Analyses

Les mensonges d’Amnesty International sur la Chine

L’article qui suit conclut un important dossier que j’ai consacré ces derniers mois à la situation des droits de l’homme en Chine. Après un bref aperçu de ce qui se dit sur la Chine dans l’actualité récente, je résume les découvertes que j’ai pu faire sur les affirmations d’Amnesty International. Je reviens ensuite plus en détails sur le rôle particulier des ONG dans la propagande occidentale, puis sur les droits des travailleurs en Chine. Avant de conclure, j’évoque quelques éléments de comparaison entre la Chine et les pays occidentaux.

Masques produits sous la contrainte, esclavage et travail forcé dans les champs de coton : voilà les dernières nouvelles de la Chine si l’on en croit nos médias occidentaux. Des informations qui risquent bien de se retrouver dans le prochain rapport que rédigera Amnesty International sur la situation des droits de l’homme en Chine, comme ça a été le cas concernant le « million de Ouïghour.es » enfermé.es dans des camps où seraient pratiqués « mauvais traitements » et « lavage de cerveaux ».

À la source de cette info ? Un certain Adrian Zenz que les médias mainstream continuent de présenter comme un expert du Xinjiang mais qui est surtout un évangéliste allemand anticommuniste (voir note 2), travaillant depuis les États-Unis, et dont toutes les « analyses » sont reprises sans jamais qu’en soient critiquées les sources.

Vous pouvez lire le rapport de Zenz sur « l’esclavage dans les champs de coton » et vous essayer à la déconstruction, c’est édifiant. On y retrouve des liens, des liens et encore des liens qui…ne prouvent rien du tout. Parfois Zenz fait tout simplement mentir les articles qu’il cite. Parfois il procède à de manifestes surinterprétations. Parfois il cite ses amis qui le citent en retour. J’en veux pour preuve ce document « remarquable » (selon ses propres mots), document dont il ne donne que les premières pages, allez savoir pourquoi, et censé présenter « la preuve la plus forte que Beijing persécute activement et punit les pratiques normales des croyances religieuses traditionnelles » (sic) dans les fameux centres de rééducation du Xinjiang.

Vraiment ? Lisez-le et faites-vous votre propre opinion, en gardant en tête de surcroît que ce document est censé être la meilleure preuve que l’Occident détient contre la Chine.

Un temps de retard sur la propagande

Débunker la propagande antichinoise prend énormément de temps. Déconstruire point par point nous force à être toujours en retard. La guerre de l’information est une guerre qui se joue par asphyxie : il est beaucoup plus simple, rapide et efficace d’étouffer la contradiction en produisant des faux en série que ne l’est notre capacité à apporter la preuve de leur fausseté. Libé, Le Monde, Le Soir…ne font que colporter, sans jamais vérifier, des informations cohérentes avec leur perspective antichinoise. Le dossier auquel je me suis attelé ces derniers mois avait pour objectif de montrer qu’en adoptant la méthode adéquate et en y consacrant suffisamment de temps, la vérification de l’information EST souvent possible. Les journalistes POURRAIENT faire leur travail.

J’ai donc analysé de façon exhaustive les affirmations d’Amnesty International quant à la situation des droits de l’homme en Chine. Je voudrais ici (1) partager la synthèse des résultats auxquels l’enquête m’a mené ; (2) proposer quelques éléments d’interprétation.

Mes articles s’inscrivent dans un ensemble plus large de travaux qui refusent de considérer comme des « évidences » les critiques – positives ou négatives – sur la Chine. Comme expliqué dans le premier épisode, l’évidence pose qu’il serait possible de se dispenser de toute preuve ; une telle position est irrationnelle et dangereuse en ce qu’elle prête le flanc à la manipulation et au mensonge. En fait, l’évidence pousse à une compréhension univoque du monde (du type, « la Chine, c’est le mal »). Or, comme le disait Gramsci (1983, p.89), « si une conception du monde est largement répandue, elle devient alors « sens commun », c’est-à-dire un ensemble de vérités indisputables et le constituant d’un groupe social homogène ». Le lien entre réalité et discours sur la réalité est brisé. Le discours devient propagande.

Je ne suis pas le seul à prendre le temps de l’analyse (voir par exemple, en français, l’excellent site TibetDoc ou la très bonne synthèse, en anglais, sur le Xinjiang et le rôle du World Uyghur Congress – une source ouvertement prochinoise et à considérer de façon critique comme telle). Un corpus d’articles similaires, classé par catégories thématiques, avait été construit de façon collaborative, mais il semblerait que Google ait censuré la page, comme le montre la capture d’écran ci-dessous. Ainsi, l’on voit que la censure n’est certainement pas l’apanage des gouvernements dits « dictatoriaux ». Toutefois, jusqu’à présent, la page censurée est encore accessible via l’Internet Archive Wayback Machine.

Les droits de l’homme en Chine selon Amnesty

Amnesty International a acquis, depuis sa création, une grande légitimité dans le monde occidental grâce à son travail de dénonciation des violations des droits humains partout sur la planète. Pour comprendre d’où viennent les conclusions auxquelles je suis arrivé ci-dessous, j’invite les lecteurices à consulter l’ensemble du dossier accessible directement sur mon blog. Au terme de cette analyse, que pouvons-nous conclure ?

