Analyses

Pourquoi je suis pro-vaccins Covid

Écoutez la version podcast :

Note : Le dossier qui suit est à la fois un travail de vulgarisation et une revue de littérature. Il est évidemment tout à fait possible que des erreurs subsistent. Si c’est le cas, n’hésitez pas à commenter et je modifierai en conséquence.

Un immense merci à mes tipeurices pour leur soutien : fillon, marsxys, g106973983737661016119 et smart684. Si vous aussi pensez qu’un tel travail mérite un soutien financier, vous pouvez vous rendre sur ma page Tipeee.

  1. Introduction : que croire et pourquoi?
  2. Le vaccin ne protège pas contre les formes graves
  3. Le vaccin n’empêche pas les contaminations
  4. On va nous sortir une 3ème dose, puis une vaccination annuelle
  5. Que fais-tu d’Israël où les chiffres remontent malgré la vaccination?
  6. En Angleterre, il y a plus de morts vaccinés que le contraire
  7. Les vaccins ne sont pas efficaces contre les variants
  8. Vacciner produit de nouveaux variants
  9. Pourquoi vacciner tout le monde? Vacciner les plus faibles suffirait
  10. On est déjà tous et toutes immunisé.es
  11. Il existe des médicaments efficaces, pas besoin de se vacciner
  12. À quoi sert de « maîtriser le virus », c’est une zoonose
  13. Le vaccin a été développé trop vite, on manque de recul
  14. Ce n’est pas surveillé, alors qu’il y a des effets secondaires
  15. L’obligation vaccinale est une atteinte à nos libertés
  16. Pourquoi ne pas laisser tranquilles celleux qui refusent?
  17. On censure les vraies chercheur.es
  18. Pourquoi croire les élites qui se moquent de nous?
Photo de cottonbro provenant de Pexels

De très nombreuses questions se posent sur la vaccination contre le COVID. Ces questions sont légitimes. Il est aussi insensé de les balayer d’un revers de main en traitant de « complotiste » toute personne qui s’interroge que de partir du principe que la vaccination en tant que telle serait une erreur parce qu’elle est portée par des entreprises par ailleurs criminelles ou au service d’États oppresseurs.

Dans ce dossier, j’essaie de répondre aux différentes interrogations que j’ai pu voir passer et j’espère que ce dossier viendra compléter les efforts d’informations et de vulgarisation notamment de la Tronche en Biais, ou encore de la page Facebook Toubib or not toubib. Je ne traite pas toutes les interrogations sur les vaccins COVID, mais j’ai sélectionné celles qui me semblaient les plus pertinentes, notamment pour un public dont les valeurs principales sont celles de la justice sociale, de l’anti-impérialisme, de l’anticapitalisme, de l’égalité.

Vous pouvez, en suivant les liens en début d’article, vous rendre directement à la section qui vous intéresse – même si je conseille vivement la première partie du dossier qui revient sur des positionnements épistémologiques : pourquoi croire une source plutôt qu’une autre ?

Comme tout le monde et en particulier comme auteur, j’aime plaire. Pourtant, je n’écris pas pour plaire. Ainsi, depuis le début de mon blog et, plus largement, depuis mes premiers écrits d’analyse, je me suis attiré pas mal de foudres.

Ma critique sur le film Demain a fâché les tenants d’un changement de paradigme par la réforme ; dénoncer les tests de QI a agacé toustes celleux qui voyaient en la reconnaissance de leur « haut potentiel » l’explication ultime et l’excuse implacable à leur mal-être ; l’explicitation de l’impossibilité d’une banque éthique comme NewB a attisé une colère qui m’a moi-même étonné ; mon travail de fond sur la Chine m’a valu les pires insultes – dont celle de « défendre les dictateurs ». En fait, il n’y a que ma dénonciation du capitalisme qui ne m’apporte aucune critique, tant les vrais ennemis savent combien je ne suis pas dangereux pour eux. Constat accablant.

Ce n’est pas quelque chose que j’apprécie, mais j’ai pris l’habitude de ne pas plaire, car il me semble que l’on gagne toujours, au moins à long terme, à chercher la vérité (sachant, bien entendu qu’en tant que discours sur le réel, la vérité n’est jamais qu’une perspective, qu’on espère correspondre le plus précisément à la réalité). Quand bien même cette recherche de vérité pourrait ne pas plaire à mon propre camp politique. Il en allait ainsi avec le film Demain, il en va sans doute pareillement de cet article sur la vaccination face au COVID.

Je nourris le souhait que, quelle que soit votre position actuelle sur les vaccins, c’est sur la base des arguments et non d’un rapport émotionnel (bien compréhensible au demeurant) que vous changerez ou non d’avis.

Je n’ai, jusqu’ici, presque pas écrit sur le COVID.

Non par peur, mais par ignorance. Je ne suis ni virologue, ni épidémiologue, ni chercheur en pharmacie, ni médecin, ni psychologue, ni psychologue social, etc. Beaucoup ont parlé sans savoir, beaucoup ont dit d’énormes âneries qu’ils ont ou auront à regretter. De plus, dans la plupart des grandes questions qui ont nourri le débat public, nous manquions de recul : quelle position adopter sur les masques ? Quid de la chloroquine ? Qui des rassemblements en extérieur ? Etc. Tant que suffisamment d’études fiables n’étaient pas produites, il était, comme citoyen.ne, beaucoup plus sain de suspendre son jugement. Ne pas prendre position en situation d’ignorance me semble être la position intellectuellement la plus saine.

Les politiques, au contraire, n’ont pas le choix de l’action. La suspension du jugement, se traduisant par l’inaction, peut avoir des conséquences dramatiques. Et, autant il me semble que nous DEVONS critiquer l’action de nos gouvernements, autant reconnaître la difficulté de la décision en situation d’incertitude relève de la simple honnêteté. Bien entendu, comme le montre très bien Michel Collon dans son livre Planète malade, tous les pays n’ont pas agi d’une manière aussi catastrophique que la nôtre. Prendre de bonnes décisions était possible, si nous n’avions pas été aveuglés par le besoin de profit.

Il y a, sur la question de la vaccination, une différence essentielle avec mes autres analyses et que je voudrais m’atteler à clarifier dans cet article. En ce qui concerne la vaccination, même comme citoyen.ne, il n’est pas possible de ne pas prendre position. Que l’on se vaccine ou que l’on ne se vaccine pas, notre choix aura des conséquences sur la collectivité. La suspension du jugement doit être décorrélée de l’action à proprement parler et c’est la raison pour laquelle l’analyse précise des arguments doit présider aux choix que nous prendrons de nous faire ou pas vacciner.

Enfin, ici comme dans mes articles précédents, je tiens à garder une position rationnelle, c’est-à-dire à mettre en accord mes positions avec l’état des connaissances. Adopter donc une position avec l’outil le plus adapté : la science. Je ne suis pas ici en train de dire que la science explique tout. Notre vie est pleine de phénomènes qui nous traversent et que la science ne peut expliquer. Dire les réactions chimiques de notre corps quand nous sommes amoureux ne dit en fait rien de l’amour. Dire ce qui se passe dans le cerveau pendant que nous rêvons ne dit rien des émotions qui nous étreignent pendant un cauchemar. Une explication scientifique de la beauté d’une œuvre d’art pèse peu au regard du ressenti. Etc.

Mais lorsque la science peut nous éclairer, elle le fait comme aucune autre esthétique, aucune autre pratique, aucune émotion ne peut le faire. D’ailleurs, indépendamment des positions des un.es et des autres sur les vaccins, nous faisons toustes confiance à cette science lorsque nous donnons notre avis sur Facebook (dont la technologie sur laquelle la plateforme repose est une trouvaille scientifique) et, en fait, à chaque moment de notre vie – depuis la machine à café du matin, la voiture, l’éclairage public, les plats surgelés, le PC pour le taf, les machines pour creuser les rues. La science est extrêmement puissante.

La puissance de la science tient aussi à ce qu’elle n’a aucune certitude. Elle se base sur des hypothèses. Par exemple : « La chloroquine est efficace au-delà de ce qui est statistiquement attendu pour un placebo ». Dans un deuxième temps, elle tente de réfuter son hypothèse, c’est-à-dire de la mettre à l’épreuve. Un peu comme si vous construisiez un bateau, vous allez le mettre à l’eau, le mettre à l’épreuve pour vous assurer qu’il ne coule pas. S’il coule, vous savez que votre technique ou que vos matériaux ne sont pas les bons. Vous aurez « réfuté » votre hypothèse et pourrez chercher une autre technique ou d’autres matériaux. Si votre bateau ne coule pas, vous allez considérer que c’est, jusque-là, votre meilleur bateau, donc votre meilleure hypothèse…jusqu’à ce qu’il coule, ou que quelqu’un d’autre invente un bateau plus performant, plus solide, plus léger, plus rapide, moins cher. Voilà pourquoi les études scientifiques sont si importantes : ce sont elles qui permettent de décider de la solidité d’une hypothèse. Ainsi, dans la suite de l’article, je ne me contenterai pas de « faire confiance » à une personne, même convaincante, mais je me fierai à des études qui respectent le protocole expliqué ci-dessus de mise à l’épreuve des hypothèses. Et il se peut qu’une étude citée soit un jour retirée parce qu’elle ne respecte finalement pas la rigueur attendue. C’est rare, mais ça arrive.

Ça veut dire que ce qu’on croyait juste hier pourrait être contredit par de nouvelles études demain. Et c’est extrêmement frustrant bien sûr. À quoi bon mettre sa confiance dans une parole qui est susceptible de changer le lendemain ? Mais le contraire est encore pire : qui ferait confiance à quelqu’un affirmant qu’il ne changera pas d’avis même si on lui prouvait qu’il avait tort ? Imaginez un juge qui, mis devant les preuves de l’innocence de l’accusé, le condamnera quand même parce que la culpabilité de cet homme était son hypothèse de départ ? Ainsi, de premières études et l’expérience de terrain ont pu laisser penser que la chloroquine était efficace mais les différentes méta-analyses (des études rassemblant les données de plusieurs autres études) ont montré que, non, le protocole Raoult ne l’était pas (voir par exemple la revue systématique du British Medical Journal).

La science est capable de dire : « On n’est pas sûr, donc on continue à chercher ». La science est imparfaite, mais elle restera toujours plus fiable que l’absence de science ; de même qu’un tribunal est imparfait mais qu’il restera toujours plus souhaitable que l’absence de jugement.

Il faut bien comprendre que la science n’est pas l’affaire d’individualités, le caractère séduisant d’un discours ou d’une personne ne garantit en rien sa pertinence. ; chaque nouvelle connaissance s’appuie sur les recherches de milliers, de millions, d’autres chercheurs en d’autres lieux, à d’autres époques. Newton le disait déjà et d’autres sans doute avant lui.

Les recherches sont maintes et maintes fois remises sur le métier et les conclusions s’affinent de plus en plus. S’affinent. Ça veut dire qu’il n’y aura pas de « grande révolution ». Les révolutions, même paradigmatiques, dans l’histoire des sciences sont non seulement immensément rares, mais qui plus est ne remettent en question que de façon marginale les conclusions précédentes. Si Einstein a bouleversé la physique, jusqu’à contredire radicalement la perspective de Newton, il n’en reste pas moins vrai que la plupart du temps les équations de Newton continuent de très bien fonctionner. Affiner, plus que révolutionner. Et c’est bien la première fois qu’on me prendra en flagrant délit de soutenir la voie de la réforme !

Par exemple, il n’y aura pas d’étude révolutionnaire prouvant, en une fois, la validité du protocole Raoult. Il faut bien comprendre ici l’effet statistique. Ce qui prouve l’absence d’intérêt de la chloroquine pour soigner et guérir le COVID, ce n’est pas une étude, c’est un ensemble d’études. Peut-être y a-t-il une étude ici ou là qui montre un effet significatif de la chloroquine, de la même façon que vous pourriez jouer à la roulette et voir la bille s’arrêter six fois d’affilée sur une case rouge. Est-ce à dire que vous devriez jouer le rouge ? Non. Ce qui compte, c’est l’effet statistique. Si, au bout de la soirée, la distribution des couleurs est normale, c’est-à-dire que la bille est tombée à peu près autant de fois sur le rouge que sur le noir, vous savez qu’il n’y aurait eu aucune raison de jouer le rouge plus que le noir. Si au bout de la journée, la bille est tombée beaucoup plus souvent sur le rouge, alors vous pourriez commencer à suspecter un effet de la roulette, peut-être truquée. Si cette tendance se confirme après une semaine, votre méfiance devrait être de plus en plus grande… Mais dans le cas qui nous occupe, la case « chloroquine » n’est pas sortie plus souvent que n’importe quelle autre case placebo. Fin de l’histoire.

Il en va de même avec les témoignages et les événements (presque) isolés, du style « je connais deux trois journalistes qui ont été sauvés par l’ivermectine », comme l’affirmait Martin Zizi dans un entretien avec BAM. Outre le fait qu’on aimerait bien savoir comment ce monsieur est capable, à distance, de faire le lien de causalité entre les soins, la guérison et la prise du médicament, on est face ici à un biais cognitif relatif à la force de conviction d’un témoignage.

Photo de Lukas provenant de Pexels

Bien sûr, vous trouverez toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un qui pense avoir été sauvé avec de l’hydroxychloroquine, ou qui aurait eu une thrombose après la vaccination (témoignages souvent difficiles, voire impossibles, à recouper), ou encore cette maison de repos dans laquelle plusieurs personnes vaccinées ont malgré tout contracté le COVID (amené par un.e membre de la famille ou un.e soignant.e peut-être non-vacciné.e, soit dit en passant). Outre les « détails » qui n’en sont pas (depuis combien de temps étaient-iels vacciné.es ? Combien de doses ? Les symptômes sont-ils graves ?), on note le caractère exceptionnel de ce genre de récit. Trois ou quatre EHPAD concernées sur 7500, ça fait 0.05%. Autant dire rien du tout, d’un point de vue statistique. C’est aussi mon plus gros problème avec des organes de presse alternative qui ont fait leurs choux gras d’une couverture hyper critique et, de mon point de vue, frisant avec le complotisme, lors de cette crise COVID en faisant la part belle aux opinions, aux témoignages de non expert.es et sans aucune rigueur scientifique.

Je veux être clair : les craintes quant aux positions de nos gouvernements et aux pratiques des industries pharmaceutiques sont tout à fait légitimes. Il est absolument nécessaire d’être vigilant quant à ce que les mesures prises soient en accord avec les nécessités sanitaires. Par ailleurs, il y a une multitude d’arguments contre la vaccination qui sont absolument pertinents. Si mon hypothèse de départ est « la vaccination est efficace, il faut l’appliquer massivement », je dois aussi chercher à la réfuter, la mettre à l’épreuve. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé dans cet article de regrouper les arguments opposés à la vaccination que j’ai pu trouver et de voir ce que les études en disent.

