de la république dominicaine, du Panama – et j’en passe – par les USA ? Les souffrances de la Palestine ? La guerre d’Afghanistan ? Les armées occidentales en URSS ? Faut-il ne vivre que dans les discours pour oser affirmer que 2001 marque le retour de la guerre. Ainsi, ce qui est présenté comme « cause » d’une nouvelle perception, AKA « le retour de la guerre », est avant tout une « conséquence » de conflits multiples, et parfois particulièrement sanglants.
Ce n’est PAS du discours. Tout sauf du discours.
Du continuum à la pensée dichotomique
Si, quand l’argument l’arrange, l’intervenante est prête à mettre dans un même sac conceptuel des positions politiques tout à fait opposées, elle sait aussi, là encore quand ça l’arrange, pratiquer la pensée binaire. Ainsi, il y aurait d’un côté les « démocrates » qui ne remettent pas en cause le « système » et de l’autre, des « anti-système » qui tendent vers le « conspirationnisme ». De quel « système » parle-t-on, peu importe apparemment. De quel conspirationnisme parle-t-on, peu importe aussi. L’idée est surtout de construire une opposition artificielle permettant, en miroir, de valider celleux « qui font confiance ».
Jusqu’à un retournement de situation particulièrement surprenant (inquiétant ?) : l’experte nous explique que « le logiciel démocratique a besoin de balises », « de savoir que ça c’est non négociable ». Le doute, la remise en question, l’esprit critique – des notions dont on pensait précisément qu’elles étaient l’indice d’une bonne santé démocratique – deviennent, dans un curieux renversement déjà dénoncé par Charlotte Barbier dans cette conférence, la preuve d’une démocratie qui va mal. L’intervenante ira jusqu’à dire que « le doute est un poison parce que, pour qu’une société fonctionne, elle doit reconnaître des figures d’autorité ». Elle ajoute que « [l]e doute vise à saper la confiance minimale nécessaire ». On croit rêver… Comprenant sans doute l’aberration d’une telle parole, elle est contrainte de compléter : « En dictature ce serait bien, mais en démocratie ça pose problème. » Ah. Et comment-qu’on-sait-qu’on-est-en-démocratie ? Bah parce qu’on y est, non ? C’est simple. Par contre, si les Chinois·es se sentent en démocratie aussi, elleux se trompent, elleux se font avoir par la propagande. Tout ça est d’une telle évidence.
La démocratie, ce n’est PAS la confiance aveugle. C’est, au contraire, le doute rigoureux et la possibilité de demander des comptes.
Révolutions arabes : jamais assez d’ingérences
Le dernier point sur lequel je voudrais revenir est l’approche problématique des mal nommés Printemps arabes. Pour elle, les choses sont limpides : des mouvements démocratiques populaires spontanés, malheureusement non soutenus par l’Occident, ont été réprimés par des dictatures puis des islamistes ont profité du chaos. C’est, en substance, le discours mainstream sur la question. Face à ce discours, le « complotisme » sert à « justifier les dictatures et vilipender les démocraties ». Well, well, well.
Que peut-on dire de cette perspective ? Je ne vais pas revenir précisément sur ces différents points qui mériteraient un article – un livre – rien qu’à ce sujet. Sauf qu’en fait, des livres, il y en a déjà eu. À commencer par ce bouquin de Ahmed Bensaada « Araquesque$ », livre que j’ai eu le plaisir d’éditer chez Investig’Action il y a quelques années. Ce livre revient sur les différents cas égyptien, tunisien, yéménite, algérien, syrien et libyen. Magnifiquement documenté, ce travail explore en détails les liens entre « les mouvements démocratiques » (qui, contrairement à ce qu’affirme le podcast, ne sont ni esseulés et spontanés) et, notamment, « l’administration US ».
J’insiste : PAS de COMPLOT ici. Tout ça est transparent, documenté, connu de toustes, cohérent avec la politique US impérialiste.
Des exemples ? Je n’en prends qu’un par pays. Mais sachez qu’il y en a de nombreux. Tous sourcés dans ce livre que je ne peux que vous conseiller. Vous verrez que les sources ne sont pas d’obscurs blogs conspirationnistes. J’insiste aussi pour dire que l’instrumentalisation par les USA des révoltes ne signifie pas que ces révoltes aient été illégitimes. Ça veut juste dire qu’elles ont été instrumentalisées, ni plus, ni moins. Le dire n’implique ni complot (ce n’est pas caché), ni complotisme (pas de récit sans preuve).
Égypte ? Omar Afifi, ex-policier égyptien exilé aux USA depuis 2008, trois ans avant le « printemps », avait déjà publié sur Youtube des vidéos de conseils au parfait révolutionnaire. Afifi a reçu une bourse de la NED (National Endowment for Democracy) en 2008-2009 (voir p.19 de ce document de la NED).
Tunisie ? Slim Amamou, cyberdissident bien connu de la révolution tunisienne, participait dès mai 2009 à des ateliers organisés au Caire par le gouvernement US et par l’Open Society de George Soros (comme en témoigne cet article du Guardian).
Algérie ? La contestation a été organisée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), parmi laquelle on retrouvait la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Cette dernière a été financée par la NED américaine (National Endowment for Democracy) en 2002, 2004, 2005, 2006 et 2010, pour un montant minimum de 120000$.
Syrie ? Osama Monajed, figure cyberactiviste importante du début du printemps syrien, déclare, dans un documentaire consacré au « philosophe US des révolutions » Gene Sharp, venir à Boston, au siège de l’Albert Einstein Institution depuis « 2006 ou 2007 ».
Libye ? Le véritable échec des révolutions « calmes » chères à Popovic, son plus fidèle artisan au service de l’impérialisme. Impossible de donner « UN » exemple emblématique tant ce scénario est plus proche des ingérences militaires que de la révolution non-violente. Je renvoie à la p.159 du livre de Bensaada pour envisager ça en détails.
Bref, l’important est ailleurs : loin de constater un Occident qui aurait fait preuve de lâcheté en ne soutenant pas les révoltes arabes, on fait au contraire face à un Occident (et surtout les USA) artisan des révoltes et s’assurant de les faire évoluer dans son sens. Ces mouvements démocratiques populaires ne sont pas spontanés, ils sont hyper soutenus par l’Occident que ce soit d’une point de vue financier, logistique et idéologique.
Le lien entre islamistes et Occident mériterait, lui aussi, un traitement particulier mais je n’ai pas le temps de le faire ici. Sachez juste que la ligne de démarcation très claire qui s’emploie à décrire de façon simpliste les « bons » et les « méchants » n’a jamais existé. J’en veux pour preuve les fameux « casques blancs syriens », mis à l’honneur à l’époque par Netflix, des « sauveteurs » dont au moins certains étaient des djihadistes financés par l’USAID (une autre agence US), comme le révélait le célèbre journaliste Max Blumenthal dans ces articles (voir ici et ici).
« Les démocraties occidentales n’ont globalement pas répondu à l’appel des révolutionnaires ». Vraiment ? Ainsi, pouvoir affirmer qu’on est « dans une question de droits de l’homme, pas dans une question de c’est l’impérialisme, c’est le système » est vraiment inquiétant. Un pays démocratique est un pays qui peut décider pour lui-même, sans ingérence, sans instrumentalisation. Ça paraît pourtant assez clair.
Conclusions
Je m’arrête ici de cette analyse déjà beaucoup plus longue que souhaité. Que retenir en quelques mots ?
Chercher « un·e initiateur·rice » au complotisme n’a aucun sens ; on ne peut trouver de source unique à un phénomène qui dit une chose et son contraire
Le terme de « complotisme » en tant que concept ne faisant référence qu’à « un certain type de récit » est non-pertinent puisqu’il ne permet pas de discriminer entre des discours fantaisistes et une analyse matérielle du monde
Reprocher le « confusionnisme » des complotistes en le pratiquant avec ardeur soi-même est contradictoire et ne peut que polariser les débats
Une perspective « discursive » du monde (« idéaliste » auraient dit Marx et Engels) fait courir le risque de nier la réalité matérielle « hors discours », notamment, dans le cas qui nous occupe, les nombreuses guerres, les crimes, les exactions dont l’Occident s’est rendu coupable depuis la fin de la seconde guerre mondiale
Voir le monde en termes binaires « les démocrates » contre les « soutiens aux dictatures » est une insulte à la complexité historique du monde, aux enjeux, aux forces en présence et, au final, à la recherche de vérité
La démocratie exige le doute rigoureux et non la confiance aveugle. L’esprit critique ne se réalise pas dans la soumission à l’autorité, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne
L’Occident, et les USA avant tout, a massivement préparé et soutenu les révoltes dites du « printemps » arabe ; ces dernières ont été instrumentalisées, sans que cela ne dise quoi que ce soit de la légitimité desdites révoltes.
J’attends avec effroi le troisième volet. Bien entendu, je reste ouvert à tout débat contradictoire. Jusqu’ici, cet appel n’a pas été entendu.
Note : Le dossier qui suit est à la fois un travail de vulgarisation et une revue de littérature. Il est évidemment tout à fait possible que des erreurs subsistent. Si c’est le cas, n’hésitez pas à commenter et je modifierai en conséquence.
Un immense merci à mes tipeurices pour leur soutien : fillon, marsxys, g106973983737661016119 et smart684. Si vous aussi pensez qu’un tel travail mérite un soutien financier, vous pouvez vous rendre sur ma page Tipeee.
De très nombreuses questions se posent sur la vaccination contre le COVID. Ces questions sont légitimes. Il est aussi insensé de les balayer d’un revers de main en traitant de « complotiste » toute personne qui s’interroge que de partir du principe que la vaccination en tant que telle serait une erreur parce qu’elle est portée par des entreprises par ailleurs criminelles ou au service d’États oppresseurs.
Dans ce dossier, j’essaie de répondre aux différentes interrogations que j’ai pu voir passer et j’espère que ce dossier viendra compléter les efforts d’informations et de vulgarisation notamment de la Tronche en Biais, ou encore de la page Facebook Toubib or not toubib. Je ne traite pas toutes les interrogations sur les vaccins COVID, mais j’ai sélectionné celles qui me semblaient les plus pertinentes, notamment pour un public dont les valeurs principales sont celles de la justice sociale, de l’anti-impérialisme, de l’anticapitalisme, de l’égalité.
Vous pouvez, en suivant les liens en début d’article, vous rendre directement à la section qui vous intéresse – même si je conseille vivement la première partie du dossier qui revient sur des positionnements épistémologiques : pourquoi croire une source plutôt qu’une autre ?
Comme tout le monde et en particulier comme auteur, j’aime plaire. Pourtant, je n’écris pas pour plaire. Ainsi, depuis le début de mon blog et, plus largement, depuis mes premiers écrits d’analyse, je me suis attiré pas mal de foudres.
Ma critique sur le film Demaina fâché les tenants d’un changement de paradigme par la réforme ; dénoncer les tests de QI a agacé toustes celleux qui voyaient en la reconnaissance de leur « haut potentiel » l’explication ultime et l’excuse implacable à leur mal-être ; l’explicitation de l’impossibilité d’une banque éthique comme NewB a attisé une colère qui m’a moi-même étonné ; mon travail de fond sur la Chine m’a valu les pires insultes – dont celle de « défendre les dictateurs ». En fait, il n’y a que ma dénonciation du capitalisme qui ne m’apporte aucune critique, tant les vrais ennemis savent combien je ne suis pas dangereux pour eux. Constat accablant.
Ce n’est pas quelque chose que j’apprécie, mais j’ai pris l’habitude de ne pas plaire, car il me semble que l’on gagne toujours, au moins à long terme, à chercher la vérité (sachant, bien entendu qu’en tant que discours sur le réel, la vérité n’est jamais qu’une perspective, qu’on espère correspondre le plus précisément à la réalité). Quand bien même cette recherche de vérité pourrait ne pas plaire à mon propre camp politique. Il en allait ainsi avec le film Demain, il en va sans doute pareillement de cet article sur la vaccination face au COVID.
Je nourris le souhait que, quelle que soit votre position actuelle sur les vaccins, c’est sur la base des arguments et non d’un rapport émotionnel (bien compréhensible au demeurant) que vous changerez ou non d’avis.
Je n’ai, jusqu’ici, presque pas écrit sur le COVID.
Non par peur, mais par ignorance. Je ne suis ni virologue, ni épidémiologue, ni chercheur en pharmacie, ni médecin, ni psychologue, ni psychologue social, etc. Beaucoup ont parlé sans savoir, beaucoup ont dit d’énormes âneries qu’ils ont ou auront à regretter. De plus, dans la plupart des grandes questions qui ont nourri le débat public, nous manquions de recul : quelle position adopter sur les masques ? Quid de la chloroquine ? Qui des rassemblements en extérieur ? Etc. Tant que suffisamment d’études fiables n’étaient pas produites, il était, comme citoyen.ne, beaucoup plus sain de suspendre son jugement. Ne pas prendre position en situation d’ignorance me semble être la position intellectuellement la plus saine.