  1. Amnesty International ne fournit des sources pour ses affirmations que dans de rares cas. Lorsqu’elles existent, ces sources sont essentiellement autoréférentielles : Amnesty cite ses propres recherches. En ce qui concerne la Chine, ses recherches se basent essentiellement sur des témoignages dont elle reconnaît qu’ils ne sont ni solides, ni représentatifs. L’absence de sources et de solidité des témoignages doivent inviter à suspendre notre jugement quant à ces affirmations, tout en reconnaissant que l’absence de preuves (quant à certaines violations des droits humains) n’est pas non plus une preuve de l’absence (de violations des droits humains).
  2. Amnesty International affirme « ne pas accepter de subsides gouvernementaux » sauf pour « certains projets spécifiques en matière d’éducation aux droits humains ». Par conséquent, factuellement, AI accepte des subsides gouvernementaux. Toutefois, elle ne précise ni combien elle reçoit, ni pourquoi elle se trouve dans la nécessité d’en accepter. Par ailleurs, nous savons qu’au moins le département d’État des USA finance Amnesty, ce qui est loin d’être anecdotique étant donné l’état des relations sino-états-uniennes.
  3. Amnesty use d’une série de procédés rhétoriques portant atteinte à une lecture éclairée de son analyse. On peut lui reprocher un manque total de précaution dans plusieurs de ses affirmations. Par exemple, elle affirme sans preuves que la Chine se livre à des attaques informatiques. Par exemple, elle accumule des dénonciations, en mettant sur un pied d’égalité des affirmations dont les niveaux de preuves sont pourtant incompatibles. Elle présente de bonnes nouvelles (par exemple les progrès environnementaux ou l’amélioration des droits pour les LGBTI) de façon négative. Elle pose comme certaines des affirmations qui sont seulement possibles et qu’elle n’a pu vérifier.
  4. Amnesty pratique toutes les formes de mensonge, si l’on envisage ce dernier comme un continuum.
    (1) Le mensonge pur et simple (par exemple que le document récupéré par l’ICIJ soutiendrait la thèse de torture et le lavage de cerveaux de prisonniers ouïghours),
    (2) la surinterprétation (par exemple lorsqu’AI dit que le Parti communiste chinois se place au-dessus du système judiciaire),
    (3) le mensonge par omission (par exemple sur la loi sur l’irresponsabilité des forces de l’ordre, sur le crédit social, sur le positionnement séparatiste du World Uyghur Congress, sur les liens entre certaines ONG chinoises et des ingérences étrangères, sur le nombre d’attentats islamistes en Chine et l’innombrable quantité de leurs victimes, sur le soutien massif des pays musulmans à la Chine lors de commissions onusiennes),
    (4) le cherry picking (par exemple en ne sélectionnant que ce qui sert son propos sur les droits LGBTI),
    (5) la répétition d’affirmations sans sources (par exemple en disant que les détentions extrajudiciaires seraient légalisées, que la Chine procède à des attaques informatiques de grande ampleur, que la Chine pratique la peine de mort intensivement),
    (6) la simplification outrancière (par exemple sur la sinisation des religions).

Rôle des ONG

L’ensemble du dossier a par ailleurs montré le rôle des ONG internationales (voir ici et ici) qui sont amenées à jouer le rôle de « sous-traitantes » dans un environnement concurrentiel (Hailey, 2000) et sont transformées en de simples « exécutantes » des politiques de leurs bailleurs de fonds (Bornstein, 2003).

Sous quelles conditions une ONG étrangère à un certain territoire pourrait-elle agir de manière éthique ? La réponse n’est pas si évidente qu’il y paraît de prime abord. Ainsi, faudrait-il dans un premier temps déterminer les valeurs défendues par les ONG dont il est question. Il est patent que les différences culturelles entre la Chine (où le collectif prime sur l’individu) et l’Occident (où l’individu prime sur le collectif) posent de sérieuses questions quant à la légitimité de l’action d’ONG occidentales en territoire chinois – à moins de considérer que seul.es nous savons ce qui est juste en termes de valeurs morales…tout en faisant le contraire de ce qu’on dit de façon systém(at)ique.

Un détour par l’histoire s’avère ensuite pertinent. Quand donc est-ce que les conséquences des financements étrangers à des ONG et/ou à des groupes d’opposition locaux ont-ils été à la hauteur des objectifs explicites poursuivis, voire n’ont tout simplement pas empiré une situation ? Que peut-on dire de toutes les « révolutions colorées » abondamment financées par les USA comme le montre Ahmed Bensaada dans son livre Arabesque$ ? Si de tels financements ne sont pas à même de répondre aux défis qu’ils se donnent, pourquoi faudrait-il encore les soutenir ? N’y a-t-il pas d’autres voies, notamment diplomatiques ? Ne devrions-nous pas alors commencer par regarder nos propres exactions ?

S’ils n’atteignent pas les objectifs explicites, quels sont les intérêts effectifs que servent ces ONG et ces financements étrangers ? Il est impensable que quiconque dépense autant d’argent sans, d’une façon ou d’une autre, en tirer bénéfice ou quelque forme de retour sur investissement. Dans bien des cas, y appliquer une grille d’analyse géopolitique s’avère utile, en rappelant par exemple la situation du Xinjiang qui regorge de matières premières sur lesquelles les USA se verraient bien avoir le contrôle en instrumentalisant le séparatisme dans la région.

Réserves de pétrole dans le monde

À la suite de l’effondrement du monde bipolaire, les États-Unis se sont retrouvés seuls pour diriger le monde. Depuis quelques années pourtant, il semble que le rapport de forces ait évolué vers un monde multipolaire où la Chine joue un rôle économique (et, de plus en plus, politique) essentiel. L’affaiblissement, par tous les moyens, de Beijing profite directement aux USA. Il n’est dès lors pas étonnant de les retrouver derrière pratiquement toutes les ONG favorisant le séparatisme des régions autonomes, critiquant la politique chinoise, etc. À l’origine de ces financements, on trouve régulièrement la NED (National Endowment for Democracy), qualifiée d’organisme-écran de la CIA par son ancien président Allen Weinstein.

Censure et lanceurs d’alerte

Dans ces conditions, la censure massive qu’impose la Chine à sa population prend un sens un peu différent. Côté pile, on ne peut qu’être très critique de ce que la plupart des cas de violations des droits humains évoqués par Amnesty ne sont pas abordés dans la presse chinoise (continentale du moins), même avec un discours qui aurait été au service de la perspective du pouvoir. Côté face, on est obligé de reconnaître que la campagne de désinformation, que l’on peut sans peine qualifier de propagande antichinoise extrêmement agressive mais formidablement orchestrée, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la politique intérieure chinoise et pour la stabilité du pays. Si toutes les fausses informations qui nous parviennent en Occident atteignaient de la même façon, sans filtre, ses 1 milliard 400 millions d’habitant.es, le gouvernement chinois prendrait le risque de voir se lever contre lui sa population – dans une forme d’insurrection semblable aux révolutions colorées dont on a vu qu’elles ne pouvaient atteindre leur pseudo-objectif « démocratique » (voir par exemple le site d’Ahmed Bensaada).

Chelsea Manning

À l’instar des USA (de Snowden à Assange en passant par Manning) et de l’Europe (Deltour, Halet, Pfeiffer, etc.), la Chine n’hésite pas à arrêter et condamner les lanceurs d’alerte. Toutefois, une position morale catégorique (au sens de Kant) a moins de sens qu’observer la situation concrète : par exemple, la condamnation pour divulgation de secrets d’État dépend d’une évaluation des coûts et des bénéfices d’une semblable « trahison ». Ainsi, je pense qu’il est salubre et même nécessaire que des crimes et exactions commis par des États soient rendus publics si et seulement si la sortie de cette information ne met pas en danger plus de monde que le silence – une position moralement insatisfaisante mais qui renvoie au principe du moindre mal.