J’ai divisé les arguments en trois grandes catégories : 1) La première porte sur l’efficacité des vaccins et les questions qui en découlent sur l’immunité naturelle, les contaminations qui continuent, les nouveaux variants, les traitements médicamenteux ; 2) la seconde porte sur les risques liés à la vaccination – car un vaccin très efficace peut aussi être dangereux. J’y aborde le développement du vaccin, les effets secondaires, la pharmacovigilance, le caractère inédit de vaccins à ARN ; 3) La dernière partie aborde les questions éthique et politique, le rapport à la liberté, la censure, la stigmatisation des personnes non-vaccinées, la confiance à accorder à des personnes qui ne la méritent pas.

Ce travail est un point à un instant « t ». Il est susceptible d’évoluer, également en fonction des commentaires dans lesquels je demanderai aux lecteurices de rester courtois. Bonne lecture.

Efficacité

Le vaccin ne protège pas contre les formes graves

C’est une première idée reçue : les études et les chiffres sont très clairs. Un article du Lancet de mai 2021 conclut que deux doses du vaccin Pfizer sont hautement efficaces, quel que soit le groupe d’âge, et cela « pour empêcher les infections symptomatiques et asymptomatiques, les hospitalisations, les formes graves et la mortalité, ceci incluant le variant B.1.1.7 », aussi appelé variant alpha. L’incidence du virus était inversement proportionnelle à l’étendue de la vaccination – ce qui a amené les chercheur.es à affirmer, dans leurs conclusions, que la vaccination « peut aider à contrôler la pandémie ».  

Un article du Monde du 27 juillet 2021 revient en particulier sur la mortalité et montre que les pays qui ont le plus vacciné sont aussi ceux où l’on meurt le moins, malgré l’arrivée du variant delta – ce qui complète les informations du paragraphe précédent. Notons qu’aucun de ces pays, par ailleurs, ne semble avoir atteint un taux de vaccination suffisant pour assurer une immunité collective, quand bien même les frontières seraient fermées. A contrario, on note une flambée des cas dans les pays qui n’ont pas accès aux vaccins et une mortalité importante. Autrement dit, c’est encore une fois le capitalisme qui tue massivement. Le problème, ce n’est pas le vaccin, c’est la propriété privée des vaccins.

Le vaccin n’empêche pas les contaminations

Un argument qui revient souvent est le suivant : à quoi bon s’injecter un truc dans le corps si ledit truc est incapable d’arrêter les contaminations ? L’argument pose problème. Diriez-vous qu’il n’y a pas d’intérêt à mettre sa ceinture de sécurité alors que celle-ci ne pourra vous sauver à coup sûr en cas d’accident ? Bien sûr que non.

Comme la ceinture de sécurité réduit fortement la gravité d’un accident que vous pourriez subir, si les vaccins réduisent la quantité de contaminations d’une part, et leur qualité – c’est-à-dire la charge virale -, alors ils sont bénéfiques.

L’article du Lancet cité plus avant indiquait déjà que le vaccin est efficace contre les infections, mais cet article ne portait pas précisément sur la question de la transmission. Un article récent paru dans News Medical Life Sciences, une revue de vulgarisation, indique qu’il y a aujourd’hui peu d’études permettant de répondre à la double question de la transmission du virus par des personnes vaccinées et de la charge virale contenue dans une potentielle transmission.

Notons malgré tout des indices empiriques pertinent, comme le dernier rapport de la DREES montrant que 80% des nouveaux cas positifs concernent des personnes non-vaccinées, ce qui se traduit d’ailleurs dans la part des hospitalisations, dont les soins critiques et les décès, des chiffres qui donnent, en miroir, une idée de l’efficacité des vaccins dans la transmission d’une charge virale suffisante pour déclarer des symptômes.  

Les quelques études produites (on trouvera, sur cette question, une revue de littérature de juin 2021 tout à fait pertinente publiée par la Santé publique de l’Ontario, et on peut également se référer à ce récent preprint) indiquent une réduction de la transmission au sein des ménages et parmi les soignant.es qui sont vacciné.es, là où des études précédentes indiquent une réduction de la charge virale, ce qui participe à réduire les risques de propagation virale. Des personnes qui auraient pu se retrouver en soins intensifs ne feront par exemple qu’une version légère de la maladie. Encore une fois, vous trouverez sans aucun doute des contre-exemples, mais ce qui importe, comme dit plus haut, c’est l’échelle globale, pas l’un ou l’autre contre-exemple instrumentalisé pour servir une cause.

Un autre article en preprint, cette fois mis en ligne par l’Institut Pasteur fin juin 2021, basé sur une modélisation mathématique et un scénario de vaccination où 70% des 18-59 ans sont vaccinés, anticipe une transmission du virus 12 fois plus élevée chez les personnes non-vaccinées que chez les individus vaccinés. L’article indique que « de toutes les mesures considérées, incluant des tests répétés et des mesures non pharmaceutiques (NDA comme la distanciation sociale, les couvre-feux, le confinement, etc.), la vaccination des non-vacciné.es reste la plus efficace ». Par ailleurs, « vacciner les enfants est important pour les protéger des effets délétères des mesures non pharmaceutiques » – comme le port du masque, les contacts sociaux réduits, etc.

Autrement dit, se vacciner permettrait à la fois de réduire la circulation du virus, sa dangerosité et les effets négatifs des lockdown, distanciation, événements annulés, etc.

On pourrait se demander ce que change le variant delta dans ce contexte. Sur base des données disponibles, le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) indique que le variant delta serait de 40 à 60% plus contagieux que le variant alpha. Dans la mesure où une personne complètement vaccinée est presque aussi bien protégée du delta que de l’alpha, on voit combien la vaccination est essentielle. Il est sans doute trop tôt pour avoir des publications valables concernant l’efficacité des vaccins concernant la transmission et la charge virale appliquées spécifiquement au variant delta.

On va nous sortir une troisième dose, puis une vaccination annuelle

Il faut d’abord être très clair quant au fait que plusieurs doses et « rappels » pour des vaccins, ça n’a rien d’exceptionnel. Des rappels sont ainsi recommandés pour réactiver les défenses immunitaires contre la coqueluche, la diphtérie et le tétanos. On ne doit pas y voir « l’inefficacité » des vaccins, mais au contraire leur efficacité dans leur capacité à pousser notre organisme à nous défendre.

D’autre part, des vaccins annuels existent, comme ceux contre les virus de la grippe qui se modifient en permanence. Une situation comparable avec le coronavirus ne serait pas surprenante et ne permet pas, non plus, de conclure à une inefficacité des vaccins. Un article très intéressant, publié par la revue Nature, revient en détails sur les challenges, les possibilités, les difficultés et les promesses de l’adaptation des vaccins aux potentiels futurs variants.

Outre ces éléments, une troisième dose peut être l’indice de trois choses :

1) une efficacité moindre que prévue, notamment vis-à-vis des nouveaux variants. Nous avons déjà exploré cette question supra pour les variants connus, mais on ne peut évidemment anticiper l’efficacité des vaccins sur les variants futurs ;

2) l’immunité acquise grâce au vaccin peut décroître avec le temps. Il existe peu d’études – logiquement, puisqu’on ne peut aller plus vite que le temps ! – permettant d’en savoir plus et nous sommes ici dans l’incertitude, bien qu’un article lui aussi paru dans la revue Nature fin juin 2021 semble aller dans le sens d’une immunité durable ;

3) la grande cupidité des industriels qui trouvent dans la crise une très bonne façon de se remplir les poches. Pfizer pourrait pousser à l’exigence d’une 3ème dose, indépendamment des exigences sanitaires. Pourquoi ? Pour le fric. Ainsi la firme Pfizer anticipe un chiffre d’affaires record de 78 milliards d’€ et voit déjà son bénéfice net trimestriel s’élever à 5,5 milliards d’€. Sachant que c’est la collectivité des pays riches qui paie, que tout cela a été possible grâce à des chercheur.es initialement formé.es avec de l’argent public, avec de nombreuses études pour contrôler, évaluer, mesurer les vaccins réalisées également avec de l’argent public et sachant que les pays qui n’ont pas les moyens (parce qu’on les leur vole) sont laissés de côté sans état d’âme, il y a de quoi être profondément révolté.es.

Avec ces trois éléments bien en tête, nous serons en mesure de jouer, si nécessaire, notre devoir de citoyen.ne.

Que fais-tu d’Israël où ça remonte en flèche malgré le vaccin ?

Le cas d’Israël est particulièrement intéressant et interpellant, dans la mesure où c’est un pays où l’on a vacciné massivement et très vite. On trouvera plusieurs ressources qui abordent la question d’Israël qui voit un nouveau pic dans ses contaminations malgré une vaccination massive. Associated Press a analysé la situation fin juillet 2021, le Washington Post à peu près au même moment. On est ici typiquement dans une « guerre des chiffres » et donc un risque d’instrumentalisation de ceux-ci.

Que pouvons-nous dire aujourd’hui ?

Source : ourworldindata.org
  1. Depuis la fin mars 2021, le taux de vaccination en Israël stagne et, à l’heure d’écrire ces lignes, 62 % de personnes sont complètement vaccinées en Israël, ce qui est insuffisant pour une immunité collective, même vis-à-vis des premières estimations, avant le variant delta, estimant à 70% le taux de vaccination minimal. À celleux qui se poseraient la question, le taux de vaccination complète auquel arriver pour atteindre cette immunité est impossible à anticiper, notamment parce qu’il dépend de données indisponibles, comme les nouveaux variants, la contagiosité malgré le vaccin, etc.
  2. Lorsque la vie « normale » reprend, les contacts sociaux reprennent également et avec eux, la diminution des gestes barrière. Par conséquent, le virus peut à nouveau circuler plus facilement.
  3. Il semble que la plus grande contagiosité du variant delta ait des effets importants sur le pic de contaminations que connaît Israël aujourd’hui ; presque toutes les nouvelles contaminations sont dues à ce variant.
  4. Par contre, s’il est vrai que le nombre de cas réaugmente en Israël, la courbe de la mortalité n’est jusqu’ici pas corrélée à celle des cas. Autrement dit : certes le virus circule, ce qui est essentiellement dû à la contagiosité du variant delta, mais grâce au vaccin, il ne fait presque plus de dégâts. On ne peut mettre en cause ici l’efficacité du vaccin mais seulement une éventuelle (et j’insiste sur « l’éventuelle ») immunité qui décroît, voir à ce propos l’excellent thread sur Twitter de Dvir Aran, relayé par la vidéo de la tout aussi excellente chaîne Osons causer.
  5. Il faut tenir à l’œil l’immunité éventuellement décroissante et la mettre en lien avec les autres données à notre disposition qui, parfois, se contredisent (voir la section précédente sur la possible nécessité d’une troisième dose).  

En Angleterre, il y a plus de morts vaccinés que non vaccinés ?

Dans un rapport officiel paru fin juin 2021, à la page 14, on peut lire qu’il y a eu plus de morts du COVID parmi les personnes vaccinées que parmi les personnes non vaccinées : un total de 50 morts chez les vacciné.es de plus de 50 ans et de 38 morts chez les non vacciné.es. N’est-ce pas ici une preuve empirique très claire de l’inefficacité des vaccins ?

En fait, pas du tout. Nous avons ici à faire avec un biais de raisonnement bien connu. Tout dépend du nombre de personnes vaccinées, comme l’explique très bien le journal le Monde. Ainsi, dans la mesure où il y a beaucoup plus de personnes vaccinées (plus de 20 millions pour au moins une dose) que de personnes non vaccinées (0,78 millions), ces mêmes chiffres indiquent qu’une personne non vaccinée a vingt fois plus de risques de décéder du variant delta qu’une personne vaccinée (0,26 décès pour 100.000 personnes contre 4,89 décès pour 100.000 personnes).

Je ne peux que conseiller aux lecteurices d’aller voir la vidéo de M. Phi sur la loi de Bayes pour comprendre le biais de raisonnement caché derrière cet argument, et pour ne plus se faire avoir la prochaine fois.

De toute façon, les vaccins ne sont pas efficaces contre les variants

Deux éléments ici : 1) Les vaccins sont-ils efficaces contre les actuels variants ? ; 2) Les vaccins seront-ils efficaces contre les prochains variants ?

Une étude de référence, parue fin juillet 2021 dans le New England Journal of Medicine et financée par le service public anglais, donne des indications sur la première de deux questions. Comme toujours, une étude doit être corroborée par d’autres études et comparée avec les données empiriques à disposition (notamment en gardant à l’œil le cas d’Israël, en tant que pays ayant vacciné très tôt, et pour lesquels des questions se posent – pas tant sur l’efficacité du vaccin que sur le maintien dans le temps de l’immunité acquise).

Cette étude est pertinente parce qu’elle analyse les deux types de vaccins conçus pour lutter contre le COVID : le vaccin à ARN messager (BNT162b2) et le vaccin à vecteur viral vivant non réplicatif (ChAdOx1 nCoV-19).

Quels sont les résultats ? D’abord que l’efficacité des deux vaccins était significativement moindre après une seule dose parmi les personnes contaminée par le variant delta que par le variant alpha. En revanche, l’efficacité du vaccin à ARN après deux doses reste extrêmement haute pour les deux variants (93,7% pour l’alpha, 88% pour le delta). Pour le vaccin à vecteur viral vivant non réplicatif, l’efficacité après deux doses était de 74,5% pour le variant alpha et de 67% pour le variant delta.

L’article indique donc qu’il n’existe « que des différences modestes dans l’efficacité des vaccins avec le variant delta comparée au variant alpha après l’injection des deux doses ». Les auteur.es concluent sur la nécessité de maximiser la vaccination avec deux doses, surtout parmi les populations les plus vulnérables.

Qu’en sera-t-il de l’efficacité des vaccins sur les prochains variants ? Hé bien, malheureusement, il est impossible d’anticiper quoi que ce soit. Deux théories s’opposent à ce sujet : la première voudrait que la vaccination produise de nouveaux variants ; la seconde, au contraire, indique qu’en réduisant la circulation du virus par la vaccination, on diminue d’autant la capacité du virus à muter. C’est cette question que je propose d’analyser maintenant.

Vacciner produit de nouveaux variants

Si vacciner produit de nouveaux variants, il y aurait peu de sens à vacciner massivement. En effet, on se retrouverait dans une course contre la montre perpétuelle. Si, au contraire, vacciner permet de réduire la production de nouveaux variants, alors la vaccination est cruciale parmi les stratégies à adopter.

Charles Darwin, père de la théorie de l’évolution
Source : Wikicommons

Première question : est-ce que l’absence de vaccination empêche l’apparition de nouveaux variants ? La réponse ici est très claire : non, pas du tout. Parce qu’il s’agit ici d’un phénomène connu de l’évolution. Comme le rappelle l’Alliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation, un partenariat public-privé sur les questions d’immunisation, les virus mutent continuellement : « La plupart de ces mutations n’ont pas de conséquences [mais], occasionnellement, une mutation renforce la capacité du virus à se répliquer, à se transmettre ou à échapper à notre système immunitaire ». Ainsi, « parce que les virus porteurs de telles mutations ont plus de succès, ils ont tendance à concurrencer les autres virus et à se propager dans la population humaine ». On comprend donc que, vaccins ou pas, de nouveaux variants apparaissent. D’ailleurs le variant alpha, d’abord appelé « variant britannique » est apparu avant la vaccination des populations.