Les politiques, au contraire, n’ont pas le choix de l’action. La suspension du jugement, se traduisant par l’inaction, peut avoir des conséquences dramatiques. Et, autant il me semble que nous DEVONS critiquer l’action de nos gouvernements, autant reconnaître la difficulté de la décision en situation d’incertitude relève de la simple honnêteté. Bien entendu, comme le montre très bien Michel Collon dans son livre Planète malade, tous les pays n’ont pas agi d’une manière aussi catastrophique que la nôtre. Prendre de bonnes décisions était possible, si nous n’avions pas été aveuglés par le besoin de profit.
Il y a, sur la question de la vaccination, une différence essentielle avec mes autres analyses et que je voudrais m’atteler à clarifier dans cet article. En ce qui concerne la vaccination, même comme citoyen.ne, il n’est pas possible de ne pas prendre position. Que l’on se vaccine ou que l’on ne se vaccine pas, notre choix aura des conséquences sur la collectivité. La suspension du jugement doit être décorrélée de l’action à proprement parler et c’est la raison pour laquelle l’analyse précise des arguments doit présider aux choix que nous prendrons de nous faire ou pas vacciner.
Enfin, ici comme dans mes articles précédents, je tiens à garder une position rationnelle, c’est-à-dire à mettre en accord mes positions avec l’état des connaissances. Adopter donc une position avec l’outil le plus adapté : la science. Je ne suis pas ici en train de dire que la science explique tout. Notre vie est pleine de phénomènes qui nous traversent et que la science ne peut expliquer. Dire les réactions chimiques de notre corps quand nous sommes amoureux ne dit en fait rien de l’amour. Dire ce qui se passe dans le cerveau pendant que nous rêvons ne dit rien des émotions qui nous étreignent pendant un cauchemar. Une explication scientifique de la beauté d’une œuvre d’art pèse peu au regard du ressenti. Etc.
Mais lorsque la science peut nous éclairer, elle le fait comme aucune autre esthétique, aucune autre pratique, aucune émotion ne peut le faire. D’ailleurs, indépendamment des positions des un.es et des autres sur les vaccins, nous faisons toustes confiance à cette science lorsque nous donnons notre avis sur Facebook (dont la technologie sur laquelle la plateforme repose est une trouvaille scientifique) et, en fait, à chaque moment de notre vie – depuis la machine à café du matin, la voiture, l’éclairage public, les plats surgelés, le PC pour le taf, les machines pour creuser les rues. La science est extrêmement puissante.
La puissance de la science tient aussi à ce qu’elle n’a aucune certitude. Elle se base sur des hypothèses. Par exemple : « La chloroquine est efficace au-delà de ce qui est statistiquement attendu pour un placebo ». Dans un deuxième temps, elle tente de réfuter son hypothèse, c’est-à-dire de la mettre à l’épreuve. Un peu comme si vous construisiez un bateau, vous allez le mettre à l’eau, le mettre à l’épreuve pour vous assurer qu’il ne coule pas. S’il coule, vous savez que votre technique ou que vos matériaux ne sont pas les bons. Vous aurez « réfuté » votre hypothèse et pourrez chercher une autre technique ou d’autres matériaux. Si votre bateau ne coule pas, vous allez considérer que c’est, jusque-là, votre meilleur bateau, donc votre meilleure hypothèse…jusqu’à ce qu’il coule, ou que quelqu’un d’autre invente un bateau plus performant, plus solide, plus léger, plus rapide, moins cher. Voilà pourquoi les études scientifiques sont si importantes : ce sont elles qui permettent de décider de la solidité d’une hypothèse. Ainsi, dans la suite de l’article, je ne me contenterai pas de « faire confiance » à une personne, même convaincante, mais je me fierai à des études qui respectent le protocole expliqué ci-dessus de mise à l’épreuve des hypothèses. Et il se peut qu’une étude citée soit un jour retirée parce qu’elle ne respecte finalement pas la rigueur attendue. C’est rare, mais ça arrive.
Ça veut dire que ce qu’on croyait juste hier pourrait être contredit par de nouvelles études demain. Et c’est extrêmement frustrant bien sûr. À quoi bon mettre sa confiance dans une parole qui est susceptible de changer le lendemain ? Mais le contraire est encore pire : qui ferait confiance à quelqu’un affirmant qu’il ne changera pas d’avis même si on lui prouvait qu’il avait tort ? Imaginez un juge qui, mis devant les preuves de l’innocence de l’accusé, le condamnera quand même parce que la culpabilité de cet homme était son hypothèse de départ ? Ainsi, de premières études et l’expérience de terrain ont pu laisser penser que la chloroquine était efficace mais les différentes méta-analyses (des études rassemblant les données de plusieurs autres études) ont montré que, non, le protocole Raoult ne l’était pas (voir par exemple la revue systématique du British Medical Journal).
La science est capable de dire : « On n’est pas sûr, donc on continue à chercher ». La science est imparfaite, mais elle restera toujours plus fiable que l’absence de science ; de même qu’un tribunal est imparfait mais qu’il restera toujours plus souhaitable que l’absence de jugement.
Il faut bien comprendre que la science n’est pas l’affaire d’individualités, le caractère séduisant d’un discours ou d’une personne ne garantit en rien sa pertinence. ; chaque nouvelle connaissance s’appuie sur les recherches de milliers, de millions, d’autres chercheurs en d’autres lieux, à d’autres époques. Newton le disait déjà et d’autres sans doute avant lui.
Les recherches sont maintes et maintes fois remises sur le métier et les conclusions s’affinent de plus en plus. S’affinent. Ça veut dire qu’il n’y aura pas de « grande révolution ». Les révolutions, même paradigmatiques, dans l’histoire des sciences sont non seulement immensément rares, mais qui plus est ne remettent en question que de façon marginale les conclusions précédentes. Si Einstein a bouleversé la physique, jusqu’à contredire radicalement la perspective de Newton, il n’en reste pas moins vrai que la plupart du temps les équations de Newton continuent de très bien fonctionner. Affiner, plus que révolutionner. Et c’est bien la première fois qu’on me prendra en flagrant délit de soutenir la voie de la réforme !
Par exemple, il n’y aura pas d’étude révolutionnaire prouvant, en une fois, la validité du protocole Raoult. Il faut bien comprendre ici l’effet statistique. Ce qui prouve l’absence d’intérêt de la chloroquine pour soigner et guérir le COVID, ce n’est pas une étude, c’est un ensemble d’études. Peut-être y a-t-il une étude ici ou là qui montre un effet significatif de la chloroquine, de la même façon que vous pourriez jouer à la roulette et voir la bille s’arrêter six fois d’affilée sur une case rouge. Est-ce à dire que vous devriez jouer le rouge ? Non. Ce qui compte, c’est l’effet statistique. Si, au bout de la soirée, la distribution des couleurs est normale, c’est-à-dire que la bille est tombée à peu près autant de fois sur le rouge que sur le noir, vous savez qu’il n’y aurait eu aucune raison de jouer le rouge plus que le noir. Si au bout de la journée, la bille est tombée beaucoup plus souvent sur le rouge, alors vous pourriez commencer à suspecter un effet de la roulette, peut-être truquée. Si cette tendance se confirme après une semaine, votre méfiance devrait être de plus en plus grande… Mais dans le cas qui nous occupe, la case « chloroquine » n’est pas sortie plus souvent que n’importe quelle autre case placebo. Fin de l’histoire.
Il en va de même avec les témoignages et les événements (presque) isolés, du style « je connais deux trois journalistes qui ont été sauvés par l’ivermectine », comme l’affirmait Martin Zizi dans un entretien avec BAM. Outre le fait qu’on aimerait bien savoir comment ce monsieur est capable, à distance, de faire le lien de causalité entre les soins, la guérison et la prise du médicament, on est face ici à un biais cognitif relatif à la force de conviction d’un témoignage.
Bien sûr, vous trouverez toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un qui pense avoir été sauvé avec de l’hydroxychloroquine, ou qui aurait eu une thrombose après la vaccination (témoignages souvent difficiles, voire impossibles, à recouper), ou encore cette maison de repos dans laquelle plusieurs personnes vaccinées ont malgré tout contracté le COVID (amené par un.e membre de la famille ou un.e soignant.e peut-être non-vacciné.e, soit dit en passant). Outre les « détails » qui n’en sont pas (depuis combien de temps étaient-iels vacciné.es ? Combien de doses ? Les symptômes sont-ils graves ?), on note le caractère exceptionnel de ce genre de récit. Trois ou quatre EHPAD concernées sur 7500, ça fait 0.05%. Autant dire rien du tout, d’un point de vue statistique. C’est aussi mon plus gros problème avec des organes de presse alternative qui ont fait leurs choux gras d’une couverture hyper critique et, de mon point de vue, frisant avec le complotisme, lors de cette crise COVID en faisant la part belle aux opinions, aux témoignages de non expert.es et sans aucune rigueur scientifique.
Je veux être clair : les craintes quant aux positions de nos gouvernements et aux pratiques des industries pharmaceutiques sont tout à fait légitimes. Il est absolument nécessaire d’être vigilant quant à ce que les mesures prises soient en accord avec les nécessités sanitaires. Par ailleurs, il y a une multitude d’arguments contre la vaccination qui sont absolument pertinents. Si mon hypothèse de départ est « la vaccination est efficace, il faut l’appliquer massivement », je dois aussi chercher à la réfuter, la mettre à l’épreuve. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé dans cet article de regrouper les arguments opposés à la vaccination que j’ai pu trouver et de voir ce que les études en disent.
J’ai divisé les arguments en trois grandes catégories : 1) La première porte sur l’efficacité des vaccins et les questions qui en découlent sur l’immunité naturelle, les contaminations qui continuent, les nouveaux variants, les traitements médicamenteux ; 2) la seconde porte sur les risques liés à la vaccination – car un vaccin très efficace peut aussi être dangereux. J’y aborde le développement du vaccin, les effets secondaires, la pharmacovigilance, le caractère inédit de vaccins à ARN ; 3) La dernière partie aborde les questions éthique et politique, le rapport à la liberté, la censure, la stigmatisation des personnes non-vaccinées, la confiance à accorder à des personnes qui ne la méritent pas.
Ce travail est un point à un instant « t ». Il est susceptible d’évoluer, également en fonction des commentaires dans lesquels je demanderai aux lecteurices de rester courtois. Bonne lecture.
Efficacité
Le vaccin ne protège pas contre les formes graves
C’est une première idée reçue : les études et les chiffres sont très clairs. Un article du Lancet de mai 2021 conclut que deux doses du vaccin Pfizer sont hautement efficaces, quel que soit le groupe d’âge, et cela « pour empêcher les infections symptomatiques et asymptomatiques, les hospitalisations, les formes graves et la mortalité, ceci incluant le variant B.1.1.7 », aussi appelé variant alpha. L’incidence du virus était inversement proportionnelle à l’étendue de la vaccination – ce qui a amené les chercheur.es à affirmer, dans leurs conclusions, que la vaccination « peut aider à contrôler la pandémie ».
Un article du Monde du 27 juillet 2021 revient en particulier sur la mortalité et montre que les pays qui ont le plus vacciné sont aussi ceux où l’on meurt le moins, malgré l’arrivée du variant delta – ce qui complète les informations du paragraphe précédent. Notons qu’aucun de ces pays, par ailleurs, ne semble avoir atteint un taux de vaccination suffisant pour assurer une immunité collective, quand bien même les frontières seraient fermées. A contrario, on note une flambée des cas dans les pays qui n’ont pas accès aux vaccins et une mortalité importante. Autrement dit, c’est encore une fois le capitalisme qui tue massivement. Le problème, ce n’est pas le vaccin, c’est la propriété privée des vaccins.
Le vaccin n’empêche pas les contaminations
Un argument qui revient souvent est le suivant : à quoi bon s’injecter un truc dans le corps si ledit truc est incapable d’arrêter les contaminations ? L’argument pose problème. Diriez-vous qu’il n’y a pas d’intérêt à mettre sa ceinture de sécurité alors que celle-ci ne pourra vous sauver à coup sûr en cas d’accident ? Bien sûr que non.
Comme la ceinture de sécurité réduit fortement la gravité d’un accident que vous pourriez subir, si les vaccins réduisent la quantité de contaminations d’une part, et leur qualité – c’est-à-dire la charge virale -, alors ils sont bénéfiques.