On aurait pu aussi se demander ce qu’il en est de la liberté d’expression quand on a la confiance de la Chine. Par exemple en regardant les films documentaires de Jean-Michel Carré qui, au contraire du récent documentaire d’Arte, refuse de ne mettre en scène que des occidentaux travaillant à la solde de la NED ou de Soros mais donne la voix aux Chinois.es eux-mêmes – parmi lesquel.les on trouve des voix très critiques.

Droits des travailleurs

Parmi les informations révélées par Amnesty International, j’ai été amené à m’intéresser à l’expropriation d’ouvriers agricoles au profit de méga projets immobiliers, plus rentables, mais faisant courir le risque d’une  mise en danger de l’autonomie alimentaire. D’autre part, je n’ai pas été en mesure de confirmer ou déconstruire les affirmations adressant les atteintes aux droits des travailleurs. La question est toutefois cruciale dans la mesure où le parti communiste est supposé émaner du peuple et en garantir ses intérêts.

Parmi mes contacts, Ng Sauw Tjhoi a supervisé plusieurs visites pour la Belgique au syndicat unique ACFTU (Fédération panchinoise des syndicats) en République populaire. Comme il me l’a aussi suggéré, je vous conseille de lire cette synthèse du China Labour Bulletin qui résumerait assez bien la situation des droits des travailleur.euses. On y apprend que :

  1. Les employé.es peuvent ne pas avoir été payé.es, souffrir de problèmes de sécurité au travail, ne pas bénéficier d’une assurance, ne pas avoir de contrat, subir de la discrimination, etc. Ainsi, iels se trouvent opposé.es à leur employeur.
  2. Les employeurs privés ont pris de plus en plus de place depuis les grandes réformes notamment initiées par Deng Xiaoping. Les intérêts privés ont dès lors commencé à s’opposer aux droits des travailleur.euses, au nom de la performance économique…avec un parti communiste lui aussi amené à favoriser la croissance.
  3. Les syndicats sont autorisés mais, dans les faits, tous doivent être affiliés à l’ACFTU, laquelle sert les intérêts du parti plutôt que ceux des membres et fonctionne seulement comme une «courroie de transmission» vers le parti. Ainsi, toute tentative de création d’un syndicat indépendant sera considérée par le parti communiste comme une menace politique…et traitée en conséquence. Fonctionnant selon les principes de la méritocratie, l’ACFTU est un passage presque obligé vers une carrière politique.
  4. Les autorités locales sont censées assurer le respect du droit du travail dans leurs circonscriptions mais, dans les faits, elles sont plutôt laxistes, sous-financées, manquent de personnel et de capacités véritables à protéger les travailleurs, en particulier dans les villes plus petites et plus pauvres. Elles sont de surcroît prises dans des conflits d’intérêts qui les amènent à créer un environnement économique favorable au business plutôt que favoriser la protection des travailleur.euses.
  5. Dans ces conditions, des leaders d’opportunités apparaissent ponctuellement dans le cadre d’actions collectives, comme des grèves. Si le droit de grève a été retiré de la constitution en 1982, la grève n’est pas non plus légalement interdite. Les leaders de manifestation sont rarement inculpé.es et, s’iels le sont, c’est plus souvent pour trouble à l’ordre public plutôt que pour la grève en tant que telle.
  6. Si les actions collectives sont difficiles, il reste aux travailleur.euses à saisir le LDAC (Labour Dispute Arbitration Committee), ce qui permet dans la plupart des cas une résolution rapide des problèmes, essentiellement via une médiation plutôt que via un arbitrage. La charge de la preuve pèse alors sur l’employeur. Si le principe semble fonctionner adéquatement, on comprend toutefois qu’il ne s’agit que d’un pis-aller, une réponse individuelle à des problèmes pourtant systémiques.
  7. Des groupes de pression issus de la société civile ont également pu jouer le rôle des syndicats, mais ils sont victimes de répression– même s’il en existe encore qui agissent en concertation avec les autres parties.

On en conclut que la Chine, actuellement, n’a pu résoudre les problèmes intrinsèques liés au droit du travail – surtout dans le cadre d’une économie qui s’est ouverte au privé. Il en résulte qu’une majorité de travailleur.euses ne bénéficient toujours pas d’une croissance qui a pourtant vu une portion du Parti et des entrepreneur.es devenir riches de façon obscène. L’extrême inégalité a été en empirant ces dernières années. Le plus absurde est que tout ceci est malheureusement très cohérent avec ce qu’on connaît chez nous de l’économie de marché.

Éléments de comparaison

Vltchek disait que l’Occident utilise le concept des « droits de l’homme » de façon « ciblée » contre la Chine. La plus grande partie des accusations et des « faits » sont, pour lui, sortis du contexte de l’échelle mondiale (aujourd’hui et dans l’histoire). Seuls des points de vue et des analyses eurocentriques ont été appliqués. En effet, la question du droit du travail est-elle, par exemple chez nous, tellement différente de ce qui se passe en Chine ? Les reproches contre la Chine concernant son supposé impérialisme en Afrique ne peuvent-ils avant tout s’adresser à nos pays occidentaux qui ont prolongé le colonialisme par un néocolonialisme pernicieux mais tout aussi réel ? Les partis politiques et les syndicats ne sont-ils pas ici aussi « superficiellement pluralistes », en ce que les désaccords exprimés ne remettent fondamentalement en cause les paradigmes économiques et politiques dans lesquels ils s’inscrivent ?

Jusqu’ici, j’ai refusé la comparaison entre la Chine et l’Occident, car le fait que des crimes similaires existent ailleurs ne peut en rien justifier qu’ils soient commis en Chine. En revanche, c’est bien le caractère exceptionnel des « crimes chinois » qui doit être relativisé. Dresser un tableau similaire à celui de la Chine pour la France des gilets jaunes, à travers par exemple, l’énumération des violences policières est tout à fait sensé. De même que rappeler l’absence de résultats des manifestations contre la loi travail, Nuit debout, contre l’appauvrissement des services publics, etc.

Dénonciation des violences policières à Toulouse. Source : Libération

Faut-il rappeler que les USA, si prompts à dénoncer la Chine et à y opérer une abominable ingérence, pratiquent la peine de mort, et la torture dans des territoires hors-la-loi comme Guantanamo, ou que les thérapies de conversion quant à l’orientation sexuelle y sont monnaie courante ? Dans leur magnifique ouvrage « Jours de destruction, jours de révolte », Chris Hedges et Joe Sacco listent une série de statistiques propres aux USA qui font frémir (voir ci-dessous).