Deuxième question : quel rôle la vaccination peut-elle jouer face à cette tendance naturelle des virus, comme tout organisme, à muter ? Hé bien comme l’explique un article de la mi-mars 2021 de la revue Nature, « au plus le virus prend de temps pour se transmettre, au plus il faudra de temps pour que de nouveaux variants émergent et se propagent ». Or, on l’a vu, les données laissent penser que la vaccination diminue à la fois la charge virale et la contagiosité, réduisant par conséquent la circulation du virus et donc sa capacité à produite de nouveaux variants. En effet, l’Organisation Mondiale de la Santé l’explicite : « Quand un virus circule largement dans une population et cause de nombreuses infections, la probabilité que le virus mute augmente. Au plus le virus a d’opportunités de se propager, au plus il se réplique – et au plus il a d’opportunités de subir des changements ». Évidence mathématique.

En dépit de cette évidence « mathématique » et contre l’avis des scientifiques et des institutions citées ci-dessus, certain.es comme Christian Vélot, biologiste et homme politique, membre du conseil scientifique du CRIIGEN, expliquent que se faire vacciner serait, au contraire, faire preuve d’une irresponsabilité collective. Selon lui, « il faut laisser un échappement contre de nouveaux variants [avec] des personnes non vaccinées ».

La chaîne Youtube de la Tronche en Biais revient sur cet argument dans une vidéo du 23 juillet 2021 et c’est sur base de cette vidéo que j’y réponds ici. Avec une perspective évolutionniste, Christian Vélot suppose que la vaccination sélectionnerait les variants les plus résistants, et donc potentiellement les plus dangereux, en éliminant ceux contre lesquels elle peut lutter. Une proposition tout à fait censée. Par conséquent, il faudrait y réfléchir à deux fois avant de se faire vacciner.

Qu’en penser ?

D’abord, comme on a commencé par le dire, avec ou sans vaccination, il y a une compétition entre les variants viraux. À coté de cet aspect fondamental, il existe trois scénarios : 1) la vaccination est trop faible pour avoir un effet sur les variants ; 2) la vaccination est assez étendue pour effectivement induire une pression de sélection sur les variants qui peuvent lui résister ; 3) la vaccination est grandement étendue, la circulation du virus largement réduite et, comme dit plus haut, la probabilité qu’un tel variant apparaisse est minime.

Autrement dit, il faut absolument viser le plus haut niveau de vaccination possible et non pas le contraire, tout en maintenant les gestes barrière. Ces deux mesures ensemble limitent très fortement la circulation du virus et donc sa capacité à muter. Cette argumentation théorique, comme le dit Thomas Durand de la Tronche en Biais, trouve par ailleurs son illustration empirique : « Dans l’histoire du COVD19, les variants les plus dangereux […] sont apparus dans des populations non vaccinées ou très peu vaccinées ». Une étude, toujours en preprint, indiquerait que « les pays qui vaccinent le plus voient la diversité des virus diminuer, autrement dit, plus on vaccine, moins il y a de variants ». Et Durand de conclure que les « non vaccinés représentent un réservoir à mutants et donc une menace pour les vaccinés qui ne sont jamais immunisés à 100% ». C’est l’hésitation vaccinale qui est dangereuse et non la vaccination.

Pourquoi vacciner tout le monde ? Vacciner les plus faibles suffirait

La conclusion de la section précédente est déjà une réponse à cette question : vacciner le plus de monde possible est une barrière contre la production de nouveaux variants et contre la circulation du virus. Cet argument à lui seul devrait suffire.  

Toutefois, un autre aspect fondamental est qu’une vaccination la plus étendue possible protège également les personnes qui, pour des raisons médicales, ne peuvent être vaccinées ou voient l’efficacité de la vaccination moindre sur elles. Il y a bien sûr les personnes allergiques aux vaccins, les cas sont exposés sur la page du CDC avec les différentes possibilités qui leur sont offertes. 

Un article de mars 2021, paru dans Clinical Immunology, invite également à la prudence les jeunes patientes déjà affectées ou qui ont des prédispositions aux troubles auto-immunes ou auto-inflammatoires, en ce qui concerne le vaccin à ARN : « Selon les données épidémiologiques, ces sujets peuvent développer l’infection [auto-immune] de manière asymptomatique ou pauci-symptomatique ». Ainsi, « l’administration d’un vaccin à base d’acide nucléique peut plutôt exposer ces personnes à des effets secondaires immunologiques indésirables ».

Vacciner seulement « les plus faibles » laisse également penser que la maladie du COVID ne pose problème que lorsqu’elle tue. C’est une aberration. Au-delà des morts, les malades même jeunes peuvent avoir des séquelles sur le long terme – ce qu’on appelle le « COVID long », ce qui discrédite les propos de Martin Zizi sur ce point. Et, bien entendu, il est impossible d’anticiper en quelle mesure une jeune personne non vaccinée sera plus ou moins sensible à la maladie.

Ne négligeons pas les très rudes problèmes de santé mentale conséquents aux COVID longs, lesquels concernent également des personnes qui n’ont pourtant pas subi un COVID « sévère ». L’institut John Hopkins explique que « le SRAS-CoV-2 peut attaquer le corps de diverses manières, causant des dommages aux poumons, au cœur, au système nerveux, aux reins, au foie et à d’autres organes ». Les problèmes de santé mentale peuvent être causés par « le deuil et la perte d’un.e proche, de la douleur ou de la fatigue non résolues, ou d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) après un traitement dans l’unité de soins intensifs (USI) ». Les symptômes durables les plus courants sont « la fatigue, l’essoufflement, la toux, les douleurs articulaires et thoraciques ». D’autres problèmes incluent « des problèmes cognitifs, des difficultés de concentration, une dépression, des douleurs musculaires, des maux de tête, un rythme cardiaque rapide et une fièvre intermittente ».

Enfin, dans la mesure où on voit bien que la courbe des hospitalisations remonte elle aussi, n’oublions pas que l’occupation des lits d’hôpitaux pose problème parce que les patients COVID requièrent des soins qui pourraient être dédiés à d’autres types de malades et coûtent également de l’argent public – quand bien même ces hospitalisations ne mèneraient pas à un décès.

On est déjà tous immunisé.e

Un autre argument voudrait qu’il n’est pas nécessaire de se faire vacciner puisque nous aurions déjà une immunité naturelle.

Photo de cottonbro provenant de Pexels

Dans le premier scénario, notre système immunitaire, indépendant d’une infection préalable au COVID, se défend comme il le fait avec n’importe quelle autre maladie. Infecté, on peut faire la maladie mais le corps a les ressources pour la contrer. Pour l’immense majorité de la population, c’est amplement suffisant et on ne manquera pas de présenter des chiffres qui montrent combien le COVID est une maladie « anodine », parce qu’elle n’aura pas tant tué, parce qu’elle tue moins que la pollution de l’air, parce que ce n’est souvent qu’une grosse grippe, etc. Je réponds à cette question « éthique » infra.

Dans le second scénario, nous avons déjà été infecté par le COVID et notre corps a pu produire des anticorps spécifiques face à la maladie. Plusieurs questions se posent à ce stade : 1) L’immunité naturelle est-elle suffisante pour contrer le virus, protège-t-elle longtemps ? ; 2) Est-elle utile pour lutter contre la circulation du virus ? ; 3) Quels sont les avantages et les désavantages d’une immunité naturelle versus une immunité vaccinale ?

  1. Plusieurs études montrent que l’immunité acquise suite à une infection est efficace et durable, en tout cas à moyen terme. Notons cette étude publiée en octobre 2020 par le New England Journal of Medicine et cette autre étude publiée par le Lancet en avril 2021 qui conclut sur le fait que « des antécédents d’infection par le SRAS-CoV-2 étaient associés à un risque d’infection réduit de 84 % ». Autrement dit, « une infection antérieure par le SRAS-CoV-2 induit une immunité efficace contre les infections futures chez la plupart des individus ». Quant aux promesses de l’immunité dite « croisée », à savoir une immunité naturelle acquise sans avoir été exposé au virus, c’était une théorie – notamment – du Pr. Raoult qui lui avait fait dire qu’il n’y aurait pas de seconde vague… On voit aujourd’hui à quel point ce dernier était dans l’erreur.
  • L’immunité naturelle implique donc une infection préalable. Or, une infection préalable suppose, collectivement, que le virus circule – ce qu’il faut éviter au maximum, comme on l’a vu plus haut, pour ne pas favoriser l’émergence de nouveaux variants – mais cela suppose aussi, individuellement, une infection qui potentiellement vous impose des problèmes de santé mentale à long terme, vous envoie à l’hôpital, aux soins intensifs…ou à la morgue. Une fois qu’on a développé cette immunité naturelle, on participe moins à la circulation du virus, ce qui est une bonne chose. Encore faut-il, bien sûr, que cette immunité naturelle soit comparable à l’immunité vaccinale.

Nous pouvons conclure que, dans la mesure où personne ne sait comment son propre corps réagira et quelle sera la qualité de sa propre réponse immunologique naturelle, la vaccination est le choix le plus rationnel.

De plus, il semble que, vacciné ou non, notre corps peut s’adapter, comme le montre une étude parue dans Nature en Janvier 2021. La vaccination n’empêche donc pas le corps de « continuer à travailler ».

L’idée est, par conséquent, de mettre toutes les chances de son côté : 1) Viser un taux mondial de vaccination le plus haut possible, d’autant que, comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé : « La proportion de la population qui doit être vaccinée contre le COVID-19 pour commencer à induire une immunité collective n’est pas connue ». Cette proportion variera certainement « en fonction de la communauté, du vaccin, des populations prioritaires pour la vaccination et d’autres facteurs ». On voit bien avec Israël combien cette question est difficile et pourrait (au conditionnel) contredire les premières projections ; 2) Profiter des capacités de notre corps à se défendre naturellement et à s’adapter aux prochains variants.

À quoi bon se vacciner, il existe des médicaments efficaces comme l’ivermectine et l’amantadine

On ouvre ici un sujet particulièrement sensible et dans lequel il n’est pas facile de se faire un avis. C’est le cas depuis le début de la crise, on se souvient bien entendu du Pr. Raoult et de son « protocole » à base d’hydroxychloroquine.

Commençons par « le plus évident » : les antibiotiques. Pourquoi ne pas les utiliser ? Hé bien avant tout parce que les antibiotiques sont utiles contre les bactéries et non contre les virus. Dans le cas du COVID, qui met en jeu un virus, il n’y a de sens à utiliser les antibiotiques que dès l’instant où une infection bactérienne s’est ajoutée à l’infection virale.

Ivermectine
Source : Wikicommons

Venons-en maintenant aux médicaments les plus controversés. On commence avec l’ivermectine qui, selon M. Wathelet (rien à voir avec moi…), est efficace contre le COVID. L’Organisation mondiale de la santé, contrairement à ce qu’on pourrait croire, a adressé sérieusement cette question et conclut que « les preuves actuelles quant à l’usage d’ivermectine sur des patients COVID ne sont pas concluantes ». L’usage d’ivermectine devrait être, pour l’instant, « réservé à des essais cliniques ». On peut trouver la justification complète de l’OMS, qui est en soi intéressante, ici. L’article scientifique justifiant principalement cette décision a été publié par le British Medical Journal et date de mars 2021 ; concernant l’ivermectine en particulier, ce papier conclut à des effets « évalués comme étant de très faible certitude pour tous les résultats critiques, y compris la mortalité ».

L’OMS « refuse-t-elle » d’explorer la piste de l’ivermectine ? Pas du tout. Elle dit juste que « ce n’est pour l’instant pas concluant ». Grosse différence. Serait-ce pour « protéger » l’industrie pharmaceutique et s’assurer qu’elle conserve ses profits ? Ce serait surprenant dans la mesure où des études précédentes ont montré qu’un médicament rapporte en général plus qu’un vaccin. Ce n’est pas pour rien que Pfizer et Moderna cherchent à encore honteusement augmenter leurs profits en augmentant les prix de leurs vaccins respectifs.

Mais qu’en est-il des « preuves scientifiques » amenées par M. Wathelet sur l’efficacité de l’ivermectine ? On se trouve ici dans un cas classique de confrontation des sources entre lesquelles il faudra bien choisir. M. Wathelet cite notamment une méta-analyse de janvier 2021 concluant à un apport significatif de l’ivermectine. Qu’en penser ?

  1. D’abord, qu’en effet, l’ivermectime a montré une certaine efficacité in vitro, comme en témoigne cet article publié en juin 2020 dans Antiviral Research. Mais on avait pareil résultat avec l’hydroxychloroquine – des effets qui n’ont pas été confirmés in vivo (ce qui est fréquent).
  2. En fait, les études publiées actuelles sur l’ivermectine montrent des résultats jusqu’ici en conflit, comme on peut le voir avec la revue de littérature systématique très récente sur ce sujet et publiée par Cochrane Library fin juillet 2021. On attendait une étude de grande ampleur concluant à l’efficacité de l’ivermectine et de grands espoirs ont été placés dans l’étude d’Elgazzar et al. publiée en preprint en décembre passé, laquelle annonçait de grands résultats sur un nombre important de participant.es. Nous y reviendrons.
  3. Dans un même temps, les études sur l’ivermectine, un médicament de réemploi à bas coûts, ont été essentiellement réalisées dans les pays à bas revenus, avec un accès réduit aux vaccins. Les pays occidentaux semblent quant à eux ne pas beaucoup s’y intéresser, à part l’analyse de plus grande ampleur du BMJ citée plus haut et une lettre qui traite, entre autres, de l’ivermectine et des problèmes de politisation et de communication liées à cette dernière. À part ça, Nature n’a publié, à ma connaissance, aucune étude sur l’ivermectine, le New England Journal of Medicine non plus, rien dans PLOS et, enfin, rien dans le Lancet. De quoi clairement alimenter la suspicion.
  4. L’affaire « ivermectine » a rebondi il y a quelques jours à peine. Dans un article du 2 août 2021, Nature rapporte que la fameuse étude preprint d’Elgazzar et al. a été retirée de la plateforme ResearchSquare pour cause de plagiat et de manipulation de données, ce qui a constitué un séisme dans la communauté scientifique et constitue un véritable camouflet pour les défenseurs de l’ivermectine. Or, ce n’est pas la première fois qu’on assiste à pareille manipulation, en particulier sur l’ivermectine, souligne Nature : Andrew Hill, spécialisé dans les médicaments de réemploi, « pense que bon nombre des autres documents d’essai sur l’ivermectine qu’il a numérisés sont susceptibles d’être erronés ou statistiquement biaisés. Beaucoup reposent sur des échantillons de petite taille ou n’étaient pas randomisés ou bien contrôlés ». Il ajoute qu’en 2020 « une étude observationnelle du médicament a [aussi] été retirée ».
  5. Or, il apparaît que l’étude d’Elgazzar et al. compte pour beaucoup dans la méta-analyse citée par Marc Wathelet et vers laquelle on m’a régulièrement renvoyé. Ajoutons que cette méta-analyse a plus de 6 mois et demi, n’est pas publiée et a peu de chance de l’être un jour étant donné la controverse expliquée ci-dessus. Elle reste un preprint, citant d’autres preprint dans l’étude maintenant retirée. Enfin, cette méta-analyse émet elle-même, dans ses propres conclusions, des réserves, indiquant que « de nombreuses études incluses n’ont pas été évaluées par des pairs et les méta-analyses sont sujettes à des problèmes de confusion. L’ivermectine doit être validée dans des essais randomisés plus vastes et contrôlés de manière appropriée avant que les résultats ne soient suffisants pour être examinés par les autorités réglementaires ». Dont acte.
  6. On peut finalement ajouter que l’ivermectine est toujours à l’étude, dans des essais cliniques, dont on espère qu’ils seront plus sérieux que ceux déjà réalisés. On peut à ce sujet lire cette revue de littérature, voir les controverses en cours et les essais cliniques la concernant.