L’article du Lancet cité plus avant indiquait déjà que le vaccin est efficace contre les infections, mais cet article ne portait pas précisément sur la question de la transmission. Un article récent paru dans News Medical Life Sciences, une revue de vulgarisation, indique qu’il y a aujourd’hui peu d’études permettant de répondre à la double question de la transmission du virus par des personnes vaccinées et de la charge virale contenue dans une potentielle transmission.
Les quelques études produites (on trouvera, sur cette question, une revue de littérature de juin 2021 tout à fait pertinente publiée par la Santé publique de l’Ontario, et on peut également se référer à ce récent preprint) indiquent une réduction de la transmission au sein des ménages et parmi les soignant.es qui sont vacciné.es, là où des études précédentes indiquent une réduction de la charge virale, ce qui participe à réduire les risques de propagation virale. Des personnes qui auraient pu se retrouver en soins intensifs ne feront par exemple qu’une version légère de la maladie. Encore une fois, vous trouverez sans aucun doute des contre-exemples, mais ce qui importe, comme dit plus haut, c’est l’échelle globale, pas l’un ou l’autre contre-exemple instrumentalisé pour servir une cause.
Un autre article en preprint, cette fois mis en ligne par l’Institut Pasteur fin juin 2021, basé sur une modélisation mathématique et un scénario de vaccination où 70% des 18-59 ans sont vaccinés, anticipe une transmission du virus 12 fois plus élevée chez les personnes non-vaccinées que chez les individus vaccinés. L’article indique que « de toutes les mesures considérées, incluant des tests répétés et des mesures non pharmaceutiques (NDA comme la distanciation sociale, les couvre-feux, le confinement, etc.), la vaccination des non-vacciné.es reste la plus efficace ». Par ailleurs, « vacciner les enfants est important pour les protéger des effets délétères des mesures non pharmaceutiques » – comme le port du masque, les contacts sociaux réduits, etc.
Autrement dit, se vacciner permettrait à la fois de réduire la circulation du virus, sa dangerosité et les effets négatifs des lockdown, distanciation, événements annulés, etc.
On pourrait se demander ce que change le variant delta dans ce contexte. Sur base des données disponibles, le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) indique que le variant delta serait de 40 à 60% plus contagieux que le variant alpha. Dans la mesure où une personne complètement vaccinée est presque aussi bien protégée du delta que de l’alpha, on voit combien la vaccination est essentielle. Il est sans doute trop tôt pour avoir des publications valables concernant l’efficacité des vaccins concernant la transmission et la charge virale appliquées spécifiquement au variant delta.
On va nous sortir une troisième dose, puis une vaccination annuelle
Il faut d’abord être très clair quant au fait que plusieurs doses et « rappels » pour des vaccins, ça n’a rien d’exceptionnel. Des rappels sont ainsi recommandés pour réactiver les défenses immunitaires contre la coqueluche, la diphtérie et le tétanos. On ne doit pas y voir « l’inefficacité » des vaccins, mais au contraire leur efficacité dans leur capacité à pousser notre organisme à nous défendre.
D’autre part, des vaccins annuels existent, comme ceux contre les virus de la grippe qui se modifient en permanence. Une situation comparable avec le coronavirus ne serait pas surprenante et ne permet pas, non plus, de conclure à une inefficacité des vaccins. Un article très intéressant, publié par la revue Nature, revient en détails sur les challenges, les possibilités, les difficultés et les promesses de l’adaptation des vaccins aux potentiels futurs variants.
Outre ces éléments, une troisième dose peut être l’indice de trois choses :
1) une efficacité moindre que prévue, notamment vis-à-vis des nouveaux variants. Nous avons déjà exploré cette question supra pour les variants connus, mais on ne peut évidemment anticiper l’efficacité des vaccins sur les variants futurs ;
2) l’immunité acquise grâce au vaccin peut décroître avec le temps. Il existe peu d’études – logiquement, puisqu’on ne peut aller plus vite que le temps ! – permettant d’en savoir plus et nous sommes ici dans l’incertitude, bien qu’un article lui aussi paru dans la revue Nature fin juin 2021 semble aller dans le sens d’une immunité durable ;
3) la grande cupidité des industriels qui trouvent dans la crise une très bonne façon de se remplir les poches. Pfizer pourrait pousser à l’exigence d’une 3ème dose, indépendamment des exigences sanitaires. Pourquoi ? Pour le fric. Ainsi la firme Pfizer anticipe un chiffre d’affaires record de 78 milliards d’€ et voit déjà son bénéfice net trimestriel s’élever à 5,5 milliards d’€. Sachant que c’est la collectivité des pays riches qui paie, que tout cela a été possible grâce à des chercheur.es initialement formé.es avec de l’argent public, avec de nombreuses études pour contrôler, évaluer, mesurer les vaccins réalisées également avec de l’argent public et sachant que les pays qui n’ont pas les moyens (parce qu’on les leur vole) sont laissés de côté sans état d’âme, il y a de quoi être profondément révolté.es.
Avec ces trois éléments bien en tête, nous serons en mesure de jouer, si nécessaire, notre devoir de citoyen.ne.
Que fais-tu d’Israël où ça remonte en flèche malgré le vaccin ?
Le cas d’Israël est particulièrement intéressant et interpellant, dans la mesure où c’est un pays où l’on a vacciné massivement et très vite. On trouvera plusieurs ressources qui abordent la question d’Israël qui voit un nouveau pic dans ses contaminations malgré une vaccination massive. Associated Press a analysé la situation fin juillet 2021, le Washington Post à peu près au même moment. On est ici typiquement dans une « guerre des chiffres » et donc un risque d’instrumentalisation de ceux-ci.
Que pouvons-nous dire aujourd’hui ?
Source : ourworldindata.org
Depuis la fin mars 2021, le taux de vaccination en Israël stagne et, à l’heure d’écrire ces lignes, 62 % de personnes sont complètement vaccinées en Israël, ce qui est insuffisant pour une immunité collective, même vis-à-vis des premières estimations, avant le variant delta, estimant à 70% le taux de vaccination minimal. À celleux qui se poseraient la question, le taux de vaccination complète auquel arriver pour atteindre cette immunité est impossible à anticiper, notamment parce qu’il dépend de données indisponibles, comme les nouveaux variants, la contagiosité malgré le vaccin, etc.
Lorsque la vie « normale » reprend, les contacts sociaux reprennent également et avec eux, la diminution des gestes barrière. Par conséquent, le virus peut à nouveau circuler plus facilement.
Il semble que la plus grande contagiosité du variant delta ait des effets importants sur le pic de contaminations que connaît Israël aujourd’hui ; presque toutes les nouvelles contaminations sont dues à ce variant.
Par contre, s’il est vrai que le nombre de cas réaugmente en Israël, la courbe de la mortalité n’est jusqu’ici pas corrélée à celle des cas. Autrement dit : certes le virus circule, ce qui est essentiellement dû à la contagiosité du variant delta, mais grâce au vaccin, il ne fait presque plus de dégâts. On ne peut mettre en cause ici l’efficacité du vaccin mais seulement une éventuelle (et j’insiste sur « l’éventuelle ») immunité qui décroît, voir à ce propos l’excellent thread sur Twitter de Dvir Aran, relayé par la vidéo de la tout aussi excellente chaîne Osons causer.
Il faut tenir à l’œil l’immunité éventuellement décroissante et la mettre en lien avec les autres données à notre disposition qui, parfois, se contredisent (voir la section précédente sur la possible nécessité d’une troisième dose).
En Angleterre, il y a plus de morts vaccinés que non vaccinés ?
Dans un rapport officiel paru fin juin 2021, à la page 14, on peut lire qu’il y a eu plus de morts du COVID parmi les personnes vaccinées que parmi les personnes non vaccinées : un total de 50 morts chez les vacciné.es de plus de 50 ans et de 38 morts chez les non vacciné.es. N’est-ce pas ici une preuve empirique très claire de l’inefficacité des vaccins ?
En fait, pas du tout. Nous avons ici à faire avec un biais de raisonnement bien connu. Tout dépend du nombre de personnes vaccinées, comme l’explique très bien le journal le Monde. Ainsi, dans la mesure où il y a beaucoup plus de personnes vaccinées (plus de 20 millions pour au moins une dose) que de personnes non vaccinées (0,78 millions), ces mêmes chiffres indiquent qu’une personne non vaccinée a vingt fois plus de risques de décéder du variant delta qu’une personne vaccinée (0,26 décès pour 100.000 personnes contre 4,89 décès pour 100.000 personnes).
Je ne peux que conseiller aux lecteurices d’aller voir la vidéo de M. Phi sur la loi de Bayes pour comprendre le biais de raisonnement caché derrière cet argument, et pour ne plus se faire avoir la prochaine fois.
De toute façon, les vaccins ne sont pas efficaces contre les variants
Deux éléments ici : 1) Les vaccins sont-ils efficaces contre les actuels variants ? ; 2) Les vaccins seront-ils efficaces contre les prochains variants ?
Une étude de référence, parue fin juillet 2021 dans le New England Journal of Medicine et financée par le service public anglais, donne des indications sur la première de deux questions. Comme toujours, une étude doit être corroborée par d’autres études et comparée avec les données empiriques à disposition (notamment en gardant à l’œil le cas d’Israël, en tant que pays ayant vacciné très tôt, et pour lesquels des questions se posent – pas tant sur l’efficacité du vaccin que sur le maintien dans le temps de l’immunité acquise).
Cette étude est pertinente parce qu’elle analyse les deux types de vaccins conçus pour lutter contre le COVID : le vaccin à ARN messager (BNT162b2) et le vaccin à vecteur viral vivant non réplicatif (ChAdOx1 nCoV-19).
Quels sont les résultats ? D’abord que l’efficacité des deux vaccins était significativement moindre après une seule dose parmi les personnes contaminée par le variant delta que par le variant alpha. En revanche, l’efficacité du vaccin à ARN après deux doses reste extrêmement haute pour les deux variants (93,7% pour l’alpha, 88% pour le delta). Pour le vaccin à vecteur viral vivant non réplicatif, l’efficacité après deux doses était de 74,5% pour le variant alpha et de 67% pour le variant delta.
L’article indique donc qu’il n’existe « que des différences modestes dans l’efficacité des vaccins avec le variant delta comparée au variant alpha après l’injection des deux doses ». Les auteur.es concluent sur la nécessité de maximiser la vaccination avec deux doses, surtout parmi les populations les plus vulnérables.
Qu’en sera-t-il de l’efficacité des vaccins sur les prochains variants ? Hé bien, malheureusement, il est impossible d’anticiper quoi que ce soit. Deux théories s’opposent à ce sujet : la première voudrait que la vaccination produise de nouveaux variants ; la seconde, au contraire, indique qu’en réduisant la circulation du virus par la vaccination, on diminue d’autant la capacité du virus à muter. C’est cette question que je propose d’analyser maintenant.
Vacciner produit de nouveaux variants
Si vacciner produit de nouveaux variants, il y aurait peu de sens à vacciner massivement. En effet, on se retrouverait dans une course contre la montre perpétuelle. Si, au contraire, vacciner permet de réduire la production de nouveaux variants, alors la vaccination est cruciale parmi les stratégies à adopter.
Charles Darwin, père de la théorie de l’évolution Source : Wikicommons
Première question : est-ce que l’absence de vaccination empêche l’apparition de nouveaux variants ? La réponse ici est très claire : non, pas du tout. Parce qu’il s’agit ici d’un phénomène connu de l’évolution. Comme le rappelle l’Alliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation, un partenariat public-privé sur les questions d’immunisation, les virus mutent continuellement : « La plupart de ces mutations n’ont pas de conséquences [mais], occasionnellement, une mutation renforce la capacité du virus à se répliquer, à se transmettre ou à échapper à notre système immunitaire ». Ainsi, « parce que les virus porteurs de telles mutations ont plus de succès, ils ont tendance à concurrencer les autres virus et à se propager dans la population humaine ». On comprend donc que, vaccins ou pas, de nouveaux variants apparaissent.D’ailleurs le variant alpha, d’abord appelé « variant britannique » est apparu avant la vaccination des populations.
Deuxième question : quel rôle la vaccination peut-elle jouer face à cette tendance naturelle des virus, comme tout organisme, à muter ? Hé bien comme l’explique un article de la mi-mars 2021 de la revue Nature, « au plus le virus prend de temps pour se transmettre, au plus il faudra de temps pour que de nouveaux variants émergent et se propagent ». Or, on l’a vu, les données laissent penser que la vaccination diminue à la fois la charge virale et la contagiosité, réduisant par conséquent la circulation du virus et donc sa capacité à produite de nouveaux variants. En effet, l’Organisation Mondiale de la Santé l’explicite : « Quand un virus circule largement dans une population et cause de nombreuses infections, la probabilité que le virus mute augmente. Au plus le virus a d’opportunités de se propager, au plus il se réplique – et au plus il a d’opportunités de subir des changements ». Évidence mathématique.
