Analyses

J’ai lu « Rescapée du goulag chinois » (1/5)

Partie 1 « Un étrange rapport à la vérité »

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Gulbahar Haitiwaji publie, avec Rozenn Morgat, un livre qui fait beaucoup de bruit : « Rescapée du goulag chinois ». Tous les médias en ont parlé. Il semble que nous tenions là un témoignage indiscutable sur la répression et le caractère criminel de l’État chinois, dans le Xinjiang en général, sur les Ouïghours en particulier.

Ne nous trompons pas : prendre la plume, en Belgique, pour mettre en question un tel témoignage est extrêmement difficile. D’abord, en creux, parce qu’en répétant ce que tout le monde dit, les journalistes des médias traditionnels se retrouvent nécessairement du bon côté de l’histoire. Au pire se trompent-ils et on s’en rend compte après, quand l’affaire est passée, quand ça n’a plus d’importance. Comme par exemple lorsque la Cour européenne des droits de l’homme abandonnait le 17 décembre 2020 les poursuites pour « génocide » contre la Chine au Tibet. Bizarrement, cette décision n’a pas fait la une chez nous. De la même façon, avoir répété à l’envi le mensonge des armes de destruction massive n’a pas entaché la crédibilité des médias mainstream (ou bien si, mais ça ne semble pas avoir remis en question l’institution journalistique) et il en va de même pour la longue liste de « fake news » (dont certains dénoncés par mes soins, voir ici, ici ou ). Ainsi, on peut se protéger derrière l’idée qu’on ne pouvait pas savoir, que tout le monde disait pareil.

Par ailleurs, la Chine n’est assurément pas exempte de tout reproche. Je condamne fermement différentes pratiques de la Chine : je suis profondément opposé à la peine de mort ; prônant des valeurs de justice sociale, je trouve inacceptable l’accroissement des inégalités au profit de cadres du Parti communiste et d’une poignée d’industriels – même dans un contexte où la pauvreté diminue et où les investissements publics demeurent colossaux. Ces inégalités ne sont pas différentes par nature de ce que le capitalisme fait lorsqu’il détourne le travail de la collectivité au profit de la propriété lucrative ; j’ai aussi eu l’occasion de dénoncer la répression des libertés syndicales et les conflits d’intérêts des autorités locales vis-à-vis de l’investissement privé ; si je comprends la lutte contre la propagande de guerre, je n’en justifie pas pour autant la censure et la répression de la liberté d’expression ; la Chine doit également agir contre les expropriations des paysans de leurs terres au détriment de l’autonomie alimentaire et au profit de mégaprojets immobiliers ; enfin, je ne connais pas suffisamment les détails des partenariats commerciaux liés aux Nouvelles Routes de la Soie et n’écarte pas la possibilité qu’il y ait là un risque de néocolonialisme.

Que la plupart de ces éléments puissent s’appliquer à nos pays occidentaux n’y change rien. Certes les USA pratiquent la peine de mort, certes chaque rapport annuel d’Oxfam montre combien nos sociétés occidentales sont inégalitaires, certes les élites syndicales sont bien trop souvent coupées de leur base militante, certes j’ai l’expérience moi-même de pressions quant à ma liberté d’expression, certes nos pays dépendent largement de l’étranger pour assurer leur sécurité alimentaire et certes nous pratiquons encore massivement le néocolonialisme. Cela n’y change rien : il FAUT condamner ce qui doit l’être en Chine et il n’y a AUCUN compromis sur ce point. Il faut le faire mais pas en sacrifiant d’un même geste la vérité. 

Pourtant, mettre en question une version officielle comme le « génocide » des Ouïghours est une mise en vulnérabilité évidente. Si je me trompe, c’est la catastrophe car je parais alors défendre l’indéfendable. Je défends les crimes abjects. Je défends la violence de la dictature. Il est moins risqué d’aller dans le sens (de) qui domine et c’est probablement un moteur très puissant qui empêche beaucoup de journalistes mainstream d’investiguer.