L’ivermectine n’est pas le seul médicament de réemploi qui attire l’attention. Le Dr. Martin Zizi a également évoqué l’amantadine, laquelle sert à traiter dans certains pays la maladie de Parkinson. Selon lui, le fait même d’étudier l’amantadine pour le COVID a été balayé d’un revers de main – une assertion contraire à la vérité, comme en témoignent plusieurs essais cliniques actuels pour lesquels on recrute des participants et que l’on peut retrouver ici, ici et ici.  

Toutefois, en racontant l’anecdote de 22 patients atteints de Parkinson et du COVID avec comorbidités et qui ont « à 100% survécu » grâce à l’amantadine, M. Zizi n’est-il pas pris dans un « biais du témoignage » ? En effet, l’étude soi-disant « de qualité » vers laquelle il renvoie est en fait une étude par questionnaire et se base sur un échantillon absolument non représentatif (22 personnes !), qui ne permet aucunement de conclure. No comment.  

Réfléchissons : si les patient.es atteint.es de Parkinson ne mourraient pas du COVID, nous devrions en trouver des traces à l’échelle de tous les pays utilisant l’amantadine, et pas seulement chez ces 22 patient.es. Or, il n’y a qu’à se rendre sur le site de l’Association américaine pour Parkinson, sachant que l’amantadine est bien utilisée aux USA pour traiter cette maladie. Que pouvons-nous y trouver comme information ? Hé bien, il y a des recommandations COVID spécifiques pour ces malades, dont on voit bien qu’ils ne sont pas épargnés. D’ailleurs, dans la F.A.Q. du site, à la question de savoir si l’amantadine fonctionne contre le COVID, la réponse est très claire : « Nous n’avons pas de preuve que l’amantadine agisse contre le COVID, vous devriez donc continuer à considérer qu’elle n’a pas d’effet contre le coronavirus ».

À quoi sert d’essayer de maitriser ce virus, c’est une zoonose !

Selon certain.es spécialistes, comme Martin Zizi déjà cité, il ne serait pas pertinent d’essayer de maîtriser le virus parce que, comme il est déjà présent partout et tout le temps chez plein d’espèces, il mute tout le temps aussi – il faudrait donc ne protéger par le vaccin que les personnes les plus faibles et laisser l’immunité naturelle agir pour les autres.

Que dire à cela ?

J’ai déjà répondu plus haut aux questions de la vaccination « sélective », de « l’immunité naturelle » et de l’apparition de « nouveaux variants ». Du reste, s’il est vrai que la pandémie vient très probablement à la base d’une transmission de l’animal vers l’homme (comme une chauve-souris), le CDC (Center for Disease Control and Prevention) affirme qu’il n’y a jusqu’ici pas de preuve que les animaux puissent jouer un rôle significatif dans la pandémie. Le risque que les animaux propagent l’épidémie chez les humains est considéré comme étant faible.

Ça ne veut toutefois pas dire qu’on est tranquille. Il faut absolument éviter nos liens avec la faune sauvage et arrêter, notamment, la déforestation massive. En revanche, ce problème n’est pas spécifique au COVID19. C’est une épée de Damoclès connue et continue pour toutes sortes de maladie. En ce qui concerne le COVID, la transmission se fait aujourd’hui entre les êtres humains. Quant à laisser l’immunité naturelle chez les autres, hé bien on a vu ce que ça donnait : 4,26 millions de morts du COVID dans le monde à l’heure d’écrire ces lignes. Défendre un tel modèle de santé, c’est adopter une position libertarienne et considérer que seul.es les plus fort.es méritent de vivre.

Risques

Le vaccin a été développé trop vite, on manque de recul et on nous injecte de l’ADN !

Akhenaton, du groupe IAM
Source : Wikicommons

Bon, on l’a vu, les vaccins sont hautement efficaces. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’ils sont sans risques. Il nous faut maintenant explorer les différents arguments selon lesquels les vaccins sont perdants dans une balance bénéfices-risques ; autrement dit, qu’on s’expose à un plus grand danger en se vaccinant qu’en risquant un COVID sans vaccination. Le pari qu’a fait le chanteur Akhenaton, opposé à la vaccination obligatoire…jusqu’à se retrouver hospitalisé et en détresse respiratoire à cause de ce satané COVID. Il s’en est heureusement sorti.

Le premier des arguments est sans doute l’idée selon laquelle les vaccins ont été développé trop vite et que, par conséquent, on n’a pas assez de recul.

Concernant la « nouveauté » des vaccins, il faut sans doute distinguer les trois types de vaccins contre le covid :

  1. Le vaccin atténué ou inactivé (Sinovac, Sinofarm)
  2. Les vaccins à vecteur viral vivant non réplicatif (AstraZeneca, Johnson & Johnson, Spoutnik V)
  3. Les vaccins à ARN messager (Pfizer/BioNTech, Moderna)

Que savons-nous de ces vaccins ? Pour cette partie, je me réfère à un article de vulgarisation publié par France Culture début avril  2021.

La première catégorie regroupe des vaccins qui sont des agents infectieux qu’on a tués ou affaiblis par divers procédés pour qu’ils ne déclenchent pas la maladie – ou seulement de façon bénigne – tout en provoquant une défense immunitaire. La seconde catégorie, les vaccins à vecteur viral vivant non réplicatif, eux aussi très bien connus et utilisés depuis longtemps, utilisent un virus « vivant » pour susciter la réponse immunitaire, mais qu’on a rendu inoffensif en l’empêchant de se répliquer. On lui a « greffé » le code de la protéine contre laquelle on veut lutter et le corps créera, en conséquence, les anticorps adaptés.

Protéine Spike du SARS-cov-2
Source : Wikicommons

Concernant la troisième catégorie, celle qui pose le plus question, que savons-nous ? Ces « vaccins à acides nucléiques consistent à faire produire directement un fragment de l’agent pathogène par le corps humain ». Autrement dit, le vaccin à ARN va fournir des « instructions d’assemblage » à nos cellules pour qu’elles construisent elles-mêmes la fameuse protéine Spike et les anticorps contre cette dernière. À noter que la protéine Spike est inoffensive quand elle est seule mais qu’elle est la « porte d’entrée du coronavirus dans nos cellules », ce qui explique l’intérêt de la faire produire par le corps. L’ARN messager ne va pas jusque dans le noyau des cellules, il ne modifie donc pas notre ADN, comme l’explique Bruno Pitard, directeur de recherche au CNRS, dans ce même article de France Culture.

Voilà pour les grands principes.

Qu’en est-il maintenant du recul que nous avons ? Dans sa dernière vidéo, la Tronche en Biais revient très précisément sur cette question.  Concernant les deux premières catégories qui regroupent les vaccins « classiques », il est important de savoir que nous avons « 225 ans de recul sur [ce] principe de […] vaccination » et qu’il n’y a « jamais eu d’effet au-delà de deux mois après la vaccination ». Voilà qui devrait déjà rassurer toustes celleux qui se posent des questions sur les effets « à long terme » – en tout cas pour les vaccins « classiques ».

En ce qui concerne les vaccins à ARN, Thomas Durand rappelle quelques éléments « historiques » que je complète en partie :

  1. La « nouveauté » des vaccins à ARN est à nuancer. Les recherches sur ces vaccins ont commencé dans les années ’80.
  2. Une technique très proche a été utilisée en 1993 contre le virus de la grippe chez les souris, voir la publication parue dans European Journal of Immunology ; elle annonce déjà la pertinence de cette technique pour de futurs vaccins.
  3. Une publication de 2002, parue dans The Journal of Clinical Investigation, explore la possibilité de ces vaccins contre le cancer et montre déjà l’efficacité du procédé et son inocuité.
  4. Les premiers essais cliniques datent de 2003, voir les travaux de Weide et al. ici, et ici, et les injections d’ARN depuis des années contre le cancer ici et une publication de 2004 de Steve Pascolo, également coauteur des études précédemment citées, parue dans Expert Opinion on Biological Therapy.   
  5. Il existait déjà de très nombreux essais cliniques de vaccins ARN contre des maladies virales.
  6. En 2018, Nature expliquait déjà à quel point cette technologie était avancée, focalisant notamment sur les « bonnes pratiques », la régulation, etc.

On est loin, très loin, d’une technologie inventée de façon précipitée pour les seuls besoins du profit de Pfizer et au mépris de la santé publique. Pour autant, c’est vrai aussi qu’ils sont nouveaux sous cette forme et avec une telle ampleur.

Or, on entend régulièrement que les phases de développement ont été bâclées. Antoine Flahault, médecin épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève explique que « ce sont les phases administratives de mise en œuvre des essais cliniques, pas les phases d’éthique » qui ont été compressées. Comment est-ce possible qu’on ait pu aller cette fois plus vite ? Hé bien parce que la pandémie a permis de recruter très rapidement énormément de patients – la quantité étant nécessaire pour lisser les résultats statistiques, notamment sur les effets indésirables : « [P]our recruter 30 000 personnes, et pour voir qu’il y a une différence entre le groupe placebo et le groupe vaccin, il faut qu’il y ait une sacrée épidémie : si le virus ne circule pas, ou peu, cela devient très difficile ».

Enfin, il y a déjà 1,7 milliards de personnes complètement vaccinées dans le monde, plusieurs mois de recul…et un important dispositif de pharmacovigilance.

Ce n’est pas surveillé…alors qu’il y a des effets secondaires importants

Distinguons ici 1) les lieux où s’opère la pharmacovigilance ; 2) ce qu’elle montre aujourd’hui. Ce qui frappe, dans les deux cas, c’est le très haut niveau de transparence des données et leur grande accessibilité. Malheureusement, comme pour les autres questions ici traitées, chercher et savoir où chercher prend énormément de temps et demande des compétences de compréhension à la lecture, souvent en anglais.

Parmi la documentation pertinente sur les données concernant l’ensemble de la population mondiale, je renvoie à l’énorme manuel de surveillance des vaccins COVID. Déjà publié en 2020 par l’OMS, ces 232 pages regroupent tout ce qu’il faut savoir sur les vaccins, leurs types, les questions de sécurité, les lignes de conduites pour la récolte et l’analyse des données, les questions de communication, etc. Qu’un travail comme celui-ci ait été produit aussi vite est absolument fascinant. Je rêverais que l’on puisse profiter d’une telle efficacité collaborative dans un monde débarrassé du profit privé.

Toujours lié à l’OMS, le réseau de la sécurité sur les vaccins regroupe un ensemble de sites faisant de la pharmacovigilance ; pour les informations à proprement parler, vous pouvez visiter la bibliothèque open-source de communication sur la sécurité des vaccins : pour chaque question, vous trouverez des vidéos explicatives, des articles ou différentes ressources.

Un semblable niveau de transparence existe à l’échelle européenne. Par exemple, l’Agence européenne du médicament (EMA) répertorie tous les vaccins, les autorisations de mise sur le marché et les questions liées à leur sécurité. Pour une information détaillée sur les raisons présidant à l’autorisation des vaccins et le processus en détails, vous pouvez visiter cette partie du site. On y explique par exemple le principe de « rolling view », utilisé pour les vaccins COVID, et qui permet d’aller plus vite dans le processus en évaluant les données à mesure qu’elles sont disponibles pendant le développement du processus.

Au niveau de la France, un groupement d’intérêt scientifique (GIS) appelé EPI-PHARE a été mis en place dans le cadre d’un dispositif renforcé de surveillance des vaccins contre le COVID. L’idée est la suivante : comme des décès et des hospitalisations surviennent constamment, indépendamment de la vaccination et en particulier chez les personnes les plus fragiles, il faut estimer ce qui statistiquement relève de la « normale » de ce qui est « hors-norme » – afin d’envisager l’effet propre des vaccins.  

D’autre part, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) publie des rapports de pharmacovigilance reprenant les suivis des cas d’effets indésirables. Vous pouvez par exemple consulter ici le dernier rapport, reprenant les données du 16 au 27 juillet 2021 et ici un résumé des éléments importants à destination des journalistes. Rien n’y est « caché » et on retrouve ainsi quelques mots sur l’analyse des rares cas de troubles menstruels survenus après la vaccination, laquelle « a conduit le comité de suivi à considérer qu’il s’agit d’un signal potentiel qui concerne également Comirnaty [NDA, les vaccins à ARN], dont le profil est similaire ». Difficile d’être plus transparent.

Alors, qu’en est-il de ces fameux effets secondaires ?

Hé bien, les formes graves des effets secondaires sont extrêmement rares. Ça ne veut pas dire que vous ne connaîtriez pas « quelqu’un qui » (après tout il y a pratiquement chaque semaine un.e gagnant.e au Loto), ça veut juste dire qu’il y a très très très peu de chance que cela vous tombe dessus ou sur un.e de vos proches (comme il y a, spoil alert, très très très peu de chances que vous gagniez au Loto). Toute personne qui gagne au Loto y a effectivement joué, mais très peu de joueur.euses gagnent – ce qui peut se traduire par « toute personne ayant des effets secondaires graves a été vaccinée mais très peu de vacciné.es ont des effets secondaires graves ». Autrement dit, la balance bénéfices-risques penche clairement en faveur de la vaccination : vous risquez plus en ne vous vaccinant pas qu’en vous vaccinant.

Parmi les effets graves, on parle surtout des très graves troubles thromboemboliques. En France et sur la dernière période de suivi, il y a eu deux nouveaux cas de thrombose atypique qui ont été rapporté, portant le total à 58 cas, dont 13 décès, sur près de 33 millions de vacciné.es. Mais attention, le risque de thrombose en attrapant le COVID est quant à lui de huit à dix fois plus grand qu’après la vaccination, comme le montre une étude d’Oxford. Autrement dit, si vous avez peur d’avoir une thrombose, il vaut mieux vous faire vacciner que le contraire.