En dépit de cette évidence « mathématique » et contre l’avis des scientifiques et des institutions citées ci-dessus, certain.es comme Christian Vélot, biologiste et homme politique, membre du conseil scientifique du CRIIGEN, expliquent que se faire vacciner serait, au contraire, faire preuve d’une irresponsabilité collective. Selon lui, « il faut laisser un échappement contre de nouveaux variants [avec] des personnes non vaccinées ».
La chaîne Youtube de la Tronche en Biais revient sur cet argument dans une vidéo du 23 juillet 2021 et c’est sur base de cette vidéo que j’y réponds ici. Avec une perspective évolutionniste, Christian Vélot suppose que la vaccination sélectionnerait les variants les plus résistants, et donc potentiellement les plus dangereux, en éliminant ceux contre lesquels elle peut lutter. Une proposition tout à fait censée. Par conséquent, il faudrait y réfléchir à deux fois avant de se faire vacciner.
Qu’en penser ?
D’abord, comme on a commencé par le dire, avec ou sans vaccination, il y a une compétition entre les variants viraux. À coté de cet aspect fondamental, il existe trois scénarios : 1) la vaccination est trop faible pour avoir un effet sur les variants ; 2) la vaccination est assez étendue pour effectivement induire une pression de sélection sur les variants qui peuvent lui résister ; 3) la vaccination est grandement étendue, la circulation du virus largement réduite et, comme dit plus haut, la probabilité qu’un tel variant apparaisse est minime.
Autrement dit, il faut absolument viser le plus haut niveau de vaccination possible et non pas le contraire, tout en maintenant les gestes barrière. Ces deux mesures ensemble limitent très fortement la circulation du virus et donc sa capacité à muter. Cette argumentation théorique, comme le dit Thomas Durand de la Tronche en Biais, trouve par ailleurs son illustration empirique : « Dans l’histoire du COVD19, les variants les plus dangereux […] sont apparus dans des populations non vaccinées ou très peu vaccinées ». Une étude, toujours en preprint, indiquerait que « les pays qui vaccinent le plus voient la diversité des virus diminuer, autrement dit, plus on vaccine, moins il y a de variants ». Et Durand de conclure que les « non vaccinés représentent un réservoir à mutants et donc une menace pour les vaccinés qui ne sont jamais immunisés à 100% ». C’est l’hésitation vaccinale qui est dangereuse et non la vaccination.
Pourquoi vacciner tout le monde ? Vacciner les plus faibles suffirait
La conclusion de la section précédente est déjà une réponse à cette question : vacciner le plus de monde possible est une barrière contre la production de nouveaux variants et contre la circulation du virus. Cet argument à lui seul devrait suffire.
Toutefois, un autre aspect fondamental est qu’une vaccination la plus étendue possible protège également les personnes qui, pour des raisons médicales, ne peuvent être vaccinées ou voient l’efficacité de la vaccination moindre sur elles. Il y a bien sûr les personnes allergiques aux vaccins, les cas sont exposés sur la page du CDC avec les différentes possibilités qui leur sont offertes.
Un article de mars 2021, paru dans Clinical Immunology, invite également à la prudence les jeunes patientes déjà affectées ou qui ont des prédispositions aux troubles auto-immunes ou auto-inflammatoires, en ce qui concerne le vaccin à ARN : « Selon les données épidémiologiques, ces sujets peuvent développer l’infection [auto-immune] de manière asymptomatique ou pauci-symptomatique ». Ainsi, « l’administration d’un vaccin à base d’acide nucléique peut plutôt exposer ces personnes à des effets secondaires immunologiques indésirables ».
Vacciner seulement « les plus faibles » laisse également penser que la maladie du COVID ne pose problème que lorsqu’elle tue. C’est une aberration. Au-delà des morts, les malades même jeunes peuvent avoir des séquelles sur le long terme – ce qu’on appelle le « COVID long », ce qui discrédite les propos de Martin Zizi sur ce point. Et, bien entendu, il est impossible d’anticiper en quelle mesure une jeune personne non vaccinée sera plus ou moins sensible à la maladie.
Ne négligeons pas les très rudes problèmes de santé mentale conséquents aux COVID longs, lesquels concernent également des personnes qui n’ont pourtant pas subi un COVID « sévère ». L’institut John Hopkins explique que « le SRAS-CoV-2 peut attaquer le corps de diverses manières, causant des dommages aux poumons, au cœur, au système nerveux, aux reins, au foie et à d’autres organes ». Les problèmes de santé mentale peuvent être causés par « le deuil et la perte d’un.e proche, de la douleur ou de la fatigue non résolues, ou d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) après un traitement dans l’unité de soins intensifs (USI) ». Les symptômes durables les plus courants sont « la fatigue, l’essoufflement, la toux, les douleurs articulaires et thoraciques ». D’autres problèmes incluent « des problèmes cognitifs, des difficultés de concentration, une dépression, des douleurs musculaires, des maux de tête, un rythme cardiaque rapide et une fièvre intermittente ».
Enfin, dans la mesure où on voit bien que la courbe des hospitalisations remonte elle aussi, n’oublions pas que l’occupation des lits d’hôpitaux pose problème parce que les patients COVID requièrent des soins qui pourraient être dédiés à d’autres types de malades et coûtent également de l’argent public – quand bien même ces hospitalisations ne mèneraient pas à un décès.
On est déjà tous immunisé.e
Un autre argument voudrait qu’il n’est pas nécessaire de se faire vacciner puisque nous aurions déjà une immunité naturelle.
Dans le premier scénario, notre système immunitaire, indépendant d’une infection préalable au COVID, se défend comme il le fait avec n’importe quelle autre maladie. Infecté, on peut faire la maladie mais le corps a les ressources pour la contrer. Pour l’immense majorité de la population, c’est amplement suffisant et on ne manquera pas de présenter des chiffres qui montrent combien le COVID est une maladie « anodine », parce qu’elle n’aura pas tant tué, parce qu’elle tue moins que la pollution de l’air, parce que ce n’est souvent qu’une grosse grippe, etc. Je réponds à cette question « éthique » infra.
Dans le second scénario, nous avons déjà été infecté par le COVID et notre corps a pu produire des anticorps spécifiques face à la maladie. Plusieurs questions se posent à ce stade : 1) L’immunité naturelle est-elle suffisante pour contrer le virus, protège-t-elle longtemps ? ; 2) Est-elle utile pour lutter contre la circulation du virus ? ; 3) Quels sont les avantages et les désavantages d’une immunité naturelle versus une immunité vaccinale ?
Plusieurs études montrent que l’immunité acquise suite à une infection est efficace et durable, en tout cas à moyen terme. Notons cette étude publiée en octobre 2020 par le New England Journal of Medicine et cette autre étude publiée par le Lancet en avril 2021 qui conclut sur le fait que « des antécédents d’infection par le SRAS-CoV-2 étaient associés à un risque d’infection réduit de 84 % ». Autrement dit, « une infection antérieure par le SRAS-CoV-2 induit une immunité efficace contre les infections futures chez la plupart des individus ». Quant aux promesses de l’immunité dite « croisée », à savoir une immunité naturelle acquise sans avoir été exposé au virus, c’était une théorie – notamment – du Pr. Raoult qui lui avait fait dire qu’il n’y aurait pas de seconde vague… On voit aujourd’hui à quel point ce dernier était dans l’erreur.
L’immunité naturelle implique donc une infection préalable. Or, une infection préalable suppose, collectivement, que le virus circule – ce qu’il faut éviter au maximum, comme on l’a vu plus haut, pour ne pas favoriser l’émergence de nouveaux variants – mais cela suppose aussi, individuellement, une infection qui potentiellement vous impose des problèmes de santé mentale à long terme, vous envoie à l’hôpital, aux soins intensifs…ou à la morgue. Une fois qu’on a développé cette immunité naturelle, on participe moins à la circulation du virus, ce qui est une bonne chose. Encore faut-il, bien sûr, que cette immunité naturelle soit comparable à l’immunité vaccinale.
Nous pouvons conclure que, dans la mesure où personne ne sait comment son propre corps réagira et quelle sera la qualité de sa propre réponse immunologique naturelle, la vaccination est le choix le plus rationnel.
De plus, il semble que, vacciné ou non, notre corps peut s’adapter, comme le montre une étude parue dans Nature en Janvier 2021. La vaccination n’empêche donc pas le corps de « continuer à travailler ».
L’idée est, par conséquent, de mettre toutes les chances de son côté : 1) Viser un taux mondial de vaccination le plus haut possible, d’autant que, comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé : « La proportion de la population qui doit être vaccinée contre le COVID-19 pour commencer à induire une immunité collective n’est pas connue ». Cette proportion variera certainement « en fonction de la communauté, du vaccin, des populations prioritaires pour la vaccination et d’autres facteurs ». On voit bien avec Israël combien cette question est difficile et pourrait (au conditionnel) contredire les premières projections ; 2) Profiter des capacités de notre corps à se défendre naturellement et à s’adapter aux prochains variants.
À quoi bon se vacciner, il existe des médicaments efficaces comme l’ivermectine et l’amantadine
On ouvre ici un sujet particulièrement sensible et dans lequel il n’est pas facile de se faire un avis. C’est le cas depuis le début de la crise, on se souvient bien entendu du Pr. Raoult et de son « protocole » à base d’hydroxychloroquine.
Commençons par « le plus évident » : les antibiotiques. Pourquoi ne pas les utiliser ? Hé bien avant tout parce que les antibiotiques sont utiles contre les bactéries et non contre les virus. Dans le cas du COVID, qui met en jeu un virus, il n’y a de sens à utiliser les antibiotiques que dès l’instant où une infection bactérienne s’est ajoutée à l’infection virale.
Ivermectine Source : Wikicommons
Venons-en maintenant aux médicaments les plus controversés. On commence avec l’ivermectine qui, selon M. Wathelet (rien à voir avec moi…), est efficace contre le COVID. L’Organisation mondiale de la santé, contrairement à ce qu’on pourrait croire, a adressé sérieusement cette question et conclut que « les preuves actuelles quant à l’usage d’ivermectine sur des patients COVID ne sont pas concluantes ». L’usage d’ivermectine devrait être, pour l’instant, « réservé à des essais cliniques ». On peut trouver la justification complète de l’OMS, qui est en soi intéressante, ici. L’article scientifique justifiant principalement cette décision a été publié par le British Medical Journal et date de mars 2021 ; concernant l’ivermectine en particulier, ce papier conclut à des effets « évalués comme étant de très faible certitude pour tous les résultats critiques, y compris la mortalité ».
L’OMS « refuse-t-elle » d’explorer la piste de l’ivermectine ? Pas du tout. Elle dit juste que « ce n’est pour l’instant pas concluant ». Grosse différence. Serait-ce pour « protéger » l’industrie pharmaceutique et s’assurer qu’elle conserve ses profits ? Ce serait surprenant dans la mesure où des études précédentes ont montré qu’un médicament rapporte en général plus qu’un vaccin. Ce n’est pas pour rien que Pfizer et Moderna cherchent à encore honteusement augmenter leurs profits en augmentant les prix de leurs vaccins respectifs.
Mais qu’en est-il des « preuves scientifiques » amenées par M. Wathelet sur l’efficacité de l’ivermectine ? On se trouve ici dans un cas classique de confrontation des sources entre lesquelles il faudra bien choisir. M. Wathelet cite notamment une méta-analyse de janvier 2021 concluant à un apport significatif de l’ivermectine. Qu’en penser ?
D’abord, qu’en effet, l’ivermectime a montré une certaine efficacité in vitro, comme en témoigne cet article publié en juin 2020 dans Antiviral Research. Mais on avait pareil résultat avec l’hydroxychloroquine – des effets qui n’ont pas été confirmés in vivo (ce qui est fréquent).
En fait, les études publiées actuelles sur l’ivermectine montrent des résultats jusqu’ici en conflit, comme on peut le voir avec la revue de littérature systématique très récente sur ce sujet et publiée par Cochrane Library fin juillet 2021. On attendait une étude de grande ampleur concluant à l’efficacité de l’ivermectine et de grands espoirs ont été placés dans l’étude d’Elgazzar et al. publiée en preprint en décembre passé, laquelle annonçait de grands résultats sur un nombre important de participant.es. Nous y reviendrons.