Depuis que j’ai commencé à écrire sur la Chine, je n’ai pas reçu une seule demande de droit de réponse. Mes contradicteurices jusqu’ici refusent le débat, font pression en s’adressant à mes proches, tentent de me mettre professionnellement en difficulté. Entre-temps, mon travail a pris de l’ampleur, inexorablement. Mon interview par Michel Collon à propos de la couverture d’Amnesty International sur la Chine a par exemple atteint plus de 15000 vues en deux semaines. Le directeur d’Amnesty International Belgique, lui, n’a pas souhaité débattre avec moi sur les Ouïghours. Amnesty a botté en touche, d’autres – que je ne citerai pas pour ne pas compromettre mes sources – également. On m’a dit plusieurs fois, en substance : « Je pourrais répondre point par point mais je ne le ferai pas, je pourrais attaquer en diffamation mais je ne le ferai pas non plus ».

Pourquoi ?

Comme je le disais tant à propos d’Amnesty que sur le docu d’Arte « 7 milliards de suspects », pourtant réalisé par le lauréat 2020 du prix Albert Londres, Sylvain Louvet, si ce que je dis est faux, n’y a-t-il pas un intérêt démocratique évident à rétablir la vérité?

Pourquoi je ne donne pas la parole aux autrices du livre ?   J’ai en fait demandé un entretien avec Rozenn Morgat le 20 janvier 2021 via le contact presse de son éditeur. Ce mail est resté sans réponse. Simultanément, j’ai contacté directement Mme Morgat par Messenger. Elle m’a répondu un mois plus tard en me renvoyant vers son éditeur. J’ai donc recontacté l’attachée de presse, j’ai laissé un message resté lui aussi sans réponse. J’ai rappelé début mars, en vain, puis à la mi-mars où, ayant enfin l’attachée de presse au téléphone, celle-ci m’a demandé de renvoyer un énième mail en précisant la demande. Mail qui, lui aussi, est resté lettre morte. Là, j’en ai ras-le-bol d’être trimballé d’un côté à l’autre.

Je porte au plus haut cette valeur de vérité. C’est à ce titre que j’écris. Mais je sais combien cette dernière est difficile à tenir, combien la vérité est aussi dépendante de la perspective. Cela implique également que je m’engage à publier tout droit de réponse, et à modifier toute information dont il serait démontré qu’elle est fausse. J’appelle ainsi les personnes que je mets en cause et qui ont laissé sans réponse mes demandes d’entretien en amont (voir encadré), à se faire connaître si elles voulaient donner quelques éclaircissements quant à ce qui va suivre.

Tout le problème des témoignages

Cette introduction un peu longue doit maintenant faire place à une plongée dans le livre de Rozenn Morgat et Gulbahar Haïtiwaji. Dans ce livre-témoignage, Mme Haïtiwaji explique comment elle a été attirée au Xinjiang, sous un prétexte administratif fallacieux, pour être ensuite enfermée dans le camp de rééducation de Baijiantan. Un voyage qui, plutôt que quelques jours, aura duré du 25 novembre 2016 au 21 août 2019. Elle y livre le récit de nombreuses violences, le quotidien du « lavage de cerveau » dont elle aurait été la victime et comment ce quotidien s’inscrit dans un contexte religieux, politique et économique singulier propre au Xinjiang.

J’ai déjà eu l’occasion dans des articles précédents de décrire les problèmes des témoignages. Toute leur faiblesse réside dans le fait qu’ils exigent de celleux qui en prennent connaissance de croire sur parole les témoins. C’est d’ailleurs aussi ce qui rend difficile les contre-interprétations. Je pourrais tout aussi bien relayer les réponses de l’État chinois quant aux accusations dont on l’accable. Parole contre parole…mais on ne serait pas fort avancé.

Ainsi, comme je l’ai fait précédemment, je ne m’appuierai que sur les paroles de Mme Haïtiwaji, essentiellement pour évaluer le niveau de crédibilité de son récit en analysant sa cohérence interne et, le cas échéant, ses contradictions. Bien entendu, il ne s’agit pas d’affirmer qu’un témoignage doit, pour être cru, ne contenir aucune incohérence. Notre mémoire nécessairement transforme, occulte, oublie, se trompe. Toutefois, il arrive que l’ampleur des incohérences soit telle qu’il devient impossible d’accorder quoi que ce soit comme crédit au témoin. Et c’est bien ce sentiment qui m’habite aujourd’hui, après lecture et analyse attentives du livre « Rescapée du goulag chinois ».

La vérité, quelle vérité?