Les myocardites sont parmi les autres effets secondaires rarissimes mais graves parce qu’ils impliquent souvent une hospitalisation. Sept cas sont recensés dans le dernier rapport mais « les données disponibles suggèrent que l’évolution de la myocardite ou de la péricardite après la vaccination est identique à l’évolution de la myocardite ou de la péricardite en général », ce qui implique que le rapport de causalité entre vaccination et myocardite ne peut ici être établi.

Je pense que sur la question des effets secondaires comme sur celle de l’efficacité de traitements médicamenteux, il faut faire très attention aux biais du témoignage, appelés aussi la preuve anecdotique. Par exemple, il existe des groupes Facebook qui permettent de recenser les « effets indésirables » suite aux vaccins COVID. Mais comment savoir qu’un effet ressenti est bien le résultat du vaccin ?

Un trouble érectile, exemple pris au hasard, s’il survenait en temps normal pourrait être attribué à l’angoisse ou à la fatigue mais risque d’être perçu comme la conséquence de la vaccination si il apparaît dans les jours suivant cette dernière ! À l’échelle d’une population, lorsqu’un même effet se répète dans des conditions similaires, la corrélation et, éventuellement, la causalité peuvent être établies. Mais à l’échelon individuel, c’est impossible.

Ce genre de groupe Facebook est alors dangereux, parce qu’il donne l’impression, avec l’accumulation d’exemples non significatifs (sachant qu’ils nous arrivent à toustes tout le temps « des trucs »), que les autorités ne tiennent pas compte de la réalité de terrain.

Certaines craintes tout à fait légitimes ne se sont d’ailleurs pas vérifiées dans les faits. Notamment la possibilité que les vaccins à ARN messager puissent provoquer des maladies auto-immunes. Dans un article déjà cité plus haut de Nature, en 2018, il est dit qu’une « préoccupation possible pourrait être que certaines plates-formes de vaccins à base d’ARN induisent de puissantes réponses d’interféron de type I, qui ont été associées non seulement à l’inflammation mais aussi potentiellement à l’auto-immunité. Ainsi, l’identification des individus à risque accru de réactions auto-immunes avant la vaccination par l’ARN peut permettre de prendre des précautions raisonnables ». À nouveau, rien de caché.

Que sait-on depuis ?

D’abord que, contrairement, à ce que M. Zizi raconte, il n’y a pas de problèmes auto-immunitaires et il ne risque pas d’y en avoir. En fait, ils sont même absents des rapports qu’on vient de voir… Dans une interview accordée à Associated Press, le Dr. Drew Weissman explique que les vaccins ARN contre le COVID utilisent en fait un nouvel ARN qui ne produit pas de maladies auto-immunes. Toutefois, le principe de précaution veut malgré tout que les personnes à risque ne choisissent pas ce vaccin, raison pour laquelle la vaccination de celleux qui peuvent se le permettre est encore plus importante. Je ne serais pas complet sur la question des maladies auto-immunes sans rappeler que le COVID lui-même pourrait en causer, si l’on en croit cette publication preprint (à prendre avec précaution puisqu’elle n’a pas été revue par les pairs).  

Éthique et politique

Et la liberté dans tout ça ?

John Stuart Mill, philosophe de la liberté
Source : Wikicommons

Le vulgarisateur en philosophie M. Phi vient à peine de sortir une vidéo traitant précisément de cette question. En effet, évaluer combien la restriction de nos libertés à travers l’obligation vaccinale est légitime ou non est absolument essentielle.

Que dit M. Phi dans cette vidéo ?

1) D’abord, il rappelle que la liberté envisagée comme un absolu n’a pas de sens. Par exemple, toute loi restreint des libertés et c’est très bien ainsi. Nous n’avons par exemple pas la liberté de tuer et je suppose que personne n’y verra un mal.

2) Il en découle que les choix de société sont toujours le résultat de compromis entre « plusieurs libertés ». La liberté est donc à envisager selon les contextes et la liberté de choisir les moyens de se soigner, en contexte sanitaire « normal », doit être a priori garantie. On sera, je pense, toustes d’accord sur ce point également. Mais alors, qu’est-ce qui pourrait justifier l’obligation d’opter pour l’un ou l’autre soin ?

3) M. Phi propose ici de se référer au philosophe libéral de la liberté, John Stuart Mill. Ce dernier propose qu’une certaine liberté soit garantie si et seulement si elle ne nuit pas aux autres.

Le principe de « tort minimal » est assorti de trois conditions qui doivent être remplies pour que l’usage de la contrainte soit considéré comme légitime : a) il faut donc que l’absence de contrainte cause du tort ; b) que la contrainte permette d’éviter et/ou de limiter ces torts tout en n’en causant pas d’autres comparables ; c) qu’il soit impossible d’user d’autres moyens.

Lorsqu’on s’arrête sur ces différents critères, on comprend que les sections précédentes de cet article nous permettent d’y répondre.

  1. L’absence de contrainte cause du tort puisque l’hésitation vaccinale empêche d’atteindre l’immunité collective, permettant au virus de continuer à circuler, ce qui cause directement du tort à celleux qui ne peuvent se vacciner (parce qu’elles sont allergiques, trop fragiles – notamment sous traitement pour un cancer, à risque pour des réactions auto-immunes, etc.) et offrant toute latitude au virus pour continuer à muter en risquant de produire encore et encore de nouveaux variants qui risquent, eux, de résister de mieux en mieux aux vaccins actuels.
  2. L’obligation vaccinale donne de l’espoir quant à l’atteinte de l’immunité collective, diminue comme on l’a vu la puissance du virus et sa contagiosité : les torts sont donc limités et/ou évités. L’analyse des risques et des effets secondaires permet là encore de conclure, pour l’instant, que d’autres torts comparables mais différents ne sont pas en jeu.
  3. L’absence, dans l’état actuel des connaissances, de traitements médicamenteux ; et la fausse piste que représente l’immunité naturelle nous mènent à conclure qu’il n’y a pas, aujourd’hui, d’autres moyens sérieux d’arriver aux mêmes résultats.

Il en résulte que l’obligation vaccinale semble être, en effet, légitime, dans ce cas très précis, et cela indépendamment des précédentes décisions déplorables, honteuses, catastrophiques de nos gouvernements.  

Pourquoi ne pas laisser tranquilles celleux qui refusent ? Marre d’être stigmatisé.es !

En miroir de la section précédente, prendre au sérieux les données vues supra et la dimension éthique de la vaccination obligent à repenser l’acte même de ne pas se faire vacciner. Il me semble – et je sais que je risque de tendre une partie de mon audience sur ce point – que refuser la vaccination sans raison de santé est alors un acte d’égoïsme, contraire à l’idée que je me fais de la solidarité.

Que cela ne nous empêche bien sûr pas de prendre garde aux mesures qui restreignent nos libertés sans respecter les critères vus ci-dessus. Lorsque des lois « d’exception » sont introduites, il y a toujours « un effet d’opportunité » dangereux pour la démocratie et un risque que celles-ci soient utilisées dans un sens différent de ce pour quoi elles ont été conçues et/ou subrepticement inscrites ensuite dans le droit commun – on l’a vu sur les questions de terrorisme. Il faut donc rester très attentif à ce que toute mesure exceptionnelle demeure exceptionnelle, sauf justification précise ; d’ailleurs, les couvre-feux ont heureusement été pour la plupart levés, de même finalement que l’obligation du masque en extérieur et c’est très bien ainsi, tant que la situation sanitaire n’évolue pas trop.

Comprenons bien que considérer la contrainte seule comme étant l’indice d’une dérive n’est pas rationnel. En société, un grand nombre de choses sont obligatoires (le respect du code de la route par exemple) ou interdites (blesser volontairement autrui par exemple). La contrainte ne « produit » pas naturellement un État fasciste…et je m’étonne d’ailleurs de ce qu’il y ait une telle levée de boucliers face aux vaccins ou au port du masque des mêmes personnes qui semblaient fort peu choquées de ce que des policiers brutalisaient des manifestant.es ou qu’un État puisse laisser crever des sans-papiers dans une église. Ce sont pourtant là des marques très inquiétantes de fascisation.

Ce qui doit présider à l’accord ou le désaccord avec une contrainte, ce n’est pas le fait de contraindre mais les arguments qui l’appuient, autrement dit la question de l’efficacité du vaccin et des risques vus plus haut.

On censure les vrais chercheurs, les autres ont peur et se taisent

D’abord il faut relativiser. Les pseudo « vrai.es chercheur.es » dont il est question ont été et sont présents dans les médias dominants. Outre l’incontournable Didier Raoult omniprésent et proche des milieux de pouvoir, Martin Zizi a eu des échos à la RTBF, dans le Vif, sur Euronews, dans la Libre, etc ; Marc Wathelet dans la DH ; Philippe Poindron sur Sud Radio et sur CNews ; Jean Michel Claverie sur BFM, France Soir, les Échos ; Laurent Toubiana sur Sud Radio et ses avis ont été analysés par le Monde. On voit bien que la « censure » est très relative… Sans compter les opinions à l’emporte-pièce des Pascal Praud et consorts.

Mais la question est de savoir quelle proportion accorder à quel discours. Est-ce que la neutralité journalistique, par exemple, consiste à donner autant de place à la théorie de l’évolution et aux théories créationnistes ? Ce qu’on constate, c’est en effet que la position « pro-vaccin » est dominante non pas tant chez celleux qui dominent l’espace médiatique, mais au sein des institutions sanitaires (comme l’OMS), politiques (gouvernements, parlement) et académiques (universités, recherche).

Ce qui doit présider à la place à donner dans les médias à l’une ou l’autre théorie est, sur les questions de santé, sa solidité scientifique – laquelle comme dit plus haut dépend moins de l’avis « d’un.e expert.e » que l’on peut facilement opposer à un.e autre, mais du consensus scientifique. Ainsi, l’accumulation de chercheur.es « hétérodoxes » sur la question des vaccins n’est en fait rien à côté des centaines de chercheur.es « fourmis » qui font leur taf, produisent des articles, des méta-analyses, etc. et qui nourrissent, ensemble, ce fameux consensus à travers les publications scientifiques que j’ai citées tout au long de ce dossier dans le New England Journal of Medicine, le Lancet, dans Nature, dans le British Medical Journal, etc.

À celleux qui pensent que je dis et fais ici le contraire de ce que j’ai fait pour mes autres travaux, notamment sur la Chine, je voudrais montrer que c’est faux. D’abord, ici comme sur la Chine, je me réfère aux sources les plus solides, lesquelles proviennent souvent des médias mainstream (par exemple lorsque l’ICIJ publie un document volé sur les camps de Ouïghours en Chine, j’utilise ce document dans mon analyse, idem lorsque je cite le NYTimes, le Washington Post, etc.) ; je ne considère pas a priori le critère « mainstream » ou « alter » comme suffisant pour adopter ou rejeter une position ; je recoupe entre elles les sources ; je les mets en liens et je les interprète en fonction de mon cadre théorique, à savoir la critique du capitalisme. Même démarche.

Ainsi, les conclusions ne sont que superficiellement opposées : dans le premier cas, les médias mainstream apparaissent comme fournisseurs de fake news, dans le second cas ils apparaissent comme étant en grande partie fiables. Mais, en réalité, les mouvements de fonds sont les mêmes : la concurrence qui produit tant de misère est aussi celle qui a permis à des industries pharmarceutiques de produire le plus rapidement possible un vaccin apparemment efficace et statistiquement inoffensif. Les profits, quant à eux, sont toujours privatisés et viennent encore remplir les poches des plus fortuné.es. Same shit.

Pourquoi croire cette fois les élites qui se moquent de nous ?

On doit reprocher au monde politique d’avoir définancé les hôpitaux, d’avoir menti sur les masques, d’avoir d’abord minimisé la dangerosité du virus contre les expert.es, d’avoir mis autant de temps pour prendre des décisions courageuses dans le seul but de protéger son économie, de faire des profits odieux sur le dos de la santé des gens, d’avoir obligé les ouvri.ères à continuer de travailler lorsqu’elleux se protégeaient, d’avoir accusé la Chine et d’avoir menti à son propos, de s’être très opportunément déresponsabilisé, d’avoir refusé la remise en question et d’avoir omis de dire « nous ne savons pas » quand en effet ils ne savaient pas. Il y a énormément de reproches à formuler à l’égard du monde politique. Aucun doute là-dessus.

Mais si on laisse aller la maladie, en quoi le peuple sera-t-il vengé ? Ne sont-ce pas justement les plus faibles qui seront, à nouveau, les premières victimes ? À commencer par le personnel médical qui ne voudrait pas d’une nouvelle surcharge. La lutte contre les politiques désastreuses de nos gouvernements n’est pas antinomique avec la vaccination ; elle est, au contraire, complémentaire.

Personnellement, j’aurais préféré bénéficier du vaccin chinois ou du vaccin cubain, dans l’espoir que les profits reviendraient plus probablement aux peuples que celui que j’ai reçu et qui enrichit les super riches, celui de Pfizer. Mais même la Chine semble reconnaître la très haute efficacité des vaccins à ARN et vient de conclure un accord avec la société allemande BioNTech.

C’est très dur, presque insupportable de devoir s’en remettre à des gens qui n’ont que le profit pour seul horizon, mais considérer qu’ils mentent, c’est remettre en question le travail et la probité de milliers de chercheur.es qui collaborent. Imaginer qu’ils agissent de concert pour faire le mal n’est absolument pas envisageable : un complot n’est possible que lorsqu’il ne réunit qu’un nombre restreint de personnes. D’ailleurs, les autres pays du bloc « anti-impérialiste » ont aussi développé leurs vaccins… N’oublions pas non plus qu’une entreprise comme Pfizer signe son arrêt de mort si elle avait mis sur le marché un produit véritablement dangereux. Ce dernier élément n’est pas convaincant à lui seul (il y a eu des précédents avec les cigarettiers, l’entreprise DuPont, etc.) mais renforce malgré tout le caractère improbable d’une grande machination.

Merci à toustes pour votre lecture. Je pense qu’il est important de partager ce dossier pour éclairer toustes celleux qui se posent des questions sur la vaccination contre le COVID. N’hésitez pas à intervenir en commentaires, en restant courtois.es.

Un immense merci à mes tipeurices pour leur soutien : fillon, marsxys, g106973983737661016119 et smart684. Si vous aussi pensez qu’un tel travail mérite un soutien financier, vous pouvez vous rendre sur ma page Tipeee.

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Analyses

J’ai lu « Rescapée du goulag chinois » (1/5)

Partie 1 « Un étrange rapport à la vérité »

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Gulbahar Haitiwaji publie, avec Rozenn Morgat, un livre qui fait beaucoup de bruit : « Rescapée du goulag chinois ». Tous les médias en ont parlé. Il semble que nous tenions là un témoignage indiscutable sur la répression et le caractère criminel de l’État chinois, dans le Xinjiang en général, sur les Ouïghours en particulier.