Dans un même temps, les études sur l’ivermectine, un médicament de réemploi à bas coûts, ont été essentiellement réalisées dans les pays à bas revenus, avec un accès réduit aux vaccins. Les pays occidentaux semblent quant à eux ne pas beaucoup s’y intéresser, à part l’analyse de plus grande ampleur du BMJ citée plus haut et une lettre qui traite, entre autres, de l’ivermectine et des problèmes de politisation et de communication liées à cette dernière. À part ça, Nature n’a publié, à ma connaissance, aucune étude sur l’ivermectine, le New England Journal of Medicine non plus, rien dans PLOS et, enfin, rien dans le Lancet. De quoi clairement alimenter la suspicion.
L’affaire « ivermectine » a rebondi il y a quelques jours à peine. Dans un article du 2 août 2021, Nature rapporte que la fameuse étude preprint d’Elgazzar et al. a été retirée de la plateforme ResearchSquare pour cause de plagiat et de manipulation de données, ce qui a constitué un séisme dans la communauté scientifique et constitue un véritable camouflet pour les défenseurs de l’ivermectine. Or, ce n’est pas la première fois qu’on assiste à pareille manipulation, en particulier sur l’ivermectine, souligne Nature : Andrew Hill, spécialisé dans les médicaments de réemploi, « pense que bon nombre des autres documents d’essai sur l’ivermectine qu’il a numérisés sont susceptibles d’être erronés ou statistiquement biaisés. Beaucoup reposent sur des échantillons de petite taille ou n’étaient pas randomisés ou bien contrôlés ». Il ajoute qu’en 2020 « une étude observationnelle du médicament a [aussi] été retirée ».
Or, il apparaît que l’étude d’Elgazzar et al. compte pour beaucoup dans la méta-analyse citée par Marc Wathelet et vers laquelle on m’a régulièrement renvoyé. Ajoutons que cette méta-analyse a plus de 6 mois et demi, n’est pas publiée et a peu de chance de l’être un jour étant donné la controverse expliquée ci-dessus. Elle reste un preprint, citant d’autres preprint dans l’étude maintenant retirée. Enfin, cette méta-analyse émet elle-même, dans ses propres conclusions, des réserves, indiquant que « de nombreuses études incluses n’ont pas été évaluées par des pairs et les méta-analyses sont sujettes à des problèmes de confusion. L’ivermectine doit être validée dans des essais randomisés plus vastes et contrôlés de manière appropriée avant que les résultats ne soient suffisants pour être examinés par les autorités réglementaires ». Dont acte.
L’ivermectine n’est pas le seul médicament de réemploi qui attire l’attention. Le Dr. Martin Zizi a également évoqué l’amantadine, laquelle sert à traiter dans certains pays la maladie de Parkinson. Selon lui, le fait même d’étudier l’amantadine pour le COVID a été balayé d’un revers de main – une assertion contraire à la vérité, comme en témoignent plusieurs essais cliniques actuels pour lesquels on recrute des participants et que l’on peut retrouver ici, ici et ici.
Toutefois, en racontant l’anecdote de 22 patients atteints de Parkinson et du COVID avec comorbidités et qui ont « à 100% survécu » grâce à l’amantadine, M. Zizi n’est-il pas pris dans un « biais du témoignage » ? En effet, l’étude soi-disant « de qualité » vers laquelle il renvoie est en fait une étude par questionnaire et se base sur un échantillon absolument non représentatif (22 personnes !), qui ne permet aucunement de conclure. No comment.
Réfléchissons : si les patient.es atteint.es de Parkinson ne mourraient pas du COVID, nous devrions en trouver des traces à l’échelle de tous les pays utilisant l’amantadine, et pas seulement chez ces 22 patient.es. Or, il n’y a qu’à se rendre sur le site de l’Association américaine pour Parkinson, sachant que l’amantadine est bien utilisée aux USA pour traiter cette maladie. Que pouvons-nous y trouver comme information ? Hé bien, il y a des recommandations COVID spécifiques pour ces malades, dont on voit bien qu’ils ne sont pas épargnés. D’ailleurs, dans la F.A.Q. du site, à la question de savoir si l’amantadine fonctionne contre le COVID, la réponse est très claire : « Nous n’avons pas de preuve que l’amantadine agisse contre le COVID, vous devriez donc continuer à considérer qu’elle n’a pas d’effet contre le coronavirus ».
À quoi sert d’essayer de maitriser ce virus, c’est une zoonose !
Selon certain.es spécialistes, comme Martin Zizi déjà cité, il ne serait pas pertinent d’essayer de maîtriser le virus parce que, comme il est déjà présent partout et tout le temps chez plein d’espèces, il mute tout le temps aussi – il faudrait donc ne protéger par le vaccin que les personnes les plus faibles et laisser l’immunité naturelle agir pour les autres.
Que dire à cela ?
J’ai déjà répondu plus haut aux questions de la vaccination « sélective », de « l’immunité naturelle » et de l’apparition de « nouveaux variants ». Du reste, s’il est vrai que la pandémie vient très probablement à la base d’une transmission de l’animal vers l’homme (comme une chauve-souris), le CDC (Center for Disease Control and Prevention) affirme qu’il n’y a jusqu’ici pas de preuve que les animaux puissent jouer un rôle significatif dans la pandémie. Le risque que les animaux propagent l’épidémie chez les humains est considéré comme étant faible.
Ça ne veut toutefois pas dire qu’on est tranquille. Il faut absolument éviter nos liens avec la faune sauvage et arrêter, notamment, la déforestation massive. En revanche, ce problème n’est pas spécifique au COVID19. C’est une épée de Damoclès connue et continue pour toutes sortes de maladie. En ce qui concerne le COVID, la transmission se fait aujourd’hui entre les êtres humains. Quant à laisser l’immunité naturelle chez les autres, hé bien on a vu ce que ça donnait : 4,26 millions de morts du COVID dans le monde à l’heure d’écrire ces lignes. Défendre un tel modèle de santé, c’est adopter une position libertarienne et considérer que seul.es les plus fort.es méritent de vivre.
Risques
Le vaccin a été développé trop vite, on manque de recul et on nous injecte de l’ADN !
Akhenaton, du groupe IAM Source : Wikicommons
Bon, on l’a vu, les vaccins sont hautement efficaces. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’ils sont sans risques. Il nous faut maintenant explorer les différents arguments selon lesquels les vaccins sont perdants dans une balance bénéfices-risques ; autrement dit, qu’on s’expose à un plus grand danger en se vaccinant qu’en risquant un COVID sans vaccination. Le pari qu’a fait le chanteur Akhenaton, opposé à la vaccination obligatoire…jusqu’à se retrouver hospitalisé et en détresse respiratoire à cause de ce satané COVID. Il s’en est heureusement sorti.
Le premier des arguments est sans doute l’idée selon laquelle les vaccins ont été développé trop vite et que, par conséquent, on n’a pas assez de recul.
Concernant la « nouveauté » des vaccins, il faut sans doute distinguer les trois types de vaccins contre le covid :
Le vaccin atténué ou inactivé (Sinovac, Sinofarm)
Les vaccins à vecteur viral vivant non réplicatif (AstraZeneca, Johnson & Johnson, Spoutnik V)
Les vaccins à ARN messager (Pfizer/BioNTech, Moderna)
La première catégorie regroupe des vaccins qui sont des agents infectieux qu’on a tués ou affaiblis par divers procédés pour qu’ils ne déclenchent pas la maladie – ou seulement de façon bénigne – tout en provoquant une défense immunitaire. La seconde catégorie, les vaccins à vecteur viral vivant non réplicatif, eux aussi très bien connus et utilisés depuis longtemps, utilisent un virus « vivant » pour susciter la réponse immunitaire, mais qu’on a rendu inoffensif en l’empêchant de se répliquer. On lui a « greffé » le code de la protéine contre laquelle on veut lutter et le corps créera, en conséquence, les anticorps adaptés.
Protéine Spike du SARS-cov-2 Source : Wikicommons
Concernant la troisième catégorie, celle qui pose le plus question, que savons-nous ? Ces « vaccins à acides nucléiques consistent à faire produire directement un fragment de l’agent pathogène par le corps humain ». Autrement dit, le vaccin à ARN va fournir des « instructions d’assemblage » à nos cellules pour qu’elles construisent elles-mêmes la fameuse protéine Spike et les anticorps contre cette dernière. À noter que la protéine Spike est inoffensive quand elle est seule mais qu’elle est la « porte d’entrée du coronavirus dans nos cellules », ce qui explique l’intérêt de la faire produire par le corps. L’ARN messager ne va pas jusque dans le noyau des cellules, il ne modifie donc pas notre ADN, comme l’explique Bruno Pitard, directeur de recherche au CNRS, dans ce même article de France Culture.
Voilà pour les grands principes.
Qu’en est-il maintenant du recul que nous avons ? Dans sa dernière vidéo, la Tronche en Biais revient très précisément sur cette question. Concernant les deux premières catégories qui regroupent les vaccins « classiques », il est important de savoir que nous avons « 225 ans de recul sur [ce] principe de […] vaccination » et qu’il n’y a « jamais eu d’effet au-delà de deux mois après la vaccination ». Voilà qui devrait déjà rassurer toustes celleux qui se posent des questions sur les effets « à long terme » – en tout cas pour les vaccins « classiques ».
En ce qui concerne les vaccins à ARN, Thomas Durand rappelle quelques éléments « historiques » que je complète en partie :
La « nouveauté » des vaccins à ARN est à nuancer. Les recherches sur ces vaccins ont commencé dans les années ’80.
Une technique très proche a été utilisée en 1993 contre le virus de la grippe chez les souris, voir la publication parue dans European Journal of Immunology ; elle annonce déjà la pertinence de cette technique pour de futurs vaccins.
Une publication de 2002, parue dans The Journal of Clinical Investigation, explore la possibilité de ces vaccins contre le cancer et montre déjà l’efficacité du procédé et son inocuité.
Les premiers essais cliniques datent de 2003, voir les travaux de Weide et al.ici, et ici, et les injections d’ARN depuis des années contre le cancer ici et une publication de 2004 de Steve Pascolo, également coauteur des études précédemment citées, parue dans Expert Opinion on Biological Therapy.
En 2018, Nature expliquait déjà à quel point cette technologie était avancée, focalisant notamment sur les « bonnes pratiques », la régulation, etc.
On est loin, très loin, d’une technologie inventée de façon précipitée pour les seuls besoins du profit de Pfizer et au mépris de la santé publique. Pour autant, c’est vrai aussi qu’ils sont nouveaux sous cette forme et avec une telle ampleur.
Or, on entend régulièrement que les phases de développement ont été bâclées. Antoine Flahault, médecin épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève explique que « ce sont les phases administratives de mise en œuvre des essais cliniques, pas les phases d’éthique » qui ont été compressées. Comment est-ce possible qu’on ait pu aller cette fois plus vite ? Hé bien parce que la pandémie a permis de recruter très rapidement énormément de patients – la quantité étant nécessaire pour lisser les résultats statistiques, notamment sur les effets indésirables : « [P]our recruter 30 000 personnes, et pour voir qu’il y a une différence entre le groupe placebo et le groupe vaccin, il faut qu’il y ait une sacrée épidémie : si le virus ne circule pas, ou peu, cela devient très difficile ».
Enfin, il y a déjà 1,7 milliards de personnes complètement vaccinées dans le monde, plusieurs mois de recul…et un important dispositif de pharmacovigilance.
Ce n’est pas surveillé…alors qu’il y a des effets secondaires importants
Distinguons ici 1) les lieux où s’opère la pharmacovigilance ; 2) ce qu’elle montre aujourd’hui. Ce qui frappe, dans les deux cas, c’est le très haut niveau de transparence des données et leur grande accessibilité. Malheureusement, comme pour les autres questions ici traitées, chercher et savoir où chercher prend énormément de temps et demande des compétences de compréhension à la lecture, souvent en anglais.
Parmi la documentation pertinente sur les données concernant l’ensemble de la population mondiale, je renvoie à l’énorme manuel de surveillance des vaccins COVID. Déjà publié en 2020 par l’OMS, ces 232 pages regroupent tout ce qu’il faut savoir sur les vaccins, leurs types, les questions de sécurité, les lignes de conduites pour la récolte et l’analyse des données, les questions de communication, etc. Qu’un travail comme celui-ci ait été produit aussi vite est absolument fascinant. Je rêverais que l’on puisse profiter d’une telle efficacité collaborative dans un monde débarrassé du profit privé.
Un semblable niveau de transparence existe à l’échelle européenne. Par exemple, l’Agence européenne du médicament (EMA) répertorie tous les vaccins, les autorisations de mise sur le marché et les questions liées à leur sécurité. Pour une information détaillée sur les raisons présidant à l’autorisation des vaccins et le processus en détails, vous pouvez visiter cette partie du site. On y explique par exemple le principe de « rolling view », utilisé pour les vaccins COVID, et qui permet d’aller plus vite dans le processus en évaluant les données à mesure qu’elles sont disponibles pendant le développement du processus.