Pouvons-nous encore décemment nous dire : « Qu’importe si ce sont les USA qui financent la propagande antichinoise, puisque c’est une démocratie » ? Pouvons-nous encore décemment dire que la misère provoquée par un pays comme les USA est « moins grave », que ses bombes sont moins hostiles, ses crimes plus acceptables, sa destruction de l’environnement plus raisonnable, ses lanceurs d’alerte moins dignes, son racisme moins horrible, etc. parce qu’on a donné à ce pays l’étiquette absurde de « démocratie » ? Quel sens cela a-t-il encore ?

Quant à l’Union européenne, elle ne vaut guère mieux. C’est en Grèce, berceau de la sacro-sainte « démocratie », qu’aujourd’hui l’on tolère, par exemple, des atrocités telles que celles se déroulant sur l’île de Lesbos. Et, dans ce cas, contrairement aux fameux « camps de Ouïghours », les preuves non seulement existent mais elles sont accablantes – on traite les animaux avec plus d’humanité.

Chine, et outre les droits de l’homme ?

Enfin, les articles de mon dossier ne s’attachant qu’à la question des droits de l’homme, d’autres données bien différentes sont passées sous silence. Alors que nous observons une énième fois le coronavirus qui reprend de la vigueur en Europe, la Chine semble s’en être débarrassé avec organisation, rigueur et solidarité. Une vraie leçon que même la propagande occidentale n’arrive pas à étouffer.

Je vous invite à lire cet article pour comprendre aussi comment la Chine a doublé l’espérance de vie de sa population et pour comprendre ce qu’est leur couverture santé au regard de celle de la « démocratie » états-unienne. On aurait pu parler d’augmentation du niveau de vie, de prouesses technologiques, d’enseignement, de couverture sociale, de réduction de la pauvreté, de progrès scientifiques et de collaboration entre chercheur.euses chinois.es et à l’international, etc. Nous n’avons abordé que les sujets sur lesquels l’Occident est critique : un cadrage bien particulier qui favorise « l’accusation ».   

Conclusions

Dans mon premier article sur la Chine, j’évoquais le cas d’Étienne Chouard qui déclarait (42’) à propos de doutes éventuels sur les chambres à gaz : « Ce n’est pas mon sujet, je n’y connais rien ». Dans ce débat sur Le Média, on se trouve dans la situation classique où l’interviewé est sommé de condamner une évidence (comme l’explique le Stagirite dans une vidéo à partir de laquelle je construis mon analyse ci-dessous). Il s’agit d’une forme de procédé rhétorique s’apparentant à un empoisonnement du puits où l’on est implicitement accusé avant même d’avoir prononcé un mot.

Dans le cas de la Chine, lorsqu’on me dit : « Condamnes-tu cette dictature ? », je me trouve dans une situation similaire où tout ce que je pourrai répondre sera lu à partir de la perspective de la suspicion originelle. Exit l’explicitation des fausses informations et de la propagande, exit la mise en comparaison avec d’autres pays, exit le contexte géopolitique…seule « l’évidence de la dictature chinoise » devrait suffire et toute parole supplémentaire n’ajoute qu’à la suspicion.

Toutefois, il y a une grande différence entre Chouard qui ne « se prononce pas sur les chambres à gaz » et moi qui questionne « l’évidence criminelle » de la Chine. Personnellement, mes doutes quant aux informations d’Amnesty sur les droits de l’homme en Chine provenaient de connaissances antérieures de situations similaires, considérant qu’à conditions égales, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ainsi, si l’Europe et les USA ont menti sur le Tibet (voir par exemple le site Tibetdoc ou le livre de Maxime Vivas « Pas si zen »), il est possible que les mêmes mentent sur le Xinjiang. Il est alors rationnel, dans un premier temps du moins, de suspendre son jugement.

Cela implique d’ailleurs d’éviter toute expression publique de ce doute tant qu’il n’est pas informé. Et il peut l’être (1) soit en cherchant des preuves existantes – dans un sens ou dans l’autre – (on ne peut pas tout connaître par soi-même et, sur ce point, je renvoie à un article, aussi relayé par le Stagirite, sur la dépendance épistémique) ; (2) soit en faisant soi-même le travail de recherche. En effet, puisque ma position est hétérodoxe, la charge de la preuve me revient. C’est tout à fait normal : quand Einstein a remis en question la physique newtonienne faisant pourtant consensus, on attendait de lui non pas des affirmations en l’air mais bien une rigoureuse démonstration (je ne me compare pas à Einstein, hein ;)).

Je me suis donc saisi de ce devoir de recherche et c’est la raison pour laquelle mon dossier est aussi long… Ces deux démarches, Chouard ne les a pas entreprises : non seulement il a émis des doutes en dépit de travaux solides d’historiens, mais il n’a pas non plus effectué un travail de mise à niveau personnelle – ce qui rend l’expression publique d’une opinion controversée particulièrement insultante pour les victimes et leur descendance.  

Quant à moi, je conclus ici plusieurs mois de travail acharné, à lire des articles, traduire, lire et recouper les sources de ces articles, à remettre en question les « évidences », à remettre en question mes propres parti-pris, à engranger de la connaissance, apprendre, faire preuve d’humilité face à un dossier éminemment complexe. Au final, j’ai accumulé la matière pour un livre entier. Au terme de ce travail, je prends une nouvelle fois conscience de ce que chacun des partis en guerre a intérêt à désigner l’autre comme l’ennemi – comme l’aurait dit Desproges : « L’ennemi est bête, il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui. »

Bien sûr, il est impossible que chacun.e d’entre nous procède à un tel travail de déconstruction. Sommes-nous donc condamné.es à croire de fausses informations ? Je pense en tout cas qu’il est nécessaire de (1) connaître l’histoire et les désinformations du passé ; (2) repérer les mécanismes dans la construction des fausses infos et les intérêts des parties en présence ; (3) suspendre son jugement jusqu’à consultation de preuves explicites, rationnelles et convaincantes ; (4) acquérir des réflexes de critiques des sources.

Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons être mieux armé.es face aux mensonges de demain, qu’ils concernent la Chine ou tout autre pays non aligné sur les intérêts occidentaux.


Je remercie du fond du cœur toutes les personnes qui m’ont aidé dans la constitution de ce dossier : mes ami.es chinois.es en Belgique, des Européen.nes expatrié.es en Chine, mon réseau hyper efficace de militant.es, le travail colossal des vulgarisateurices scientifiques sur Youtube, tou.te.s les auteurices que j’ai pu lire, mon amoureuse qui m’a soutenu au long de ces derniers mois, les personnes qui m’auront fait des feedbacks rigoureux et, bien sûr, les quelques tipeurs qui me soutiennent via un pourboire.