Ne nous trompons pas : prendre la plume, en Belgique, pour mettre en question un tel témoignage est extrêmement difficile. D’abord, en creux, parce qu’en répétant ce que tout le monde dit, les journalistes des médias traditionnels se retrouvent nécessairement du bon côté de l’histoire. Au pire se trompent-ils et on s’en rend compte après, quand l’affaire est passée, quand ça n’a plus d’importance. Comme par exemple lorsque la Cour européenne des droits de l’homme abandonnait le 17 décembre 2020 les poursuites pour « génocide » contre la Chine au Tibet. Bizarrement, cette décision n’a pas fait la une chez nous. De la même façon, avoir répété à l’envi le mensonge des armes de destruction massive n’a pas entaché la crédibilité des médias mainstream (ou bien si, mais ça ne semble pas avoir remis en question l’institution journalistique) et il en va de même pour la longue liste de « fake news » (dont certains dénoncés par mes soins, voir ici, ici ou ). Ainsi, on peut se protéger derrière l’idée qu’on ne pouvait pas savoir, que tout le monde disait pareil.

Par ailleurs, la Chine n’est assurément pas exempte de tout reproche. Je condamne fermement différentes pratiques de la Chine : je suis profondément opposé à la peine de mort ; prônant des valeurs de justice sociale, je trouve inacceptable l’accroissement des inégalités au profit de cadres du Parti communiste et d’une poignée d’industriels – même dans un contexte où la pauvreté diminue et où les investissements publics demeurent colossaux. Ces inégalités ne sont pas différentes par nature de ce que le capitalisme fait lorsqu’il détourne le travail de la collectivité au profit de la propriété lucrative ; j’ai aussi eu l’occasion de dénoncer la répression des libertés syndicales et les conflits d’intérêts des autorités locales vis-à-vis de l’investissement privé ; si je comprends la lutte contre la propagande de guerre, je n’en justifie pas pour autant la censure et la répression de la liberté d’expression ; la Chine doit également agir contre les expropriations des paysans de leurs terres au détriment de l’autonomie alimentaire et au profit de mégaprojets immobiliers ; enfin, je ne connais pas suffisamment les détails des partenariats commerciaux liés aux Nouvelles Routes de la Soie et n’écarte pas la possibilité qu’il y ait là un risque de néocolonialisme.

Que la plupart de ces éléments puissent s’appliquer à nos pays occidentaux n’y change rien. Certes les USA pratiquent la peine de mort, certes chaque rapport annuel d’Oxfam montre combien nos sociétés occidentales sont inégalitaires, certes les élites syndicales sont bien trop souvent coupées de leur base militante, certes j’ai l’expérience moi-même de pressions quant à ma liberté d’expression, certes nos pays dépendent largement de l’étranger pour assurer leur sécurité alimentaire et certes nous pratiquons encore massivement le néocolonialisme. Cela n’y change rien : il FAUT condamner ce qui doit l’être en Chine et il n’y a AUCUN compromis sur ce point. Il faut le faire mais pas en sacrifiant d’un même geste la vérité. 

Pourtant, mettre en question une version officielle comme le « génocide » des Ouïghours est une mise en vulnérabilité évidente. Si je me trompe, c’est la catastrophe car je parais alors défendre l’indéfendable. Je défends les crimes abjects. Je défends la violence de la dictature. Il est moins risqué d’aller dans le sens (de) qui domine et c’est probablement un moteur très puissant qui empêche beaucoup de journalistes mainstream d’investiguer.

Depuis que j’ai commencé à écrire sur la Chine, je n’ai pas reçu une seule demande de droit de réponse. Mes contradicteurices jusqu’ici refusent le débat, font pression en s’adressant à mes proches, tentent de me mettre professionnellement en difficulté. Entre-temps, mon travail a pris de l’ampleur, inexorablement. Mon interview par Michel Collon à propos de la couverture d’Amnesty International sur la Chine a par exemple atteint plus de 15000 vues en deux semaines. Le directeur d’Amnesty International Belgique, lui, n’a pas souhaité débattre avec moi sur les Ouïghours. Amnesty a botté en touche, d’autres – que je ne citerai pas pour ne pas compromettre mes sources – également. On m’a dit plusieurs fois, en substance : « Je pourrais répondre point par point mais je ne le ferai pas, je pourrais attaquer en diffamation mais je ne le ferai pas non plus ».

Pourquoi ?

Comme je le disais tant à propos d’Amnesty que sur le docu d’Arte « 7 milliards de suspects », pourtant réalisé par le lauréat 2020 du prix Albert Londres, Sylvain Louvet, si ce que je dis est faux, n’y a-t-il pas un intérêt démocratique évident à rétablir la vérité?

Pourquoi je ne donne pas la parole aux autrices du livre ?   J’ai en fait demandé un entretien avec Rozenn Morgat le 20 janvier 2021 via le contact presse de son éditeur. Ce mail est resté sans réponse. Simultanément, j’ai contacté directement Mme Morgat par Messenger. Elle m’a répondu un mois plus tard en me renvoyant vers son éditeur. J’ai donc recontacté l’attachée de presse, j’ai laissé un message resté lui aussi sans réponse. J’ai rappelé début mars, en vain, puis à la mi-mars où, ayant enfin l’attachée de presse au téléphone, celle-ci m’a demandé de renvoyer un énième mail en précisant la demande. Mail qui, lui aussi, est resté lettre morte. Là, j’en ai ras-le-bol d’être trimballé d’un côté à l’autre.

Je porte au plus haut cette valeur de vérité. C’est à ce titre que j’écris. Mais je sais combien cette dernière est difficile à tenir, combien la vérité est aussi dépendante de la perspective. Cela implique également que je m’engage à publier tout droit de réponse, et à modifier toute information dont il serait démontré qu’elle est fausse. J’appelle ainsi les personnes que je mets en cause et qui ont laissé sans réponse mes demandes d’entretien en amont (voir encadré), à se faire connaître si elles voulaient donner quelques éclaircissements quant à ce qui va suivre.

Tout le problème des témoignages

Cette introduction un peu longue doit maintenant faire place à une plongée dans le livre de Rozenn Morgat et Gulbahar Haïtiwaji. Dans ce livre-témoignage, Mme Haïtiwaji explique comment elle a été attirée au Xinjiang, sous un prétexte administratif fallacieux, pour être ensuite enfermée dans le camp de rééducation de Baijiantan. Un voyage qui, plutôt que quelques jours, aura duré du 25 novembre 2016 au 21 août 2019. Elle y livre le récit de nombreuses violences, le quotidien du « lavage de cerveau » dont elle aurait été la victime et comment ce quotidien s’inscrit dans un contexte religieux, politique et économique singulier propre au Xinjiang.

J’ai déjà eu l’occasion dans des articles précédents de décrire les problèmes des témoignages. Toute leur faiblesse réside dans le fait qu’ils exigent de celleux qui en prennent connaissance de croire sur parole les témoins. C’est d’ailleurs aussi ce qui rend difficile les contre-interprétations. Je pourrais tout aussi bien relayer les réponses de l’État chinois quant aux accusations dont on l’accable. Parole contre parole…mais on ne serait pas fort avancé.

Ainsi, comme je l’ai fait précédemment, je ne m’appuierai que sur les paroles de Mme Haïtiwaji, essentiellement pour évaluer le niveau de crédibilité de son récit en analysant sa cohérence interne et, le cas échéant, ses contradictions. Bien entendu, il ne s’agit pas d’affirmer qu’un témoignage doit, pour être cru, ne contenir aucune incohérence. Notre mémoire nécessairement transforme, occulte, oublie, se trompe. Toutefois, il arrive que l’ampleur des incohérences soit telle qu’il devient impossible d’accorder quoi que ce soit comme crédit au témoin. Et c’est bien ce sentiment qui m’habite aujourd’hui, après lecture et analyse attentives du livre « Rescapée du goulag chinois ».

La vérité, quelle vérité?

Il arrive donc que la mémoire se trompe mais, ce qui étonnera les lecteurices de Mme Haïtiwaji est le rapport quelque peu « surprenant » qu’elle entretient avec la vérité et le mensonge. Bien sûr, il y a d’abord tous les mensonges dont elle dit qu’on les lui a extorqués (p.45, p.113, p.174, p.176-177, p.212). Notamment de faux aveux filmés (on aimerait voir la vidéo puisqu’elle dit que la vidéo aura été diffusée sur les réseaux), ou lorsqu’elle prendra la parole dans le camp pour une fête en l’honneur de Xi Jinping.

Outre ces mensonges contraints, elle relate surtout un nombre impressionnant de mensonges volontaires (p.65, p.100, p.101, p.104, p.108, p.118, p.148, p.204, p.220, p.230, etc.). Par exemple, elle explique avoir régulièrement menti aux autorités du camp sur ce qu’elle pensait, elle dit avoir menti sur ses conditions de détention à sa famille lorsque cette dernière lui rendait visite ou lorsqu’elle les entendait au téléphone ; elle affirme que les Ouïghours avaient pris l’habitude de mentir « bien avant les camps » pour se « protéger » (p.101), que « chacun s’enfonçait dans une succession de petits mensonges » (p.211) et que le temps lui apprenait à « considérer ce désagrément comme un détail » (p.212).

À côté de ces « mensonges volontaires », dont certains seraient cohérents dans l’optique d’éviter des brimades dans le camp, il y a, dans le livre, une série de mensonges patents et qu’une lecture attentive permet de mettre à jour. Par exemple, elle évoque « ces cuisiniers sourds-muets » dont elle dit qu’ils ont été « sélectionnés pour leur handicap afin de ne pas révéler ce qui se passe dans les camps » (p.61). Comme si des sourds-muets étaient incapables de communiquer par langue des signes, comme s’ils ne pouvaient pas écrire, prendre des photos, enregistrer, etc. C’est immensément stupide.

Elle dit avoir été punie sans savoir pourquoi (p.61)…mais en explique la raison quelques pages plus loin (p.63-65) ; elle dit qu’il n’y a que « de vieilles femmes tremblantes et des adolescentes au bord des larmes » dans le camp (p.90) tout en évoquant régulièrement d’autres détenues dont on comprend qu’elles sont de la génération de Mme Haïtiwaji (comme Almira, p.165). Elle craint avoir « déshonoré Rebiya Kadeer » (p.178), présidente du World Uyghur Congress, une organisation séparatiste abondamment financée par la NED (États-Unis), alors qu’elle affirme à plusieurs endroits n’avoir aucun lien avec la politique. Elle dit qu’on l’obligeait à mentir effrontément (p.212) pour ensuite se contredire en expliquant qu’on n’avait « même pas eu besoin de lui […] faire la recommandation [de mentir] ». Elle évoque « ses frères » pour la première fois à la fin du livre (p.224) lesquels sont pourtant absents de sa généalogie reproduite au début de l’ouvrage (p.11), etc.

Sur le plan de la santé, les détenues sont obligées de poursuivre leur traitement médical si elles en suivent un (p.60). Pourtant, Gulbahar évoque plusieurs éléments inquiétants qui, de l’avis d’un médecin que j’ai pu consulter, ne sont pas en eux-mêmes impossibles mais qui le deviennent dans le contexte décrit dans le livre. Par exemple, l’idée selon laquelle ses « os du tibia s’atrophi[ai]ent » (p.226) par le fait d’être enchaînée ne veut pas dire grand-chose d’un point de vue médical. Tout au plus peut-elle évoquer une déminéralisation osseuse à cause de l’immobilité mais il semble difficile de croire qu’elle peut apparaître en « quelques jours ou quelques semaines » – dans une formulation floue bien pratique puisqu’elle laisse le soin aux lecteurices d’en évaluer la vraisemblance (p.226 – il s’agit en fait de vingt jours si on en croit ce qu’elle dit p.16).

Elle dit encore avoir été si maigre que « [s]es deux index et [s]es deux pouces se touch[ai]ent quand [elle] serr[ait] les mains autour de [s]a taille » (p.61) – une horrible prouesse peu crédible car elle signifierait une morphologie très spécifique doublée d’un état de dénutrition extrême incohérent avec le récit qu’elle fait de leurs repas. En effet, elle explique que « si on refuse un plat, ils […] ordonnent de le terminer […] » (p.83). Du camp, elle dira un peu plus loin (p.107) : « Nous ne sommes pas sous-alimentées, bien au contraire ». Malgré tout, elle décide que de « cette sale nourriture dont on remplit [leurs] gamelles », elle « n’y touche[ra] quasiment plus » (p.137). Comme on dit à Bruxelles, c’est salade tout. Gulbahar Haïtiwaji dit une chose et son contraire ; vous trouverez à tous les coups une parole qui sert votre propos du moment. Vous voulez prouver qu’elle était affamée ? Tour de taille ! Qu’elle était gavée ? Obligée de finir son repas ! Que la nourriture était infâme (on y reviendra) ? Y’a pas d’assiettes mais des gamelles !

Elle dira d’ailleurs qu’elle trouvera, un mois et demi plus tard, une « certaine allure à la finesse de [ses] poignets et chevilles, au galbe des fesses et à la chair tendue autour du nombril », tout en se demandant si « une prisonnière traumatisée et exsangue ne devrait […] pas ressentir du dégoût ou de la haine pour son corps? » (p.75). Galbe des fesses ou état squelettique ? Est-ce compatible ? Peut-on passer si vite de l’un à l’autre ?

Bref, avec tous ces éléments rassemblés, que penser lorsqu’elle affirme (p.191) que « rien de ce [qu’elle a] vécu n’est la manifestation d’un fantasme morbide de prisonnière qui exagère sa condition » ?

On pourrait également lister l’ensemble de ses mensonges par omission : par exemple, elle ne parle pas des 254 attaques terroristes islamistes depuis 1990 qui ont ensanglanté le Xinjiang (et hors de celui-ci). Tout au plus évoque-t-elle le déchaînement de violences lors des « émeutes d’Ürümqi » en 2009 (p.40), ce qui lui permet de mieux passer sous silence des décennies de terrorisme meurtrier et récurrent. Elle ne dit pas que son mari était vice-président de l’association des Ouïghours de France, la branche française du World Uyghur Congress dont les autorités chinoises affirment qu’il aurait orchestré les attaques de 2009. Elle cache le fait que ce même WUC est une organisation séparatiste qui ne décrit même pas le Xinjiang comme une province chinoise mais comme le « Turkestan oriental ». Elle ne dit pas un mot non plus des Hui, une autre ethnie chinoise de confession musulmane qui, elle, n’a aucun problème en Chine alors qu’elle affirme par ailleurs que c’est leur religion qui pose problème.

Elle dit avoir « honte » de tous les mensonges proférés (p.176). Elle a tant menti qu’elle se décrit comme une « bonne comédienne » (p.231) et dit avoir été précipitée « dans une série de mensonges dont [elle] ne pouvai[t] plus [s]’extirper » (p.218). Elle dit enfin avoir réfléchi à ce qu’il « faudrait dire et ce qu’il faudrait taire » (p.235) une fois rentrée en France – ce qui indique, par l’absurde, que ce livre est le résultat de ces choix.