Au niveau de la France, un groupement d’intérêt scientifique (GIS) appelé EPI-PHARE a été mis en place dans le cadre d’un dispositif renforcé de surveillance des vaccins contre le COVID. L’idée est la suivante : comme des décès et des hospitalisations surviennent constamment, indépendamment de la vaccination et en particulier chez les personnes les plus fragiles, il faut estimer ce qui statistiquement relève de la « normale » de ce qui est « hors-norme » – afin d’envisager l’effet propre des vaccins.
D’autre part, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) publie des rapports de pharmacovigilance reprenant les suivis des cas d’effets indésirables. Vous pouvez par exemple consulter ici le dernier rapport, reprenant les données du 16 au 27 juillet 2021 et ici un résumé des éléments importants à destination des journalistes. Rien n’y est « caché » et on retrouve ainsi quelques mots sur l’analyse des rares cas de troubles menstruels survenus après la vaccination, laquelle « a conduit le comité de suivi à considérer qu’il s’agit d’un signal potentiel qui concerne également Comirnaty [NDA, les vaccins à ARN], dont le profil est similaire ». Difficile d’être plus transparent.
Alors, qu’en est-il de ces fameux effets secondaires ?
Hé bien, les formes graves des effets secondaires sont extrêmement rares. Ça ne veut pas dire que vous ne connaîtriez pas « quelqu’un qui » (après tout il y a pratiquement chaque semaine un.e gagnant.e au Loto), ça veut juste dire qu’il y a très très très peu de chance que cela vous tombe dessus ou sur un.e de vos proches (comme il y a, spoil alert, très très très peu de chances que vous gagniez au Loto). Toute personne qui gagne au Loto y a effectivement joué, mais très peu de joueur.euses gagnent – ce qui peut se traduire par « toute personne ayant des effets secondaires graves a été vaccinée mais très peu de vacciné.es ont des effets secondaires graves ». Autrement dit, la balance bénéfices-risques penche clairement en faveur de la vaccination : vous risquez plus en ne vous vaccinant pas qu’en vous vaccinant.
Parmi les effets graves, on parle surtout des très graves troubles thromboemboliques. En France et sur la dernière période de suivi, il y a eu deux nouveaux cas de thrombose atypique qui ont été rapporté, portant le total à 58 cas, dont 13 décès, sur près de 33 millions de vacciné.es. Mais attention, le risque de thrombose en attrapant le COVID est quant à lui de huit à dix fois plus grand qu’après la vaccination, comme le montre une étude d’Oxford. Autrement dit, si vous avez peur d’avoir une thrombose, il vaut mieux vous faire vacciner que le contraire.
Les myocardites sont parmi les autres effets secondaires rarissimes mais graves parce qu’ils impliquent souvent une hospitalisation. Sept cas sont recensés dans le dernier rapport mais « les données disponibles suggèrent que l’évolution de la myocardite ou de la péricardite après la vaccination est identique à l’évolution de la myocardite ou de la péricardite en général », ce qui implique que le rapport de causalité entre vaccination et myocardite ne peut ici être établi.
Je pense que sur la question des effets secondaires comme sur celle de l’efficacité de traitements médicamenteux, il faut faire très attention aux biais du témoignage, appelés aussi la preuve anecdotique. Par exemple, il existe des groupes Facebook qui permettent de recenser les « effets indésirables » suite aux vaccins COVID. Mais comment savoir qu’un effet ressenti est bien le résultat du vaccin ?
Un trouble érectile, exemple pris au hasard, s’il survenait en temps normal pourrait être attribué à l’angoisse ou à la fatigue mais risque d’être perçu comme la conséquence de la vaccination si il apparaît dans les jours suivant cette dernière ! À l’échelle d’une population, lorsqu’un même effet se répète dans des conditions similaires, la corrélation et, éventuellement, la causalité peuvent être établies. Mais à l’échelon individuel, c’est impossible.
Ce genre de groupe Facebook est alors dangereux, parce qu’il donne l’impression, avec l’accumulation d’exemples non significatifs (sachant qu’ils nous arrivent à toustes tout le temps « des trucs »), que les autorités ne tiennent pas compte de la réalité de terrain.
Certaines craintes tout à fait légitimes ne se sont d’ailleurs pas vérifiées dans les faits. Notamment la possibilité que les vaccins à ARN messager puissent provoquer des maladies auto-immunes. Dans un article déjà cité plus haut de Nature, en 2018, il est dit qu’une « préoccupation possible pourrait être que certaines plates-formes de vaccins à base d’ARN induisent de puissantes réponses d’interféron de type I, qui ont été associées non seulement à l’inflammation mais aussi potentiellement à l’auto-immunité. Ainsi, l’identification des individus à risque accru de réactions auto-immunes avant la vaccination par l’ARN peut permettre de prendre des précautions raisonnables ». À nouveau, rien de caché.
Que sait-on depuis ?
D’abord que, contrairement, à ce que M. Zizi raconte, il n’y a pas de problèmes auto-immunitaires et il ne risque pas d’y en avoir. En fait, ils sont même absents des rapports qu’on vient de voir… Dans une interview accordée à Associated Press, le Dr. Drew Weissman explique que les vaccins ARN contre le COVID utilisent en fait un nouvel ARN qui ne produit pas de maladies auto-immunes. Toutefois, le principe de précaution veut malgré tout que les personnes à risque ne choisissent pas ce vaccin, raison pour laquelle la vaccination de celleux qui peuvent se le permettre est encore plus importante. Je ne serais pas complet sur la question des maladies auto-immunes sans rappeler que le COVID lui-même pourrait en causer, si l’on en croit cette publication preprint (à prendre avec précaution puisqu’elle n’a pas été revue par les pairs).
Éthique et politique
Et la liberté dans tout ça ?
John Stuart Mill, philosophe de la liberté Source : Wikicommons
Le vulgarisateur en philosophie M. Phi vient à peine de sortir une vidéo traitant précisément de cette question. En effet, évaluer combien la restriction de nos libertés à travers l’obligation vaccinale est légitime ou non est absolument essentielle.
Que dit M. Phi dans cette vidéo ?
1) D’abord, il rappelle que la liberté envisagée comme un absolu n’a pas de sens. Par exemple, toute loi restreint des libertés et c’est très bien ainsi. Nous n’avons par exemple pas la liberté de tuer et je suppose que personne n’y verra un mal.
2) Il en découle que les choix de société sont toujours le résultat de compromis entre « plusieurs libertés ». La liberté est donc à envisager selon les contextes et la liberté de choisir les moyens de se soigner, en contexte sanitaire « normal », doit être a priori garantie. On sera, je pense, toustes d’accord sur ce point également. Mais alors, qu’est-ce qui pourrait justifier l’obligation d’opter pour l’un ou l’autre soin ?
3) M. Phi propose ici de se référer au philosophe libéral de la liberté, John Stuart Mill. Ce dernier propose qu’une certaine liberté soit garantie si et seulement si elle ne nuit pas aux autres.
Le principe de « tort minimal » est assorti de trois conditions qui doivent être remplies pour que l’usage de la contrainte soit considéré comme légitime : a) il faut donc que l’absence de contrainte cause du tort ; b) que la contrainte permette d’éviter et/ou de limiter ces torts tout en n’en causant pas d’autres comparables ; c) qu’il soit impossible d’user d’autres moyens.
Lorsqu’on s’arrête sur ces différents critères, on comprend que les sections précédentes de cet article nous permettent d’y répondre.
L’absence de contrainte cause du tort puisque l’hésitation vaccinale empêche d’atteindre l’immunité collective, permettant au virus de continuer à circuler, ce qui cause directement du tort à celleux qui ne peuvent se vacciner (parce qu’elles sont allergiques, trop fragiles – notamment sous traitement pour un cancer, à risque pour des réactions auto-immunes, etc.) et offrant toute latitude au virus pour continuer à muter en risquant de produire encore et encore de nouveaux variants qui risquent, eux, de résister de mieux en mieux aux vaccins actuels.
L’obligation vaccinale donne de l’espoir quant à l’atteinte de l’immunité collective, diminue comme on l’a vu la puissance du virus et sa contagiosité : les torts sont donc limités et/ou évités. L’analyse des risques et des effets secondaires permet là encore de conclure, pour l’instant, que d’autres torts comparables mais différents ne sont pas en jeu.
L’absence, dans l’état actuel des connaissances, de traitements médicamenteux ; et la fausse piste que représente l’immunité naturelle nous mènent à conclure qu’il n’y a pas, aujourd’hui, d’autres moyens sérieux d’arriver aux mêmes résultats.
Il en résulte que l’obligation vaccinale semble être, en effet, légitime, dans ce cas très précis, et cela indépendamment des précédentes décisions déplorables, honteuses, catastrophiques de nos gouvernements.
Pourquoi ne pas laisser tranquilles celleux qui refusent ? Marre d’être stigmatisé.es !
En miroir de la section précédente, prendre au sérieux les données vues supra et la dimension éthique de la vaccination obligent à repenser l’acte même de ne pas se faire vacciner. Il me semble – et je sais que je risque de tendre une partie de mon audience sur ce point – que refuser la vaccination sans raison de santé est alors un acte d’égoïsme, contraire à l’idée que je me fais de la solidarité.
Que cela ne nous empêche bien sûr pas de prendre garde aux mesures qui restreignent nos libertés sans respecter les critères vus ci-dessus. Lorsque des lois « d’exception » sont introduites, il y a toujours « un effet d’opportunité » dangereux pour la démocratie et un risque que celles-ci soient utilisées dans un sens différent de ce pour quoi elles ont été conçues et/ou subrepticement inscrites ensuite dans le droit commun – on l’a vu sur les questions de terrorisme. Il faut donc rester très attentif à ce que toute mesure exceptionnelle demeure exceptionnelle, sauf justification précise ; d’ailleurs, les couvre-feux ont heureusement été pour la plupart levés, de même finalement que l’obligation du masque en extérieur et c’est très bien ainsi, tant que la situation sanitaire n’évolue pas trop.
Comprenons bien que considérer la contrainte seule comme étant l’indice d’une dérive n’est pas rationnel. En société, un grand nombre de choses sont obligatoires (le respect du code de la route par exemple) ou interdites (blesser volontairement autrui par exemple). La contrainte ne « produit » pas naturellement un État fasciste…et je m’étonne d’ailleurs de ce qu’il y ait une telle levée de boucliers face aux vaccins ou au port du masque des mêmes personnes qui semblaient fort peu choquées de ce que des policiers brutalisaient des manifestant.es ou qu’un État puisse laisser crever des sans-papiers dans une église. Ce sont pourtant là des marques très inquiétantes de fascisation.
Ce qui doit présider à l’accord ou le désaccord avec une contrainte, ce n’est pas le fait de contraindre mais les arguments qui l’appuient, autrement dit la question de l’efficacité du vaccin et des risques vus plus haut.
On censure les vrais chercheurs, les autres ont peur et se taisent
D’abord il faut relativiser. Les pseudo « vrai.es chercheur.es » dont il est question ont été et sont présents dans les médias dominants. Outre l’incontournable Didier Raoult omniprésent et proche des milieux de pouvoir, Martin Zizi a eu des échos à la RTBF, dans le Vif, sur Euronews, dans la Libre, etc ; Marc Wathelet dans la DH ; Philippe Poindron sur Sud Radio et sur CNews ; Jean Michel Claverie sur BFM, France Soir, les Échos ; Laurent Toubiana sur Sud Radio et ses avis ont été analysés par le Monde. On voit bien que la « censure » est très relative… Sans compter les opinions à l’emporte-pièce des Pascal Praud et consorts.
Mais la question est de savoir quelle proportion accorder à quel discours. Est-ce que la neutralité journalistique, par exemple, consiste à donner autant de place à la théorie de l’évolution et aux théories créationnistes ? Ce qu’on constate, c’est en effet que la position « pro-vaccin » est dominante non pas tant chez celleux qui dominent l’espace médiatique, mais au sein des institutions sanitaires (comme l’OMS), politiques (gouvernements, parlement) et académiques (universités, recherche).
Ce qui doit présider à la place à donner dans les médias à l’une ou l’autre théorie est, sur les questions de santé, sa solidité scientifique – laquelle comme dit plus haut dépend moins de l’avis « d’un.e expert.e » que l’on peut facilement opposer à un.e autre, mais du consensus scientifique. Ainsi, l’accumulation de chercheur.es « hétérodoxes » sur la question des vaccins n’est en fait rien à côté des centaines de chercheur.es « fourmis » qui font leur taf, produisent des articles, des méta-analyses, etc. et qui nourrissent, ensemble, ce fameux consensus à travers les publications scientifiques que j’ai citées tout au long de ce dossier dans le New England Journal of Medicine, le Lancet, dans Nature, dans le British Medical Journal, etc.