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Il est évident que la Chine. (5)

Je n’avais plus sorti un épisode en bonne et due forme depuis un petit temps mais, cette fois, il s’agit bien du dernier article qui analyse les affirmations d’Amnesty International quant à la situation des droits de l’homme en Chine. La série va donc se conclure la prochaine fois avec une synthèse et une prise de distance critique. Ce ne sera pas de trop car, depuis l’épisode 4, les attaques contre la Chine n’ont cessé de se multiplier tandis que les quelques rares voix invitant, ici en Belgique ou en France, à faire preuve de prudence quant aux infos sur la Chine, se voyaient traitées de complotistes, de soutiens aux dictatures.

Sur les Ouïghours, on a par exemple appris que la Chine pratiquait des stérilisations forcées sur les femmes, volait puis revendait des organes, que le ramadan était interdit, que des mosquées et des tombes étaient détruites. On a aussi appris que TikTok espionne les mineurs d’âge, que la Chine cyberespionne une entreprise belge, que le coronavirus est une arme biologique employée par le parti communiste, que la Chine « interdit la réincarnation » et les films sur les voyages dans le temps (voir l’émission du 11/08 sur La Première RTBF), que la Chine désinforme sur le coronavirus, que la Chine s’ingérerait dans l’élection présidentielle aux USA, que la Chine « impose sa propagande sur les réseaux sociaux », que la répression fait rage à Hong-Kong, qu’on y empêche les Catholiques de prier, que la Chine prend « possession du consulat des USA à Chengdu » (et tant pis si l’info est incroyablement trompeuse, je vous en laisse juge avec la capture d’écran  du Monde du 27/07 ci-dessous lisez le titre…puis le chapeau !).

…on reproche même à la politique de sauvegarde du panda (qui a fonctionné !) de ne pas avoir favorisé d’autres carnivores (comme si je reprochais à mon lave-vaisselle de ne pas avoir eu d’influence positive sur ma machine à laver !)

Tout ça ne semble pourtant pas freiner la Chine qui, entre-temps, a vu Huaweï devenir leader mondial tandis qu’une sonde était lancée vers Mars…

Il y a, parmi toutes les informations contre la Chine, une série qui ont déjà été débunkées. La plupart des fake news parmi ces infos au minimum orientées sont tellement absurdes qu’une recherche rapide permet de se convaincre de leur fausseté…mais mentez, il en restera toujours quelque chose. Dans la plupart des cas par contre, comme elles reposent uniquement sur des témoignages, il est tout simplement impossible d’enquêter au-delà de la confiance que l’on peut accorder à l’un et l’autre des témoins. Pour ma part, je ne ferai pas ce boulot-là, je ne tiens pas à refaire un autre dossier de cinquante pages. Mais je suis sûr que vous aurez acquis les bons réflexes de critique des sources et que vous procéderez aux vérifications requises.

L’immense majorité des allégations proviennent des USA. Toute ressemblance avec une guerre froide est évidemment loin d’être fortuite, comme nous l’avons vu dans les articles précédents et comme nous le verrons encore aujourd’hui.

J’ai eu l’occasion, depuis le dernier épisode, de répondre malgré tout à certaines des accusations contre la Chine, notamment en publiant un article de déconstruction du documentaire produit par Arte « Tous surveillés, 7 milliards de suspects », que vous pouvez lire ici. J’ai également publié une réponse au community manager d’Amnesty qui avait été contacté par une de mes lectrices au sujet de mes articles.

Reprenons maintenant le temps de l’analyse en détails. Nous en étions à l’affirmation suivante :

Demande de la Haute Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies pour un accès total au territoire afin d’enquêter sur le Xinjiang (source)

La source est une déclaration conjointe de 20 organisations. Si elle n’apporte aucune information supplémentaire quant à ce qui est reproché à la Chine, elle nous intéresse surtout pour ses signataires, comme nous le verrons plus bas.

Après avoir balayé d’un revers de main, encore une fois, le problème que représente le terrorisme islamiste dans le Xinjiang, le contenu de la déclaration affirme que « l’objectif apparent » de la « répression radicale » dans cette région est « d’éradiquer l’identité distincte des musulmans et de garantir leur loyauté envers le gouvernement et le Parti communiste chinois ».

Je dresse la liste exhaustive, ci-dessous, de toutes les organisations signataires de ce courrier. Leur analyse, comme vous allez le voir, est éclairante.