Il arrive donc que la mémoire se trompe mais, ce qui étonnera les lecteurices de Mme Haïtiwaji est le rapport quelque peu « surprenant » qu’elle entretient avec la vérité et le mensonge. Bien sûr, il y a d’abord tous les mensonges dont elle dit qu’on les lui a extorqués (p.45, p.113, p.174, p.176-177, p.212). Notamment de faux aveux filmés (on aimerait voir la vidéo puisqu’elle dit que la vidéo aura été diffusée sur les réseaux), ou lorsqu’elle prendra la parole dans le camp pour une fête en l’honneur de Xi Jinping.

Outre ces mensonges contraints, elle relate surtout un nombre impressionnant de mensonges volontaires (p.65, p.100, p.101, p.104, p.108, p.118, p.148, p.204, p.220, p.230, etc.). Par exemple, elle explique avoir régulièrement menti aux autorités du camp sur ce qu’elle pensait, elle dit avoir menti sur ses conditions de détention à sa famille lorsque cette dernière lui rendait visite ou lorsqu’elle les entendait au téléphone ; elle affirme que les Ouïghours avaient pris l’habitude de mentir « bien avant les camps » pour se « protéger » (p.101), que « chacun s’enfonçait dans une succession de petits mensonges » (p.211) et que le temps lui apprenait à « considérer ce désagrément comme un détail » (p.212).

À côté de ces « mensonges volontaires », dont certains seraient cohérents dans l’optique d’éviter des brimades dans le camp, il y a, dans le livre, une série de mensonges patents et qu’une lecture attentive permet de mettre à jour. Par exemple, elle évoque « ces cuisiniers sourds-muets » dont elle dit qu’ils ont été « sélectionnés pour leur handicap afin de ne pas révéler ce qui se passe dans les camps » (p.61). Comme si des sourds-muets étaient incapables de communiquer par langue des signes, comme s’ils ne pouvaient pas écrire, prendre des photos, enregistrer, etc. C’est immensément stupide.

Elle dit avoir été punie sans savoir pourquoi (p.61)…mais en explique la raison quelques pages plus loin (p.63-65) ; elle dit qu’il n’y a que « de vieilles femmes tremblantes et des adolescentes au bord des larmes » dans le camp (p.90) tout en évoquant régulièrement d’autres détenues dont on comprend qu’elles sont de la génération de Mme Haïtiwaji (comme Almira, p.165). Elle craint avoir « déshonoré Rebiya Kadeer » (p.178), présidente du World Uyghur Congress, une organisation séparatiste abondamment financée par la NED (États-Unis), alors qu’elle affirme à plusieurs endroits n’avoir aucun lien avec la politique. Elle dit qu’on l’obligeait à mentir effrontément (p.212) pour ensuite se contredire en expliquant qu’on n’avait « même pas eu besoin de lui […] faire la recommandation [de mentir] ». Elle évoque « ses frères » pour la première fois à la fin du livre (p.224) lesquels sont pourtant absents de sa généalogie reproduite au début de l’ouvrage (p.11), etc.

Sur le plan de la santé, les détenues sont obligées de poursuivre leur traitement médical si elles en suivent un (p.60). Pourtant, Gulbahar évoque plusieurs éléments inquiétants qui, de l’avis d’un médecin que j’ai pu consulter, ne sont pas en eux-mêmes impossibles mais qui le deviennent dans le contexte décrit dans le livre. Par exemple, l’idée selon laquelle ses « os du tibia s’atrophi[ai]ent » (p.226) par le fait d’être enchaînée ne veut pas dire grand-chose d’un point de vue médical. Tout au plus peut-elle évoquer une déminéralisation osseuse à cause de l’immobilité mais il semble difficile de croire qu’elle peut apparaître en « quelques jours ou quelques semaines » – dans une formulation floue bien pratique puisqu’elle laisse le soin aux lecteurices d’en évaluer la vraisemblance (p.226 – il s’agit en fait de vingt jours si on en croit ce qu’elle dit p.16).