À celleux qui pensent que je dis et fais ici le contraire de ce que j’ai fait pour mes autres travaux, notamment sur la Chine, je voudrais montrer que c’est faux. D’abord, ici comme sur la Chine, je me réfère aux sources les plus solides, lesquelles proviennent souvent des médias mainstream (par exemple lorsque l’ICIJ publie un document volé sur les camps de Ouïghours en Chine, j’utilise ce document dans mon analyse, idem lorsque je cite le NYTimes, le Washington Post, etc.) ; je ne considère pas a priori le critère « mainstream » ou « alter » comme suffisant pour adopter ou rejeter une position ; je recoupe entre elles les sources ; je les mets en liens et je les interprète en fonction de mon cadre théorique, à savoir la critique du capitalisme. Même démarche.
Ainsi, les conclusions ne sont que superficiellement opposées : dans le premier cas, les médias mainstream apparaissent comme fournisseurs de fake news, dans le second cas ils apparaissent comme étant en grande partie fiables. Mais, en réalité, les mouvements de fonds sont les mêmes : la concurrence qui produit tant de misère est aussi celle qui a permis à des industries pharmarceutiques de produire le plus rapidement possible un vaccin apparemment efficace et statistiquement inoffensif. Les profits, quant à eux, sont toujours privatisés et viennent encore remplir les poches des plus fortuné.es. Same shit.
Pourquoi croire cette fois les élites qui se moquent de nous ?
On doit reprocher au monde politique d’avoir définancé les hôpitaux, d’avoir menti sur les masques, d’avoir d’abord minimisé la dangerosité du virus contre les expert.es, d’avoir mis autant de temps pour prendre des décisions courageuses dans le seul but de protéger son économie, de faire des profits odieux sur le dos de la santé des gens, d’avoir obligé les ouvri.ères à continuer de travailler lorsqu’elleux se protégeaient, d’avoir accusé la Chine et d’avoir menti à son propos, de s’être très opportunément déresponsabilisé, d’avoir refusé la remise en question et d’avoir omis de dire « nous ne savons pas » quand en effet ils ne savaient pas. Il y a énormément de reproches à formuler à l’égard du monde politique. Aucun doute là-dessus.
Mais si on laisse aller la maladie, en quoi le peuple sera-t-il vengé ? Ne sont-ce pas justement les plus faibles qui seront, à nouveau, les premières victimes ? À commencer par le personnel médical qui ne voudrait pas d’une nouvelle surcharge. La lutte contre les politiques désastreuses de nos gouvernements n’est pas antinomique avec la vaccination ; elle est, au contraire, complémentaire.
Personnellement, j’aurais préféré bénéficier du vaccin chinois ou du vaccin cubain, dans l’espoir que les profits reviendraient plus probablement aux peuples que celui que j’ai reçu et qui enrichit les super riches, celui de Pfizer. Mais même la Chine semble reconnaître la très haute efficacité des vaccins à ARN et vient de conclure un accord avec la société allemande BioNTech.
C’est très dur, presque insupportable de devoir s’en remettre à des gens qui n’ont que le profit pour seul horizon, mais considérer qu’ils mentent, c’est remettre en question le travail et la probité de milliers de chercheur.es qui collaborent. Imaginer qu’ils agissent de concert pour faire le mal n’est absolument pas envisageable : un complot n’est possible que lorsqu’il ne réunit qu’un nombre restreint de personnes. D’ailleurs, les autres pays du bloc « anti-impérialiste » ont aussi développé leurs vaccins… N’oublions pas non plus qu’une entreprise comme Pfizer signe son arrêt de mort si elle avait mis sur le marché un produit véritablement dangereux. Ce dernier élément n’est pas convaincant à lui seul (il y a eu des précédents avec les cigarettiers, l’entreprise DuPont, etc.) mais renforce malgré tout le caractère improbable d’une grande machination.
Merci à toustes pour votre lecture. Je pense qu’il est important de partager ce dossier pour éclairer toustes celleux qui se posent des questions sur la vaccination contre le COVID. N’hésitez pas à intervenir en commentaires, en restant courtois.es.
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Gulbahar Haitiwaji publie, avec Rozenn Morgat, un livre qui fait beaucoup de bruit : « Rescapée du goulag chinois ». Tous les médias en ont parlé. Il semble que nous tenions là un témoignage indiscutable sur la répression et le caractère criminel de l’État chinois, dans le Xinjiang en général, sur les Ouïghours en particulier.
Ne nous trompons pas : prendre la plume, en Belgique, pour mettre en question un tel témoignage est extrêmement difficile. D’abord, en creux, parce qu’en répétant ce que tout le monde dit, les journalistes des médias traditionnels se retrouvent nécessairement du bon côté de l’histoire. Au pire se trompent-ils et on s’en rend compte après, quand l’affaire est passée, quand ça n’a plus d’importance. Comme par exemple lorsque la Cour européenne des droits de l’homme abandonnait le 17 décembre 2020 les poursuites pour « génocide » contre la Chine au Tibet. Bizarrement, cette décision n’a pas fait la une chez nous. De la même façon, avoir répété à l’envi le mensonge des armes de destruction massive n’a pas entaché la crédibilité des médias mainstream (ou bien si, mais ça ne semble pas avoir remis en question l’institution journalistique) et il en va de même pour la longue liste de « fake news » (dont certains dénoncés par mes soins, voir ici, ici ou là). Ainsi, on peut se protéger derrière l’idée qu’on ne pouvait pas savoir, que tout le monde disait pareil.
Par ailleurs, la Chine n’est assurément pas exempte de tout reproche. Je condamne fermement différentes pratiques de la Chine : je suis profondément opposé à la peine de mort ; prônant des valeurs de justice sociale, je trouve inacceptable l’accroissement des inégalités au profit de cadres du Parti communiste et d’une poignée d’industriels – même dans un contexte où la pauvreté diminue et où les investissements publics demeurent colossaux. Ces inégalités ne sont pas différentes par nature de ce que le capitalisme fait lorsqu’il détourne le travail de la collectivité au profit de la propriété lucrative ; j’ai aussi eu l’occasion de dénoncer la répression des libertés syndicales et les conflits d’intérêts des autorités locales vis-à-vis de l’investissement privé ; si je comprends la lutte contre la propagande de guerre, je n’en justifie pas pour autant la censure et la répression de la liberté d’expression ; la Chine doit également agir contre les expropriations des paysans de leurs terres au détriment de l’autonomie alimentaire et au profit de mégaprojets immobiliers ; enfin, je ne connais pas suffisamment les détails des partenariats commerciaux liés aux Nouvelles Routes de la Soie et n’écarte pas la possibilité qu’il y ait là un risque de néocolonialisme.
Que la plupart de ces éléments puissent s’appliquer à nos pays occidentaux n’y change rien. Certes les USA pratiquent la peine de mort, certes chaque rapport annuel d’Oxfam montre combien nos sociétés occidentales sont inégalitaires, certes les élites syndicales sont bien trop souvent coupées de leur base militante, certes j’ai l’expérience moi-même de pressions quant à ma liberté d’expression, certes nos pays dépendent largement de l’étranger pour assurer leur sécurité alimentaire et certes nous pratiquons encore massivement le néocolonialisme. Cela n’y change rien : il FAUT condamner ce qui doit l’être en Chine et il n’y a AUCUN compromis sur ce point.Il faut le faire mais pas en sacrifiant d’un même geste la vérité.
Pourtant, mettre en question une version officielle comme le « génocide » des Ouïghours est une mise en vulnérabilité évidente.Si je me trompe, c’est la catastrophe car je parais alors défendre l’indéfendable. Je défends les crimes abjects. Je défends la violence de la dictature. Il est moins risqué d’aller dans le sens (de) qui domine et c’est probablement un moteur très puissant qui empêche beaucoup de journalistes mainstream d’investiguer.
Depuis que j’ai commencé à écrire sur la Chine, je n’ai pas reçu une seule demande de droit de réponse. Mes contradicteurices jusqu’ici refusent le débat, font pression en s’adressant à mes proches, tentent de me mettre professionnellement en difficulté. Entre-temps, mon travail a pris de l’ampleur, inexorablement. Mon interview par Michel Collon à propos de la couverture d’Amnesty International sur la Chine a par exemple atteint plus de 15000 vues en deux semaines. Le directeur d’Amnesty International Belgique, lui, n’a pas souhaité débattre avec moi sur les Ouïghours. Amnesty a botté en touche, d’autres – que je ne citerai pas pour ne pas compromettre mes sources – également. On m’a dit plusieurs fois, en substance : « Je pourrais répondre point par point mais je ne le ferai pas, je pourrais attaquer en diffamation mais je ne le ferai pas non plus ».
Pourquoi ?
Comme je le disais tant à propos d’Amnesty que sur le docu d’Arte « 7 milliards de suspects », pourtant réalisé par le lauréat 2020 du prix Albert Londres, Sylvain Louvet, si ce que je dis est faux, n’y a-t-il pas un intérêt démocratique évident à rétablir la vérité?
Pourquoi je ne donne pas la parole aux autrices du livre ? J’ai en fait demandé un entretien avec Rozenn Morgat le 20 janvier 2021 via le contact presse de son éditeur. Ce mail est resté sans réponse. Simultanément, j’ai contacté directement Mme Morgat par Messenger. Elle m’a répondu un mois plus tard en me renvoyant vers son éditeur. J’ai donc recontacté l’attachée de presse, j’ai laissé un message resté lui aussi sans réponse. J’ai rappelé début mars, en vain, puis à la mi-mars où, ayant enfin l’attachée de presse au téléphone, celle-ci m’a demandé de renvoyer un énième mail en précisant la demande. Mail qui, lui aussi, est resté lettre morte. Là, j’en ai ras-le-bol d’être trimballé d’un côté à l’autre.
Je porte au plus haut cette valeur de vérité. C’est à ce titre que j’écris. Mais je sais combien cette dernière est difficile à tenir, combien la vérité est aussi dépendante de la perspective. Cela implique également que je m’engage à publier tout droit de réponse, et à modifier toute information dont il serait démontré qu’elle est fausse. J’appelle ainsi les personnes que je mets en cause et qui ont laissé sans réponse mes demandes d’entretien en amont (voir encadré), à se faire connaître si elles voulaient donner quelques éclaircissements quant à ce qui va suivre.
Tout le problème des témoignages
Cette introduction un peu longue doit maintenant faire place à une plongée dans le livre de Rozenn Morgat et Gulbahar Haïtiwaji. Dans ce livre-témoignage, Mme Haïtiwaji explique comment elle a été attirée au Xinjiang, sous un prétexte administratif fallacieux, pour être ensuite enfermée dans le camp de rééducation de Baijiantan. Un voyage qui, plutôt que quelques jours, aura duré du 25 novembre 2016 au 21 août 2019. Elle y livre le récit de nombreuses violences, le quotidien du « lavage de cerveau » dont elle aurait été la victime et comment ce quotidien s’inscrit dans un contexte religieux, politique et économique singulier propre au Xinjiang.
J’ai déjà eu l’occasion dans des articles précédents de décrire les problèmes des témoignages. Toute leur faiblesse réside dans le fait qu’ils exigent de celleux qui en prennent connaissance de croire sur parole les témoins. C’est d’ailleurs aussi ce qui rend difficile les contre-interprétations. Je pourrais tout aussi bien relayer les réponses de l’État chinois quant aux accusations dont on l’accable. Parole contre parole…mais on ne serait pas fort avancé.
Ainsi, comme je l’ai fait précédemment, je ne m’appuierai que sur les paroles de Mme Haïtiwaji, essentiellement pour évaluer le niveau de crédibilité de son récit en analysant sa cohérence interne et, le cas échéant, ses contradictions. Bien entendu, il ne s’agit pas d’affirmer qu’un témoignage doit, pour être cru, ne contenir aucune incohérence. Notre mémoire nécessairement transforme, occulte, oublie, se trompe. Toutefois, il arrive que l’ampleur des incohérences soit telle qu’il devient impossible d’accorder quoi que ce soit comme crédit au témoin. Et c’est bien ce sentiment qui m’habite aujourd’hui, après lecture et analyse attentives du livre « Rescapée du goulag chinois ».
La vérité, quelle vérité?