  • Amnesty International – ONG qui est le sujet de ces articles, notamment financée par le département d’État des USA, comme démontré dans un article précédent et en dépit de ce qu’elle aime affirmer à l’entame de tous ses dossiers.
  • Chinese Human Rights Defenders – ONG basée à Washington (USA), à la source de l’information non sourcée des « un million de Ouïghours enfermés ».
  • Christian Solidarity Worldwide – ONG notamment basée à Washington (USA), Londres, Bruxelles. Organisation opaque quant à ses financements (on trouve au moins des financements du gouvernement britannique). 
  • Citizen Power Initiatives for China – ONG basée à Washington (USA), anciennement appelée « initiatives for China » et dont les liens avec le département d’État des USA sont explicites ; notamment financée par la NED.
  • Freedom House­ – ONG basée à Washington (USA), financée par le gouvernement des USA, notamment par la NED, mais aussi par USAID et la fondation Soros (Bensaada, 2015).  
  • Human Rights in China – ONG basée à New-York (USA), financée par la NED, la fondation Soros, etc. L’article Wikipedia fournit les sources.
  • Human Rights Watch – ONG basée à New-York (USA), financée entre autres par la fondation Soros ; le département d’État des USA n’est jamais loin non plus, comme le souligne Bensaada (2015).
  • Humanitarian China –  ONG fondée à San Francisco (USA). Vous pouvez vous amuser à retracer ses financements à partir de sa page « sponsors », en passant outre l’opacité des liens morts, des acronymes ne renvoyant à rien, d’une ONG qui se finance elle-même, etc.
  • International Campaign for Tibet – ONG basée à Washington (USA), financée notamment par la fondation Richard Gere et par la NED.
  • International Federation for Human Rights – FIDH  – ONG basée à Paris (France) qui se distingue par son absence totale de transparence quant à ses financements qui incluent des donations de gouvernements, de fondations, d’entreprises privées, etc.  
  • International Service for Human Rights – ONG basée à New-York (USA) financée par énormément de gouvernements du « camp occidental », ainsi que d’autres ONG déjà massivement évoquées ci-dessus, comme la fondation Soros (Open Society Foundations).
  • International Tibet Network – Ce réseau est une fédération de 180 organisations, basée à San Francisco (USA), largement financée par la NED
  • PEN America – ONG basée à New-York (USA) « célébrant la liberté d’expression ». Vous pouvez jeter un œil à la structure de ses financements ici.
  • The Rights Practice – ONG basée à Londres (UK) et financée par la NED, la fondation de Soros, le département d’État des USA et une multitude de gouvernements du « camp occidental ».
  • Safeguard Defenders – ONG « enfant » de China Action, fondée par le Suédois Peter Dahlin et l’États-Unien Michael Caster. Comme souvent pour les organisations européennes (celle-ci étant enregistrée en Espagne), la structure de financements est opaque.
  • Unrepresented Nations and Peoples Organization – ONG basée à Bruxelles, mais notamment financée par les USA. Une enquête plus approfondie serait nécessaire pour comprendre comment elle sert les intérêts des groupes séparatistes. Par exemple, l’East Turkestan (région chinoise) est représenté à l’UNPO par le World Uyghur Congress dont j’ai déjà eu l’occasion de parler et qui est ouvertement séparatiste. L’UNPO est par ailleurs exclusivement financée par ses membres, ce qui veut dire que, dans le cas de cas des Ouïghours, c’est entre autres à nouveau la NED (USA) qui finance l’UNPO. Une recherche similaire pourrait être faite quant à chacun de ses membres et donnerait probablement des résultats similaires.
  • The Uyghur American Association – ONG basée à Washington, notamment financée, encore une fois, par la NED (voir la page 27 de ce document). Elle est également membre du World Uyghur Congress, lui-même membre de l’UNPO citée plus haut. L’enchevêtrement de toutes ces ONG montre l’étendue du réseau d’influence des USA en Chine.
  • Uyghur Entrepreneurs Network – Fédération d’entrepreneurs basée en Virginie (USA). Selon leurs propres mots, ils travaillent en collaboration avec le Uyghur Human Rights Project (voir ci-dessous) et la Uyghur American Association, dont nous avons déjà dit qu’elle était financée par la NED.
  • Uyghur Human Rights Project – est une organisation états-unienne, « enfant » de la Uyghur American Association. Comme les associations précitées, elle est également financée par la NED.
  • World Uyghur Congress­ – Directement liée aux organisations précédentes, l’ONG World Uyghur Congress est une organisation encore une fois abondamment financée par la NED, à hauteur de 1.284.000 $.

Que pouvons-nous en comprendre ?

Sur les 20 associations, 19 peuvent être directement liées aux États-Unis. Seule la FIDH, basée à Paris, ne peut l’être – non parce qu’elle ne recevrait pas de financements états-uniens mais parce qu’on ne peut en apporter la preuve vu son opacité en matière de financements.

Au moins 11 d’entre elles sont financées par la NED (National Endowment for Democracy), qualifiée d’organisme-écran de la CIA par son ancien président Allen Weinstein. Dans une interview de 1991, celui-ci déclarait en effet : « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui était réalisé secrètement il y a 25 ans par la CIA. La plus grande différence est que lorsque de telles activités sont menées ouvertement, l’agitation potentielle est proche de zéro. L’ouverture est sa propre protection. »

Pour rappel, la CIA est l’agence de renseignements des USA, impliquée dans toutes les opérations en territoires étrangers. C’est elle qui fomente les coups d’État, renverse les gouvernements et, pour le dire clairement, assure aux USA de conserver leur hégémonie. Suite à cette enquête, je me permets le raccourci suivant : la CIA se trouve au moins en partie derrière les attaques ciblées contre la Chine. 

Je ne dis pas que tout ce que disent ces organisations est faux, mais qu’elles jouent dans un jeu géopolitique qui n’est pas celui de la défense des droits humains mais bien celui d’une guerre froide sino-US. L’analyse des ONG qui cosignent ici cette déclaration conjointe sur le Xinjiang à la Commission sur les droits humains des nations unies permet de prendre la mesure de la forme concrète que prend l’ingérence états-unienne.

Le fait important n’est pas tant qu’il y ait des ONG US qui dénoncent les exactions en Chine mais qu’elles sont presque exclusivement US et rendent compte des seuls points de vue et intérêts occidentaux. Comme exprimé dans de précédents articles, il est patent de constater l’absence totale de signataires venant de pays musulmans – alors qu’on parle ici des droits de ces derniers en Chine !

D’ailleurs, que penseriez-vous si la Chine était à la source de tous les financements séparatistes et critiques aux USA ? Si la Chine arrosait de yuans les organisations des communautés autochtones, les associations latinos ou afro-américaines ? Comment le comprendriez-vous ?

Le manque d’information et la discrimination pousse les personnes transgenres à se tourner vers des traitements non encadrés et dangereux (source)

Comme dans de très nombreux pays sur la planète, il y a certainement beaucoup à faire pour l’écoute, la prise en charge et le suivi des personnes transgenres en Chine. Mais que dit Amnesty exactement ? Quelle serait la responsabilité de l’État chinois ? À quel point les discriminations sont-elles institutionnalisées ?

Lorsqu’on lit le dossier d’Amnesty, on apprend qu’il y a « trois obstacles principaux » pour « accéder aux soins » : 1) Un manque d’information ; 2) des conditions strictes pour accéder au traitement ; 3) de la stigmatisation et de la discrimination, en particulier des membres de la famille. À noter que les résultats auxquels arrive Amnesty se basent sur des recherches quantitatives existantes (notamment provenant de l’université de Pékin, just saying) et sur 15 témoignages (on n’est pas fan-fan des questions de représentativité et de saturation des données chez Amnesty !).

Affirmer qu’il y a une intention malveillante derrière le manque d’information semble difficile, bien qu’il faille évidemment encourager la Chine à s’améliorer. De la même façon, le caractère conservateur de la société chinoise (s’il est avéré – souvenons-nous du plébiscite populaire vis-à-vis du mariage pour tous) peut difficilement être seulement imputable au gouvernement.

Qu’en est-il maintenant des conditions d’accès aux soins ? Notons d’abord que, pour un pays qui pèche à informer, stigmatiserait et discriminerait, il existe tout de même des lignes de conduite officielles sous forme de « normes de gestion des procédures de réaffectation sexuelle », à destination des services de soins de santé. Quels sont donc les critères pour accéder aux traitements, notamment chirurgicaux ?