Comme énoncé plus haut, un simple témoignage suppose déjà une malheureuse fragilité épistémique. Mais que faire lorsque la personne témoin, de son propre aveu, se dit exceller dans la pratique du mensonge? Faut-il la croire lorsqu’elle dit mentir avec brio ? Faut-il la croire parce qu’elle nous dit que cette fois elle ne ment pas ? Quelles bonnes raisons de la croire avons-nous si ce n’est le confort de recevoir là une narration venant renforcer des croyances déjà installées ? C’est à cette contradiction, digne du paradoxe du menteur, que nous confronte Gulbahar Haitiwaji.

Paru dans le New-York Times, le 22 février 2014

Il se trouve par ailleurs que tronquer la vérité pour servir ses intérêts n’est pas une exception en ce qui concerne les Chinois émigrés. Dans un article de 2014, le New-York Times parlait même « d’industrie du mensonge », racontant comment de fausses accusations de mauvais traitements pouvaient aider leur dossier. « Mentez, il en restera toujours quelques chose ».

Une invraisemblable quantité de suppositions

Dans l’arsenal rhétorique visant à accréditer la thèse selon laquelle violences, torture et mauvais traitements auraient été le quotidien de Mme Haïtiwaji et de ses codétenues, les suppositions tiennent une part importante.

J’entends par suppositions des affirmations qui se caractérisent par le fait de n’être soutenues par aucune preuve. J’exclus également de cette catégorie les faits dont Mme Haïtiwaji dit avoir été témoin et dont nous traiterons plus bas. Souvent, elle utilise le futur simple, elle énonce donc des faits qui, d’après elle, « se produiront », ou le conditionnel, elle énonce donc des faits qui, d’après elle, « se produiraient ». Sur l’ensemble du livre, j’ai comptabilisé pas moins de 97 occurrences d’affirmations de ce type, sur 245 pages.

Le thème de la mort (que Mme Haïtiwaji l’évoque pour elle-même, pour ses codétenues dans les camps ou pour l’ensemble du peuple ouïghour) y est récurrent et donne, tout au long de la lecture, une impression très pénible de violence extrême (p.7, p.13 par deux fois, p.15, p.16, p.31, p.41, p.63, p.80, p.88, p.89, p.115, p.120 par deux fois, p.122, p.125, p.133, p.135, p.137 p.139 par deux fois, p.143, p.159, p.161, p.163, p.164, p.174, p.189 par deux fois, p.190 par deux fois, p.191, p.193, p.197, p.231, p.241, p.245).

Par exemple, dès la page 13, on lit : « Après avoir longtemps cru qu’elle serait exécutée, la certitude qu’elle mourrait dans un goulag du Xinjiang l’a alors envahie » et page 143 : « J’allais mourir dans un camp, c’était certain ». Ces phrases sont caractéristiques de ces suppositions, elles portent sur l’avenir (elles sont donc par nature incertaines) et sur la mort. Elles sont par ailleurs infirmées par les faits. Mais faire se fréquenter le terme de « certitude » avec une construction au conditionnel, au-delà de la contradiction évidente, offre une solide force performative.

Le même phénomène, répété presque une page sur deux, est ainsi formidablement efficace : « on la fusillerait au milieu du désert enneigé » (p.16 et p.160 – apparemment ce n’est pas arrivé), « rien n’est plus simple que d’organiser la disparition d’un dissident puis d’enterrer son corps au milieu de nulle part » (p.31 – aucune preuve de telles choses), « […] qu’on ait jeté mon corps dans une fosse commune avec d’autre ouïghours » (p.193 – elle ne serait pas là pour en parler), « personne ne réchappe de ces camps » (p.243 – dixit la personne qui en a réchappé), etc.

Que ces suppositions soient, soit invalidées (pour la majorité), soit non démontrées, ne semble pas préoccuper Gulbahar Haïtiwaji ou Rozenn Morgat. « Mentez, il en restera toujours quelque chose ».

Outre la mort, il est impossible d’analyser ici tous les thèmes abordés dans ces suppositions mais il y en a un en particulier qui mérite notre attention et que nous analyserons de près dans le second volet de ce grand dossier : les stérilisations forcées.

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Analyses

Les mensonges d’Amnesty International sur la Chine

L’article qui suit conclut un important dossier que j’ai consacré ces derniers mois à la situation des droits de l’homme en Chine. Après un bref aperçu de ce qui se dit sur la Chine dans l’actualité récente, je résume les découvertes que j’ai pu faire sur les affirmations d’Amnesty International. Je reviens ensuite plus en détails sur le rôle particulier des ONG dans la propagande occidentale, puis sur les droits des travailleurs en Chine. Avant de conclure, j’évoque quelques éléments de comparaison entre la Chine et les pays occidentaux.

Masques produits sous la contrainte, esclavage et travail forcé dans les champs de coton : voilà les dernières nouvelles de la Chine si l’on en croit nos médias occidentaux. Des informations qui risquent bien de se retrouver dans le prochain rapport que rédigera Amnesty International sur la situation des droits de l’homme en Chine, comme ça a été le cas concernant le « million de Ouïghour.es » enfermé.es dans des camps où seraient pratiqués « mauvais traitements » et « lavage de cerveaux ».

À la source de cette info ? Un certain Adrian Zenz que les médias mainstream continuent de présenter comme un expert du Xinjiang mais qui est surtout un évangéliste allemand anticommuniste (voir note 2), travaillant depuis les États-Unis, et dont toutes les « analyses » sont reprises sans jamais qu’en soient critiquées les sources.

Vous pouvez lire le rapport de Zenz sur « l’esclavage dans les champs de coton » et vous essayer à la déconstruction, c’est édifiant. On y retrouve des liens, des liens et encore des liens qui…ne prouvent rien du tout. Parfois Zenz fait tout simplement mentir les articles qu’il cite. Parfois il procède à de manifestes surinterprétations. Parfois il cite ses amis qui le citent en retour. J’en veux pour preuve ce document « remarquable » (selon ses propres mots), document dont il ne donne que les premières pages, allez savoir pourquoi, et censé présenter « la preuve la plus forte que Beijing persécute activement et punit les pratiques normales des croyances religieuses traditionnelles » (sic) dans les fameux centres de rééducation du Xinjiang.

Vraiment ? Lisez-le et faites-vous votre propre opinion, en gardant en tête de surcroît que ce document est censé être la meilleure preuve que l’Occident détient contre la Chine.

Un temps de retard sur la propagande

Débunker la propagande antichinoise prend énormément de temps. Déconstruire point par point nous force à être toujours en retard. La guerre de l’information est une guerre qui se joue par asphyxie : il est beaucoup plus simple, rapide et efficace d’étouffer la contradiction en produisant des faux en série que ne l’est notre capacité à apporter la preuve de leur fausseté. Libé, Le Monde, Le Soir…ne font que colporter, sans jamais vérifier, des informations cohérentes avec leur perspective antichinoise. Le dossier auquel je me suis attelé ces derniers mois avait pour objectif de montrer qu’en adoptant la méthode adéquate et en y consacrant suffisamment de temps, la vérification de l’information EST souvent possible. Les journalistes POURRAIENT faire leur travail.

J’ai donc analysé de façon exhaustive les affirmations d’Amnesty International quant à la situation des droits de l’homme en Chine. Je voudrais ici (1) partager la synthèse des résultats auxquels l’enquête m’a mené ; (2) proposer quelques éléments d’interprétation.

Mes articles s’inscrivent dans un ensemble plus large de travaux qui refusent de considérer comme des « évidences » les critiques – positives ou négatives – sur la Chine. Comme expliqué dans le premier épisode, l’évidence pose qu’il serait possible de se dispenser de toute preuve ; une telle position est irrationnelle et dangereuse en ce qu’elle prête le flanc à la manipulation et au mensonge. En fait, l’évidence pousse à une compréhension univoque du monde (du type, « la Chine, c’est le mal »). Or, comme le disait Gramsci (1983, p.89), « si une conception du monde est largement répandue, elle devient alors « sens commun », c’est-à-dire un ensemble de vérités indisputables et le constituant d’un groupe social homogène ». Le lien entre réalité et discours sur la réalité est brisé. Le discours devient propagande.

Je ne suis pas le seul à prendre le temps de l’analyse (voir par exemple, en français, l’excellent site TibetDoc ou la très bonne synthèse, en anglais, sur le Xinjiang et le rôle du World Uyghur Congress – une source ouvertement prochinoise et à considérer de façon critique comme telle). Un corpus d’articles similaires, classé par catégories thématiques, avait été construit de façon collaborative, mais il semblerait que Google ait censuré la page, comme le montre la capture d’écran ci-dessous. Ainsi, l’on voit que la censure n’est certainement pas l’apanage des gouvernements dits « dictatoriaux ». Toutefois, jusqu’à présent, la page censurée est encore accessible via l’Internet Archive Wayback Machine.

Les droits de l’homme en Chine selon Amnesty

Amnesty International a acquis, depuis sa création, une grande légitimité dans le monde occidental grâce à son travail de dénonciation des violations des droits humains partout sur la planète. Pour comprendre d’où viennent les conclusions auxquelles je suis arrivé ci-dessous, j’invite les lecteurices à consulter l’ensemble du dossier accessible directement sur mon blog. Au terme de cette analyse, que pouvons-nous conclure ?

  1. Amnesty International ne fournit des sources pour ses affirmations que dans de rares cas. Lorsqu’elles existent, ces sources sont essentiellement autoréférentielles : Amnesty cite ses propres recherches. En ce qui concerne la Chine, ses recherches se basent essentiellement sur des témoignages dont elle reconnaît qu’ils ne sont ni solides, ni représentatifs. L’absence de sources et de solidité des témoignages doivent inviter à suspendre notre jugement quant à ces affirmations, tout en reconnaissant que l’absence de preuves (quant à certaines violations des droits humains) n’est pas non plus une preuve de l’absence (de violations des droits humains).
  2. Amnesty International affirme « ne pas accepter de subsides gouvernementaux » sauf pour « certains projets spécifiques en matière d’éducation aux droits humains ». Par conséquent, factuellement, AI accepte des subsides gouvernementaux. Toutefois, elle ne précise ni combien elle reçoit, ni pourquoi elle se trouve dans la nécessité d’en accepter. Par ailleurs, nous savons qu’au moins le département d’État des USA finance Amnesty, ce qui est loin d’être anecdotique étant donné l’état des relations sino-états-uniennes.
  3. Amnesty use d’une série de procédés rhétoriques portant atteinte à une lecture éclairée de son analyse. On peut lui reprocher un manque total de précaution dans plusieurs de ses affirmations. Par exemple, elle affirme sans preuves que la Chine se livre à des attaques informatiques. Par exemple, elle accumule des dénonciations, en mettant sur un pied d’égalité des affirmations dont les niveaux de preuves sont pourtant incompatibles. Elle présente de bonnes nouvelles (par exemple les progrès environnementaux ou l’amélioration des droits pour les LGBTI) de façon négative. Elle pose comme certaines des affirmations qui sont seulement possibles et qu’elle n’a pu vérifier.
  4. Amnesty pratique toutes les formes de mensonge, si l’on envisage ce dernier comme un continuum.
    (1) Le mensonge pur et simple (par exemple que le document récupéré par l’ICIJ soutiendrait la thèse de torture et le lavage de cerveaux de prisonniers ouïghours),
    (2) la surinterprétation (par exemple lorsqu’AI dit que le Parti communiste chinois se place au-dessus du système judiciaire),
    (3) le mensonge par omission (par exemple sur la loi sur l’irresponsabilité des forces de l’ordre, sur le crédit social, sur le positionnement séparatiste du World Uyghur Congress, sur les liens entre certaines ONG chinoises et des ingérences étrangères, sur le nombre d’attentats islamistes en Chine et l’innombrable quantité de leurs victimes, sur le soutien massif des pays musulmans à la Chine lors de commissions onusiennes),
    (4) le cherry picking (par exemple en ne sélectionnant que ce qui sert son propos sur les droits LGBTI),
    (5) la répétition d’affirmations sans sources (par exemple en disant que les détentions extrajudiciaires seraient légalisées, que la Chine procède à des attaques informatiques de grande ampleur, que la Chine pratique la peine de mort intensivement),
    (6) la simplification outrancière (par exemple sur la sinisation des religions).

Rôle des ONG

L’ensemble du dossier a par ailleurs montré le rôle des ONG internationales (voir ici et ici) qui sont amenées à jouer le rôle de « sous-traitantes » dans un environnement concurrentiel (Hailey, 2000) et sont transformées en de simples « exécutantes » des politiques de leurs bailleurs de fonds (Bornstein, 2003).

Sous quelles conditions une ONG étrangère à un certain territoire pourrait-elle agir de manière éthique ? La réponse n’est pas si évidente qu’il y paraît de prime abord. Ainsi, faudrait-il dans un premier temps déterminer les valeurs défendues par les ONG dont il est question. Il est patent que les différences culturelles entre la Chine (où le collectif prime sur l’individu) et l’Occident (où l’individu prime sur le collectif) posent de sérieuses questions quant à la légitimité de l’action d’ONG occidentales en territoire chinois – à moins de considérer que seul.es nous savons ce qui est juste en termes de valeurs morales…tout en faisant le contraire de ce qu’on dit de façon systém(at)ique.

Un détour par l’histoire s’avère ensuite pertinent. Quand donc est-ce que les conséquences des financements étrangers à des ONG et/ou à des groupes d’opposition locaux ont-ils été à la hauteur des objectifs explicites poursuivis, voire n’ont tout simplement pas empiré une situation ? Que peut-on dire de toutes les « révolutions colorées » abondamment financées par les USA comme le montre Ahmed Bensaada dans son livre Arabesque$ ? Si de tels financements ne sont pas à même de répondre aux défis qu’ils se donnent, pourquoi faudrait-il encore les soutenir ? N’y a-t-il pas d’autres voies, notamment diplomatiques ? Ne devrions-nous pas alors commencer par regarder nos propres exactions ?

S’ils n’atteignent pas les objectifs explicites, quels sont les intérêts effectifs que servent ces ONG et ces financements étrangers ? Il est impensable que quiconque dépense autant d’argent sans, d’une façon ou d’une autre, en tirer bénéfice ou quelque forme de retour sur investissement. Dans bien des cas, y appliquer une grille d’analyse géopolitique s’avère utile, en rappelant par exemple la situation du Xinjiang qui regorge de matières premières sur lesquelles les USA se verraient bien avoir le contrôle en instrumentalisant le séparatisme dans la région.

Réserves de pétrole dans le monde

À la suite de l’effondrement du monde bipolaire, les États-Unis se sont retrouvés seuls pour diriger le monde. Depuis quelques années pourtant, il semble que le rapport de forces ait évolué vers un monde multipolaire où la Chine joue un rôle économique (et, de plus en plus, politique) essentiel. L’affaiblissement, par tous les moyens, de Beijing profite directement aux USA. Il n’est dès lors pas étonnant de les retrouver derrière pratiquement toutes les ONG favorisant le séparatisme des régions autonomes, critiquant la politique chinoise, etc. À l’origine de ces financements, on trouve régulièrement la NED (National Endowment for Democracy), qualifiée d’organisme-écran de la CIA par son ancien président Allen Weinstein.