Il arrive donc que la mémoire se trompe mais, ce qui étonnera les lecteurices de Mme Haïtiwaji est le rapport quelque peu « surprenant » qu’elle entretient avec la vérité et le mensonge. Bien sûr, il y a d’abord tous les mensonges dont elle dit qu’on les lui a extorqués (p.45, p.113, p.174, p.176-177, p.212). Notamment de faux aveux filmés (on aimerait voir la vidéo puisqu’elle dit que la vidéo aura été diffusée sur les réseaux), ou lorsqu’elle prendra la parole dans le camp pour une fête en l’honneur de Xi Jinping.
Outre ces mensonges contraints, elle relate surtout un nombre impressionnant de mensonges volontaires (p.65, p.100, p.101, p.104, p.108, p.118, p.148, p.204, p.220, p.230, etc.). Par exemple, elle explique avoir régulièrement menti aux autorités du camp sur ce qu’elle pensait, elle dit avoir menti sur ses conditions de détention à sa famille lorsque cette dernière lui rendait visite ou lorsqu’elle les entendait au téléphone ; elle affirme que les Ouïghours avaient pris l’habitude de mentir « bien avant les camps » pour se « protéger » (p.101), que « chacun s’enfonçait dans une succession de petits mensonges » (p.211) et que le temps lui apprenait à « considérer ce désagrément comme un détail » (p.212).
À côté de ces « mensonges volontaires », dont certains seraient cohérents dans l’optique d’éviter des brimades dans le camp, il y a, dans le livre, une série de mensonges patents et qu’une lecture attentive permet de mettre à jour. Par exemple, elle évoque « ces cuisiniers sourds-muets » dont elle dit qu’ils ont été « sélectionnés pour leur handicap afin de ne pas révéler ce qui se passe dans les camps » (p.61). Comme si des sourds-muets étaient incapables de communiquer par langue des signes, comme s’ils ne pouvaient pas écrire, prendre des photos, enregistrer, etc. C’est immensément stupide.
Elle dit avoir été punie sans savoir pourquoi (p.61)…mais en explique la raison quelques pages plus loin (p.63-65) ; elle dit qu’il n’y a que « de vieilles femmes tremblantes et des adolescentes au bord des larmes » dans le camp (p.90) tout en évoquant régulièrement d’autres détenues dont on comprend qu’elles sont de la génération de Mme Haïtiwaji (comme Almira, p.165). Elle craint avoir « déshonoré Rebiya Kadeer » (p.178), présidente du World Uyghur Congress, une organisation séparatiste abondamment financée par la NED (États-Unis), alors qu’elle affirme à plusieurs endroits n’avoir aucun lien avec la politique. Elle dit qu’on l’obligeait à mentir effrontément (p.212) pour ensuite se contredire en expliquant qu’on n’avait « même pas eu besoin de lui […] faire la recommandation [de mentir] ». Elle évoque « ses frères » pour la première fois à la fin du livre (p.224) lesquels sont pourtant absents de sa généalogie reproduite au début de l’ouvrage (p.11), etc.
Sur le plan de la santé, les détenues sont obligées de poursuivre leur traitement médical si elles en suivent un (p.60). Pourtant, Gulbahar évoque plusieurs éléments inquiétants qui, de l’avis d’un médecin que j’ai pu consulter, ne sont pas en eux-mêmes impossibles mais qui le deviennent dans le contexte décrit dans le livre. Par exemple, l’idée selon laquelle ses « os du tibia s’atrophi[ai]ent » (p.226) par le fait d’être enchaînée ne veut pas dire grand-chose d’un point de vue médical. Tout au plus peut-elle évoquer une déminéralisation osseuse à cause de l’immobilité mais il semble difficile de croire qu’elle peut apparaître en « quelques jours ou quelques semaines » – dans une formulation floue bien pratique puisqu’elle laisse le soin aux lecteurices d’en évaluer la vraisemblance (p.226 – il s’agit en fait de vingt jours si on en croit ce qu’elle dit p.16).
Elle dit encore avoir été si maigre que « [s]es deux index et [s]es deux pouces se touch[ai]ent quand [elle] serr[ait] les mains autour de [s]a taille » (p.61) – une horrible prouesse peu crédible car elle signifierait une morphologie très spécifique doublée d’un état de dénutrition extrême incohérent avec le récit qu’elle fait de leurs repas. En effet, elle explique que « si on refuse un plat, ils […] ordonnent de le terminer […] » (p.83). Du camp, elle dira un peu plus loin (p.107) : « Nous ne sommes pas sous-alimentées, bien au contraire ». Malgré tout, elle décide que de « cette sale nourriture dont on remplit [leurs] gamelles », elle « n’y touche[ra] quasiment plus » (p.137). Comme on dit à Bruxelles, c’est salade tout. Gulbahar Haïtiwaji dit une chose et son contraire ; vous trouverez à tous les coups une parole qui sert votre propos du moment. Vous voulez prouver qu’elle était affamée ? Tour de taille ! Qu’elle était gavée ? Obligée de finir son repas ! Que la nourriture était infâme (on y reviendra) ? Y’a pas d’assiettes mais des gamelles !
Elle dira d’ailleurs qu’elle trouvera, un mois et demi plus tard, une « certaine allure à la finesse de [ses] poignets et chevilles, au galbe des fesses et à la chair tendue autour du nombril », tout en se demandant si « une prisonnière traumatisée et exsangue ne devrait […] pas ressentir du dégoût ou de la haine pour son corps? » (p.75). Galbe des fesses ou état squelettique ? Est-ce compatible ? Peut-on passer si vite de l’un à l’autre ?
Bref, avec tous ces éléments rassemblés, que penser lorsqu’elle affirme (p.191) que « rien de ce [qu’elle a] vécu n’est la manifestation d’un fantasme morbide de prisonnière qui exagère sa condition » ?
On pourrait également lister l’ensemble de ses mensonges par omission : par exemple, elle ne parle pas des 254 attaques terroristes islamistes depuis 1990 qui ont ensanglanté le Xinjiang (et hors de celui-ci). Tout au plus évoque-t-elle le déchaînement de violences lors des « émeutes d’Ürümqi » en 2009 (p.40), ce qui lui permet de mieux passer sous silence des décennies de terrorisme meurtrier et récurrent. Elle ne dit pas que son mari était vice-président de l’association des Ouïghours de France, la branche française du World Uyghur Congress dont les autorités chinoises affirment qu’il aurait orchestré les attaques de 2009. Elle cache le fait que ce même WUC est une organisation séparatiste qui ne décrit même pas le Xinjiang comme une province chinoise mais comme le « Turkestan oriental ». Elle ne dit pas un mot non plus des Hui, une autre ethnie chinoise de confession musulmane qui, elle, n’a aucun problème en Chine alors qu’elle affirme par ailleurs que c’est leur religion qui pose problème.
Elle dit avoir « honte » de tous les mensonges proférés (p.176). Elle a tant menti qu’elle se décrit comme une « bonne comédienne » (p.231) et dit avoir été précipitée « dans une série de mensonges dont [elle] ne pouvai[t] plus [s]’extirper » (p.218). Elle dit enfin avoir réfléchi à ce qu’il « faudrait dire et ce qu’il faudrait taire » (p.235) une fois rentrée en France – ce qui indique, par l’absurde, que ce livre est le résultat de ces choix.
Comme énoncé plus haut, un simple témoignage suppose déjà une malheureuse fragilité épistémique. Mais que faire lorsque la personne témoin, de son propre aveu, se dit exceller dans la pratique du mensonge? Faut-il la croire lorsqu’elle dit mentir avec brio ? Faut-il la croire parce qu’elle nous dit que cette fois elle ne ment pas ? Quelles bonnes raisons de la croire avons-nous si ce n’est le confort de recevoir là une narration venant renforcer des croyances déjà installées ? C’est à cette contradiction, digne du paradoxe du menteur, que nous confronte Gulbahar Haitiwaji.
Paru dans le New-York Times, le 22 février 2014
Il se trouve par ailleurs que tronquer la vérité pour servir ses intérêts n’est pas une exception en ce qui concerne les Chinois émigrés. Dans un article de 2014, le New-York Times parlait même « d’industrie du mensonge », racontant comment de fausses accusations de mauvais traitements pouvaient aider leur dossier. « Mentez, il en restera toujours quelques chose ».
Une invraisemblable quantité de suppositions
Dans l’arsenal rhétorique visant à accréditer la thèse selon laquelle violences, torture et mauvais traitements auraient été le quotidien de Mme Haïtiwaji et de ses codétenues, les suppositions tiennent une part importante.
J’entends par suppositions des affirmations qui se caractérisent par le fait de n’être soutenues par aucune preuve. J’exclus également de cette catégorie les faits dont Mme Haïtiwaji dit avoir été témoin et dont nous traiterons plus bas. Souvent, elle utilise le futur simple, elle énonce donc des faits qui, d’après elle, « se produiront », ou le conditionnel, elle énonce donc des faits qui, d’après elle, « se produiraient ». Sur l’ensemble du livre, j’ai comptabilisé pas moins de 97 occurrences d’affirmations de ce type, sur 245 pages.
Le thème de la mort (que Mme Haïtiwaji l’évoque pour elle-même, pour ses codétenues dans les camps ou pour l’ensemble du peuple ouïghour) y est récurrent et donne, tout au long de la lecture, une impression très pénible de violence extrême (p.7, p.13 par deux fois, p.15, p.16, p.31, p.41, p.63, p.80, p.88, p.89, p.115, p.120 par deux fois, p.122, p.125, p.133, p.135, p.137 p.139 par deux fois, p.143, p.159, p.161, p.163, p.164, p.174, p.189 par deux fois, p.190 par deux fois, p.191, p.193, p.197, p.231, p.241, p.245).
Par exemple, dès la page 13, on lit : « Après avoir longtemps cru qu’elle serait exécutée, la certitude qu’elle mourrait dans un goulag du Xinjiang l’a alors envahie » et page 143 : « J’allais mourir dans un camp, c’était certain ». Ces phrases sont caractéristiques de ces suppositions, elles portent sur l’avenir (elles sont donc par nature incertaines) et sur la mort. Elles sont par ailleurs infirmées par les faits. Mais faire se fréquenter le terme de « certitude » avec une construction au conditionnel, au-delà de la contradiction évidente, offre une solide force performative.
Le même phénomène, répété presque une page sur deux, est ainsi formidablement efficace : « on la fusillerait au milieu du désert enneigé » (p.16 et p.160 – apparemment ce n’est pas arrivé), « rien n’est plus simple que d’organiser la disparition d’un dissident puis d’enterrer son corps au milieu de nulle part » (p.31 – aucune preuve de telles choses), « […] qu’on ait jeté mon corps dans une fosse commune avec d’autre ouïghours » (p.193 – elle ne serait pas là pour en parler), « personne ne réchappe de ces camps » (p.243 – dixit la personne qui en a réchappé), etc.
Que ces suppositions soient, soit invalidées (pour la majorité), soit non démontrées, ne semble pas préoccuper Gulbahar Haïtiwaji ou Rozenn Morgat. « Mentez, il en restera toujours quelque chose ».
Outre la mort, il est impossible d’analyser ici tous les thèmes abordés dans ces suppositions mais il y en a un en particulier qui mérite notre attention et que nous analyserons de près dans le second volet de ce grand dossier : les stérilisations forcées.
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Jamais les informations n’auront été aussi contradictoires, quel que soit le média qui les diffuse. Alors comment peut-on faire pour décider du juste degré de confiance ou de méfiance face à l’actualité ? Je vous propose de passer par trois étapes : 𝟭) Connaître vos valeurs ; 𝟮) Comprendre le contexte du message ; 𝟯) Vérifier le contenu du message
– 𝗗𝗼𝘀𝘀𝗶𝗲𝗿 𝗖𝗵𝗶𝗻𝗲. Que sait-on vraiment de la situation des droits de l’homme en Chine ? – 𝗗𝗼𝘀𝘀𝗶𝗲𝗿 𝗡𝗲𝘄𝗕. Les promesses de la banque « éthiques » sont-elles vérifiées dans les faits ? – 𝗗𝗼𝘀𝘀𝗶𝗲𝗿 « 𝗗𝗲𝗺𝗮𝗶𝗻 ». Les petits pas en faveur du climat sont-ils devenus grands ? – 𝗩𝗲𝗻𝗲𝘇𝘂𝗲𝗹𝗮. Maduro a-t-il censuré sa télévision ? – 𝗖𝘂𝗯𝗮. Obama y était-il si populaire ?
de Selys, G. (Ed.). (1990). Médiamensonges (Vol. 1). Editions Aden. Hardwig, J. (1985). Epistemic dependence. The Journal of philosophy, 82(7), 335-349. Halkin, L. E. (1966). Éléments de critique historique. Popper, K. (2014). Conjectures and refutations: The growth of scientific knowledge. routledge. Sutton, R. I., & Staw, B. M. (1995). What theory is not. Administrative science quarterly, 371-384.