  1. Il faut d’abord avoir été diagnostiqué de « transsexualisme », encore classé comme maladie mentale dans la 3ème édition du CMD (Chinese classification of Mental Disorders). À savoir que l’OMS a retiré le transsexualisme des maladies mentales seulement en 2019, année de référence pour notre analyse d’Amnesty.
  2. La personne ne peut être mariée.
  3. Il faut avoir atteint l’âge de 20 ans – ce qui ne semble pas choquant vu l’importance de la décision à prendre.
  4. Il faut être dans état de santé permettant l’intervention chirurgicale.
  5. Le casier judiciaire doit être vierge (pour éviter que des criminels se soustraient à la justice grâce à un changement d’identité ?)
  6. Il faut avoir signifié sa volonté de subir une intervention depuis au moins cinq ans – pour faire la preuve d’une décision mature.
  7. Il faut le consentement de la famille, indépendamment de l’âge.
  8. La psychiatrie et la psychologie, pendant une période minimale d’un an, n’auront pu suffire.

Je suis loin d’être un spécialiste de la question mais je me demande toutefois lesquels de ces critères poseraient véritablement un problème en matière de droits de l’homme.

Le point 7 mériterait sans doute d’être débattu. Pourtant, le rôle de la famille est éminemment important quant à la transidentité, quelle que soit l’origine de la personne transgenre, notamment lorsque qu’une opération se révèle être finalement une solution insatisfaisante (avec parfois une volonté de détransitionner). Les cas sont complexes, souvent singuliers – voir par exemple le compte Instagram @post-trans. Enfin, ce point est à contextualiser dans une société où le collectif prime sur l’individu, ce qui peut nous déplaire « culturellement », mais ne saurait être vu comme une atteinte aux droits de l’homme.   

Ainsi, il me semble parfaitement malhonnête de sous-entendre que l’État chinois « pousserait » les personnes transgenres à adopter des traitements dangereux. Amnesty, d’une certaine façon, instrumentalise politiquement une problématique sociale complexe, douloureuse, certainement pas triviale mais dont il appartient à la société civile chinoise, dans le cadre des débats existants et à venir, de faire évoluer le cadre légal.

Chen Jianfang, une femme œuvrant en faveur des droits civils et politiques, a été officiellement arrêtée en juin pour « incitation à la subversion de l’État » (source)

Chen Jianfang a semble-t-il été arrêtée suite à la publication en ligne, le 14 mars 2019, d’un article commémorant la mort par pneumonie de son amie militante Cao Shunli cinq ans plus tôt – suite à plusieurs mois de détention (sans que le rapport de cause à effet ne soit avéré). Je n’ai pas trouvé copie de ladite lettre, ce qui rend difficile toute investigation ultérieure sur ce cas précis.

Toutefois, les revendications de Chen Jianfang méritent qu’on s’y arrête un instant. Selon Amnesty, sa carrière militante a commencé en 2000, à la suite de la « confiscation de terres arables de son village à des fins de réaménagement ». Un article passionnant de He Bochuan, à remettre dans son contexte de 2007, revient sur les crises agraires en Chine. En 1932, la réforme agraire avait fait la renommée du parti communiste chinois, mais la réquisition des terres à des fins de profit immobilier depuis plusieurs décennies maintenant (jusque 2008 en tout cas) a clairement été à l’encontre du projet socialiste. Ce sujet a mis particulièrement mal à l’aise les autorités chinoises, conscientes du problème énorme que représentait la diminution des terres arables tout en ayant peu de pouvoir sur les autorités locales qui bénéficiaient directement des transactions. Des audits menés entre 2009 et 2010 ont montré le caractère illégal (voir la loi ici et surtout ici) de nombreuses réquisitions. 

Notons qu’en février 2019 justement, soit quelques jours avant l’arrestation de Chen Jianfang (qui entre-temps avait « étendu » son répertoire de revendications, il ne faut pas y voir de lien), les autorités chinoises ont communiqué une « ligne rouge » quant au minimum de terres cultivables en-dessous desquelles la Chine ne pouvait se permettre de descendre sous peine d’être dans l’incapacité de nourrir sa population. Un article de CGTN (proche du gouvernement) revient sur cette politique ainsi que sur des éléments historiques déjà évoqués dans l’article de Bochuan ci-dessus.

Arrestation des journalistes Wei Zhili, Ke Changbing et Yang Zhengjun (source)

La source évoque seulement les deux premiers journalistes, Wei Zhili et Ke Changbing, lesquels étaient rédacteurs de « Nouvelle Génération », une plateforme d’information sur le droit du travail, spécifiquement à destination des travailleurs migrants.

Je n’ai pas réussi à recouper l’information via des canaux officiels. Rien sur China Daily ou sur CGTN. Comme pour d’autres informations défavorables à la Chine, le South China Morning Post s’en fait l’écho. Cet article, coécrit par un journaliste américain, Keegan Elmer, et une journaliste chinoise, Guo Rui, donne une série d’informations très intéressantes quant aux associations et acteurs de terrain donnant des armes aux travailleurs pour faire valoir leurs droits.

Il semble que la Chine pratique ici une politique de censure et de répression d’autant plus honteuse que le propos même d’une société supposément dirigée par et au service du peuple (tel que le déclare sa constitution) est censée lui donner le pouvoir ! Comme le rappelle les magnifiques films de Jean-Michel Carré (qui donnent la parole exclusivement à des Chinois – dont beaucoup sont critiques), il y a là un véritable défi pour les autorités chinoises qui font ici la démonstration d’une grande incohérence entre leur objectif politique et les actions posées.

Toutefois, des événements récents sont ici à prendre en considération concernant les droits et la protection des travailleurs. Par exemple, le CLEISS (Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale –  organe public et officiel français) rapporte les éléments suivants pour 2020 en ce qui concerne la Chine :

  • Tous les hôpitaux devront devenir des structures à buts non lucratifs (une consultation d’un généraliste est au minimum 20 fois moins chère dans le public que le privé – 15 CNY contre minimum 300 CNY)
  • La New old-age insurance (système de pensions) visera l’ensemble de la communauté rurale – la communauté urbaine bénéficiant déjà d’un système semblable
  • Une couverture santé universelle couvrira l’ensemble de la population

Trois employés d’une ONG, Cheng Yuan, Liu Yongze et Wu Gejianxiong, détenus au secret pour subversion (source)

Pourquoi des employés d’une ONG non politique (s’occupant essentiellement de discriminations envers les personnes atteintes du VIH ou de l’hépatite B) sont-ils arrêtés ?

L’affaire ne fait aucun sens a priori mais bien plus quand on creuse un peu. Il semblerait en fait que la Chine ait craint – et comment ici la blâmer, au vu de l’implication des ONG US vue ci-dessus ? – que leur ONG, Changsha Funeng, ne serve d’énième cheval de Troie pour une ingérence extérieure. En effet, selon The Guardian, s’appuyant sur les propos de Yang Zhanqing co-fondateur de cette ONG et aujourd’hui résidant aux USA, Cheng Yuan, Liu Yongze et Wu Gejianxiong avaient monté une organisation à Hong-Kong via laquelle ils recevaient des fonds étrangers.