Censure et lanceurs d’alerte

Dans ces conditions, la censure massive qu’impose la Chine à sa population prend un sens un peu différent. Côté pile, on ne peut qu’être très critique de ce que la plupart des cas de violations des droits humains évoqués par Amnesty ne sont pas abordés dans la presse chinoise (continentale du moins), même avec un discours qui aurait été au service de la perspective du pouvoir. Côté face, on est obligé de reconnaître que la campagne de désinformation, que l’on peut sans peine qualifier de propagande antichinoise extrêmement agressive mais formidablement orchestrée, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la politique intérieure chinoise et pour la stabilité du pays. Si toutes les fausses informations qui nous parviennent en Occident atteignaient de la même façon, sans filtre, ses 1 milliard 400 millions d’habitant.es, le gouvernement chinois prendrait le risque de voir se lever contre lui sa population – dans une forme d’insurrection semblable aux révolutions colorées dont on a vu qu’elles ne pouvaient atteindre leur pseudo-objectif « démocratique » (voir par exemple le site d’Ahmed Bensaada).

Chelsea Manning

À l’instar des USA (de Snowden à Assange en passant par Manning) et de l’Europe (Deltour, Halet, Pfeiffer, etc.), la Chine n’hésite pas à arrêter et condamner les lanceurs d’alerte. Toutefois, une position morale catégorique (au sens de Kant) a moins de sens qu’observer la situation concrète : par exemple, la condamnation pour divulgation de secrets d’État dépend d’une évaluation des coûts et des bénéfices d’une semblable « trahison ». Ainsi, je pense qu’il est salubre et même nécessaire que des crimes et exactions commis par des États soient rendus publics si et seulement si la sortie de cette information ne met pas en danger plus de monde que le silence – une position moralement insatisfaisante mais qui renvoie au principe du moindre mal.

On aurait pu aussi se demander ce qu’il en est de la liberté d’expression quand on a la confiance de la Chine. Par exemple en regardant les films documentaires de Jean-Michel Carré qui, au contraire du récent documentaire d’Arte, refuse de ne mettre en scène que des occidentaux travaillant à la solde de la NED ou de Soros mais donne la voix aux Chinois.es eux-mêmes – parmi lesquel.les on trouve des voix très critiques.

Droits des travailleurs

Parmi les informations révélées par Amnesty International, j’ai été amené à m’intéresser à l’expropriation d’ouvriers agricoles au profit de méga projets immobiliers, plus rentables, mais faisant courir le risque d’une  mise en danger de l’autonomie alimentaire. D’autre part, je n’ai pas été en mesure de confirmer ou déconstruire les affirmations adressant les atteintes aux droits des travailleurs. La question est toutefois cruciale dans la mesure où le parti communiste est supposé émaner du peuple et en garantir ses intérêts.

Parmi mes contacts, Ng Sauw Tjhoi a supervisé plusieurs visites pour la Belgique au syndicat unique ACFTU (Fédération panchinoise des syndicats) en République populaire. Comme il me l’a aussi suggéré, je vous conseille de lire cette synthèse du China Labour Bulletin qui résumerait assez bien la situation des droits des travailleur.euses. On y apprend que :

  1. Les employé.es peuvent ne pas avoir été payé.es, souffrir de problèmes de sécurité au travail, ne pas bénéficier d’une assurance, ne pas avoir de contrat, subir de la discrimination, etc. Ainsi, iels se trouvent opposé.es à leur employeur.
  2. Les employeurs privés ont pris de plus en plus de place depuis les grandes réformes notamment initiées par Deng Xiaoping. Les intérêts privés ont dès lors commencé à s’opposer aux droits des travailleur.euses, au nom de la performance économique…avec un parti communiste lui aussi amené à favoriser la croissance.
  3. Les syndicats sont autorisés mais, dans les faits, tous doivent être affiliés à l’ACFTU, laquelle sert les intérêts du parti plutôt que ceux des membres et fonctionne seulement comme une «courroie de transmission» vers le parti. Ainsi, toute tentative de création d’un syndicat indépendant sera considérée par le parti communiste comme une menace politique…et traitée en conséquence. Fonctionnant selon les principes de la méritocratie, l’ACFTU est un passage presque obligé vers une carrière politique.
  4. Les autorités locales sont censées assurer le respect du droit du travail dans leurs circonscriptions mais, dans les faits, elles sont plutôt laxistes, sous-financées, manquent de personnel et de capacités véritables à protéger les travailleurs, en particulier dans les villes plus petites et plus pauvres. Elles sont de surcroît prises dans des conflits d’intérêts qui les amènent à créer un environnement économique favorable au business plutôt que favoriser la protection des travailleur.euses.
  5. Dans ces conditions, des leaders d’opportunités apparaissent ponctuellement dans le cadre d’actions collectives, comme des grèves. Si le droit de grève a été retiré de la constitution en 1982, la grève n’est pas non plus légalement interdite. Les leaders de manifestation sont rarement inculpé.es et, s’iels le sont, c’est plus souvent pour trouble à l’ordre public plutôt que pour la grève en tant que telle.
  6. Si les actions collectives sont difficiles, il reste aux travailleur.euses à saisir le LDAC (Labour Dispute Arbitration Committee), ce qui permet dans la plupart des cas une résolution rapide des problèmes, essentiellement via une médiation plutôt que via un arbitrage. La charge de la preuve pèse alors sur l’employeur. Si le principe semble fonctionner adéquatement, on comprend toutefois qu’il ne s’agit que d’un pis-aller, une réponse individuelle à des problèmes pourtant systémiques.
  7. Des groupes de pression issus de la société civile ont également pu jouer le rôle des syndicats, mais ils sont victimes de répression– même s’il en existe encore qui agissent en concertation avec les autres parties.

On en conclut que la Chine, actuellement, n’a pu résoudre les problèmes intrinsèques liés au droit du travail – surtout dans le cadre d’une économie qui s’est ouverte au privé. Il en résulte qu’une majorité de travailleur.euses ne bénéficient toujours pas d’une croissance qui a pourtant vu une portion du Parti et des entrepreneur.es devenir riches de façon obscène. L’extrême inégalité a été en empirant ces dernières années. Le plus absurde est que tout ceci est malheureusement très cohérent avec ce qu’on connaît chez nous de l’économie de marché.

Éléments de comparaison

Vltchek disait que l’Occident utilise le concept des « droits de l’homme » de façon « ciblée » contre la Chine. La plus grande partie des accusations et des « faits » sont, pour lui, sortis du contexte de l’échelle mondiale (aujourd’hui et dans l’histoire). Seuls des points de vue et des analyses eurocentriques ont été appliqués. En effet, la question du droit du travail est-elle, par exemple chez nous, tellement différente de ce qui se passe en Chine ? Les reproches contre la Chine concernant son supposé impérialisme en Afrique ne peuvent-ils avant tout s’adresser à nos pays occidentaux qui ont prolongé le colonialisme par un néocolonialisme pernicieux mais tout aussi réel ? Les partis politiques et les syndicats ne sont-ils pas ici aussi « superficiellement pluralistes », en ce que les désaccords exprimés ne remettent fondamentalement en cause les paradigmes économiques et politiques dans lesquels ils s’inscrivent ?

Jusqu’ici, j’ai refusé la comparaison entre la Chine et l’Occident, car le fait que des crimes similaires existent ailleurs ne peut en rien justifier qu’ils soient commis en Chine. En revanche, c’est bien le caractère exceptionnel des « crimes chinois » qui doit être relativisé. Dresser un tableau similaire à celui de la Chine pour la France des gilets jaunes, à travers par exemple, l’énumération des violences policières est tout à fait sensé. De même que rappeler l’absence de résultats des manifestations contre la loi travail, Nuit debout, contre l’appauvrissement des services publics, etc.

Dénonciation des violences policières à Toulouse. Source : Libération

Faut-il rappeler que les USA, si prompts à dénoncer la Chine et à y opérer une abominable ingérence, pratiquent la peine de mort, et la torture dans des territoires hors-la-loi comme Guantanamo, ou que les thérapies de conversion quant à l’orientation sexuelle y sont monnaie courante ? Dans leur magnifique ouvrage « Jours de destruction, jours de révolte », Chris Hedges et Joe Sacco listent une série de statistiques propres aux USA qui font frémir (voir ci-dessous).

Pouvons-nous encore décemment nous dire : « Qu’importe si ce sont les USA qui financent la propagande antichinoise, puisque c’est une démocratie » ? Pouvons-nous encore décemment dire que la misère provoquée par un pays comme les USA est « moins grave », que ses bombes sont moins hostiles, ses crimes plus acceptables, sa destruction de l’environnement plus raisonnable, ses lanceurs d’alerte moins dignes, son racisme moins horrible, etc. parce qu’on a donné à ce pays l’étiquette absurde de « démocratie » ? Quel sens cela a-t-il encore ?

Quant à l’Union européenne, elle ne vaut guère mieux. C’est en Grèce, berceau de la sacro-sainte « démocratie », qu’aujourd’hui l’on tolère, par exemple, des atrocités telles que celles se déroulant sur l’île de Lesbos. Et, dans ce cas, contrairement aux fameux « camps de Ouïghours », les preuves non seulement existent mais elles sont accablantes – on traite les animaux avec plus d’humanité.

Chine, et outre les droits de l’homme ?

Enfin, les articles de mon dossier ne s’attachant qu’à la question des droits de l’homme, d’autres données bien différentes sont passées sous silence. Alors que nous observons une énième fois le coronavirus qui reprend de la vigueur en Europe, la Chine semble s’en être débarrassé avec organisation, rigueur et solidarité. Une vraie leçon que même la propagande occidentale n’arrive pas à étouffer.

Je vous invite à lire cet article pour comprendre aussi comment la Chine a doublé l’espérance de vie de sa population et pour comprendre ce qu’est leur couverture santé au regard de celle de la « démocratie » états-unienne. On aurait pu parler d’augmentation du niveau de vie, de prouesses technologiques, d’enseignement, de couverture sociale, de réduction de la pauvreté, de progrès scientifiques et de collaboration entre chercheur.euses chinois.es et à l’international, etc. Nous n’avons abordé que les sujets sur lesquels l’Occident est critique : un cadrage bien particulier qui favorise « l’accusation ».   

Conclusions

Dans mon premier article sur la Chine, j’évoquais le cas d’Étienne Chouard qui déclarait (42’) à propos de doutes éventuels sur les chambres à gaz : « Ce n’est pas mon sujet, je n’y connais rien ». Dans ce débat sur Le Média, on se trouve dans la situation classique où l’interviewé est sommé de condamner une évidence (comme l’explique le Stagirite dans une vidéo à partir de laquelle je construis mon analyse ci-dessous). Il s’agit d’une forme de procédé rhétorique s’apparentant à un empoisonnement du puits où l’on est implicitement accusé avant même d’avoir prononcé un mot.

Dans le cas de la Chine, lorsqu’on me dit : « Condamnes-tu cette dictature ? », je me trouve dans une situation similaire où tout ce que je pourrai répondre sera lu à partir de la perspective de la suspicion originelle. Exit l’explicitation des fausses informations et de la propagande, exit la mise en comparaison avec d’autres pays, exit le contexte géopolitique…seule « l’évidence de la dictature chinoise » devrait suffire et toute parole supplémentaire n’ajoute qu’à la suspicion.

Toutefois, il y a une grande différence entre Chouard qui ne « se prononce pas sur les chambres à gaz » et moi qui questionne « l’évidence criminelle » de la Chine. Personnellement, mes doutes quant aux informations d’Amnesty sur les droits de l’homme en Chine provenaient de connaissances antérieures de situations similaires, considérant qu’à conditions égales, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ainsi, si l’Europe et les USA ont menti sur le Tibet (voir par exemple le site Tibetdoc ou le livre de Maxime Vivas « Pas si zen »), il est possible que les mêmes mentent sur le Xinjiang. Il est alors rationnel, dans un premier temps du moins, de suspendre son jugement.

Cela implique d’ailleurs d’éviter toute expression publique de ce doute tant qu’il n’est pas informé. Et il peut l’être (1) soit en cherchant des preuves existantes – dans un sens ou dans l’autre – (on ne peut pas tout connaître par soi-même et, sur ce point, je renvoie à un article, aussi relayé par le Stagirite, sur la dépendance épistémique) ; (2) soit en faisant soi-même le travail de recherche. En effet, puisque ma position est hétérodoxe, la charge de la preuve me revient. C’est tout à fait normal : quand Einstein a remis en question la physique newtonienne faisant pourtant consensus, on attendait de lui non pas des affirmations en l’air mais bien une rigoureuse démonstration (je ne me compare pas à Einstein, hein ;)).

Je me suis donc saisi de ce devoir de recherche et c’est la raison pour laquelle mon dossier est aussi long… Ces deux démarches, Chouard ne les a pas entreprises : non seulement il a émis des doutes en dépit de travaux solides d’historiens, mais il n’a pas non plus effectué un travail de mise à niveau personnelle – ce qui rend l’expression publique d’une opinion controversée particulièrement insultante pour les victimes et leur descendance.  

Quant à moi, je conclus ici plusieurs mois de travail acharné, à lire des articles, traduire, lire et recouper les sources de ces articles, à remettre en question les « évidences », à remettre en question mes propres parti-pris, à engranger de la connaissance, apprendre, faire preuve d’humilité face à un dossier éminemment complexe. Au final, j’ai accumulé la matière pour un livre entier. Au terme de ce travail, je prends une nouvelle fois conscience de ce que chacun des partis en guerre a intérêt à désigner l’autre comme l’ennemi – comme l’aurait dit Desproges : « L’ennemi est bête, il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui. »

Bien sûr, il est impossible que chacun.e d’entre nous procède à un tel travail de déconstruction. Sommes-nous donc condamné.es à croire de fausses informations ? Je pense en tout cas qu’il est nécessaire de (1) connaître l’histoire et les désinformations du passé ; (2) repérer les mécanismes dans la construction des fausses infos et les intérêts des parties en présence ; (3) suspendre son jugement jusqu’à consultation de preuves explicites, rationnelles et convaincantes ; (4) acquérir des réflexes de critiques des sources.

Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons être mieux armé.es face aux mensonges de demain, qu’ils concernent la Chine ou tout autre pays non aligné sur les intérêts occidentaux.


Je remercie du fond du cœur toutes les personnes qui m’ont aidé dans la constitution de ce dossier : mes ami.es chinois.es en Belgique, des Européen.nes expatrié.es en Chine, mon réseau hyper efficace de militant.es, le travail colossal des vulgarisateurices scientifiques sur Youtube, tou.te.s les auteurices que j’ai pu lire, mon amoureuse qui m’a soutenu au long de ces derniers mois, les personnes qui m’auront fait des feedbacks rigoureux et, bien sûr, les quelques tipeurs qui me soutiennent via un pourboire.

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