Encore une fois : être financé par les ennemis de votre gouvernement n’est pas de nature à lui inspirer les meilleurs sentiments à votre égard – quel que soit d’ailleurs le pays concerné. Il ne faut en effet pas oublier qu’en situation de guerre (même froide, c’est-à-dire évitant les affrontements directs), la politique en est nécessairement modifiée. Par exemple, impliqué dans un conflit, un pays ne pourra faire autrement qu’user de la propagande de guerre. Aux innombrables fake news occidentales sur la Chine, cette dernière répond par la censure, une limitation de la liberté d’expression, une attention aigüe aux financements extérieurs. 

L’épouse d’un avocat défenseur des droits humains, Wang Quanzhang, a affirmé avoir eu des difficultés à trouver un logement à cause de pressions des autorités sur les propriétaires (source)

Wang Quanzhang avait été condamné à 4 ans et demi de prison pour subversion de l’État en janvier 2019. Il était accusé de plusieurs éléments qu’il a niés (et, bien entendu, nous sommes dans l’incapacité de refaire le jugement…). Outre des actes de rébellion contre la police, on note – avec un sentiment de déjà-vu – le fait qu’il aurait monté une organisation hors du territoire chinois pour solliciter des financements étrangers.

Il a été libéré en avril 2020, soit après avoir purgé le quart de sa peine, et a été placé en quarantaine étant donné la crise du coronavirus. Cet article de la BBC fait état de craintes quant à une quarantaine qui serait une « excuse » pour le garder encore prisonnier et l’empêcher de retrouver sa famille, évoque de possibles mauvais traitements en prison, etc. Pourtant, un article de La Croix, datant d’à peine quelques jours plus tard, annonce que l’avocat a bel et bien pu retrouver sa famille le 27 avril, soit après les deux semaines de quarantaine. Plus question ici de mauvais traitements, de torture ou qu’il serait « gravement blessé ». L’avantage de telles insinuations, c’est que le cerveau des lecteurs oublie qu’elles ne sont que des suppositions, non pas des affirmations, et qu’il sera encore temps, plus tard, de ne pas avoir à revenir dessus.

Ce qui est sûr, c’est que sa précédente arrestation ne lui a pas ôté sa motivation militante puisque ce 10 juillet 2020, Wang Quanzhang publiait une pétition cherchant à faire annuler (overturn) le verdict de subversion de l’État suivant lequel il avait été condamné… Il a également intenté des poursuites contre les policiers et les fonctionnaires du tribunal qui ont traité son affaire.

Données contradictoires

Terminons, enfin, notre analyse de l’article d’Amnesty International en pointant quelques contradictions qui s’y trouvent.

Par exemple, on y dit que la peine de mort est « très fréquente » mais que les informations qui y sont relatives sont « classées secret d’État ». Sans statistiques officielles (et sans statistiques tout court), comment est-il possible de faire une telle affirmation ? C’est impossible, tout simplement. Ça ne veut pas dire que la peine de mort n’y serait pas pratiquée massivement, ça veut juste dire qu’une fois encore, Amnesty affirme sans preuves, sur base de suppositions. Même Wikipedia reprend les affirmations d’Amnesty…faites au doigt mouillé.

Amnesty avance également le nombre de « 20 nouveaux cas de disparitions forcées », pour lesquels elle a fait une demande d’informations via le Groupe de travail des Nations unies ad hoc. Or comment est-il possible d’affirmer qu’une disparition est « forcée » si la personne n’a pas encore réapparu pour pouvoir le confirmer ? On me dira que j’exagère, qu’il est « évident » que lorsqu’il s’agit de défenseurs des droits de l’homme, les disparitions sont politiques. Ce serait en effet logique mais mon problème est, encore une fois, qu’Amnesty ne s’embarrasse d’aucune forme de précaution, d’aucune forme de conditionnel. Elle affirme sans être sûre, alors qu’elle est si puissante que c’est elle qui informe gouvernements et organes de presse. Et l’enjeu n’est pas  mince étant donné la quantité de fake news sur la Chine dont Amnesty elle-même s’est fait la messagère.

Dans ce 5ème et dernier épisode sur le contenu de l’article d’Amnesty International sur les droits de l’homme en Chine, qu’avons-nous appris ?

1) Sur les 20 ONG co-signataires d’une demande d’enquête dans le Xinjiang, on peut apporter la preuve que 19 sont financées par les USA ; surtout la NED, paravent de la CIA. Amnesty se garde bien d’être explicite à ce propos.

2) Les « preuves » que la Chine institutionnalise la discrimination envers les personnes transgenres ne résistent pas à l’analyse. Amnesty ment lorsqu’elle affirme que les « discrimination et la réprobation sociales » envers les LGBTI sont « généralisées ».

3) La militante Chen Jianfang a été arrêtée ; son cas permet de revenir sur l’histoire difficile des réformes agraires en Chine depuis 1932 et du détournement des idées progressistes communistes initiales.

4) La Chine réprime les acteurs de terrain qui font un travail d’information sur le droit des travailleurs – ce qui contrevient frontalement à l’idéal chinois d’un gouvernement pour et par le peuple ; la couverture sociale sera toutefois en 2020 étendue aux classes rurales.

5) L’arrestation de membres d’une ONG « non politique » s’explique par le fait qu’ils recevaient des fonds de l’étranger, ce qu’Amnesty ne dit pas.

6) Wang Quanzhan a, entre autres, été condamné au motif (que l’intéressé nie) d’avoir sollicité des fonds de l’étranger, ce qu’Amnesty ne dit pas non plus. Il est sorti de prison après avoir purgé un quart de sa peine, sans que les médias ne relèvent de mauvais traitements

7) Plusieurs informations contradictoires illustrent en outre le manque de rigueur d’Amnesty qui n’hésite pas à affirmer ce qu’elle peut tout au plus supposer.

Dans le dernier article de notre série sur la Chine, nous conclurons ce dossier. Ce sera non seulement l’occasion de faire la synthèse de ce que nous aurons appris en soulignant ce qu’il est possible de reprocher à la Chine de façon certaine et en mettant en évidence ce qu’Amnesty affirme sans preuves, ses demi-vérités et ses mensonges. Nous replacerons enfin tous ces éléments dans le contexte d’une géopolitique globale, notamment face aux États-Unis. 

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