Elle dit encore avoir été si maigre que « [s]es deux index et [s]es deux pouces se touch[ai]ent quand [elle] serr[ait] les mains autour de [s]a taille » (p.61) – une horrible prouesse peu crédible car elle signifierait une morphologie très spécifique doublée d’un état de dénutrition extrême incohérent avec le récit qu’elle fait de leurs repas. En effet, elle explique que « si on refuse un plat, ils […] ordonnent de le terminer […] » (p.83). Du camp, elle dira un peu plus loin (p.107) : « Nous ne sommes pas sous-alimentées, bien au contraire ». Malgré tout, elle décide que de « cette sale nourriture dont on remplit [leurs] gamelles », elle « n’y touche[ra] quasiment plus » (p.137). Comme on dit à Bruxelles, c’est salade tout. Gulbahar Haïtiwaji dit une chose et son contraire ; vous trouverez à tous les coups une parole qui sert votre propos du moment. Vous voulez prouver qu’elle était affamée ? Tour de taille ! Qu’elle était gavée ? Obligée de finir son repas ! Que la nourriture était infâme (on y reviendra) ? Y’a pas d’assiettes mais des gamelles !

Elle dira d’ailleurs qu’elle trouvera, un mois et demi plus tard, une « certaine allure à la finesse de [ses] poignets et chevilles, au galbe des fesses et à la chair tendue autour du nombril », tout en se demandant si « une prisonnière traumatisée et exsangue ne devrait […] pas ressentir du dégoût ou de la haine pour son corps? » (p.75). Galbe des fesses ou état squelettique ? Est-ce compatible ? Peut-on passer si vite de l’un à l’autre ?

Bref, avec tous ces éléments rassemblés, que penser lorsqu’elle affirme (p.191) que « rien de ce [qu’elle a] vécu n’est la manifestation d’un fantasme morbide de prisonnière qui exagère sa condition » ?

On pourrait également lister l’ensemble de ses mensonges par omission : par exemple, elle ne parle pas des 254 attaques terroristes islamistes depuis 1990 qui ont ensanglanté le Xinjiang (et hors de celui-ci). Tout au plus évoque-t-elle le déchaînement de violences lors des « émeutes d’Ürümqi » en 2009 (p.40), ce qui lui permet de mieux passer sous silence des décennies de terrorisme meurtrier et récurrent. Elle ne dit pas que son mari était vice-président de l’association des Ouïghours de France, la branche française du World Uyghur Congress dont les autorités chinoises affirment qu’il aurait orchestré les attaques de 2009. Elle cache le fait que ce même WUC est une organisation séparatiste qui ne décrit même pas le Xinjiang comme une province chinoise mais comme le « Turkestan oriental ». Elle ne dit pas un mot non plus des Hui, une autre ethnie chinoise de confession musulmane qui, elle, n’a aucun problème en Chine alors qu’elle affirme par ailleurs que c’est leur religion qui pose problème.

Elle dit avoir « honte » de tous les mensonges proférés (p.176). Elle a tant menti qu’elle se décrit comme une « bonne comédienne » (p.231) et dit avoir été précipitée « dans une série de mensonges dont [elle] ne pouvai[t] plus [s]’extirper » (p.218). Elle dit enfin avoir réfléchi à ce qu’il « faudrait dire et ce qu’il faudrait taire » (p.235) une fois rentrée en France – ce qui indique, par l’absurde, que ce livre est le résultat de ces choix.

Comme énoncé plus haut, un simple témoignage suppose déjà une malheureuse fragilité épistémique. Mais que faire lorsque la personne témoin, de son propre aveu, se dit exceller dans la pratique du mensonge? Faut-il la croire lorsqu’elle dit mentir avec brio ? Faut-il la croire parce qu’elle nous dit que cette fois elle ne ment pas ? Quelles bonnes raisons de la croire avons-nous si ce n’est le confort de recevoir là une narration venant renforcer des croyances déjà installées ? C’est à cette contradiction, digne du paradoxe du menteur, que nous confronte Gulbahar Haitiwaji.

Paru dans le New-York Times, le 22 février 2014

Il se trouve par ailleurs que tronquer la vérité pour servir ses intérêts n’est pas une exception en ce qui concerne les Chinois émigrés. Dans un article de 2014, le New-York Times parlait même « d’industrie du mensonge », racontant comment de fausses accusations de mauvais traitements pouvaient aider leur dossier. « Mentez, il en restera toujours quelques chose ».

Une invraisemblable quantité de suppositions

Dans l’arsenal rhétorique visant à accréditer la thèse selon laquelle violences, torture et mauvais traitements auraient été le quotidien de Mme Haïtiwaji et de ses codétenues, les suppositions tiennent une part importante.

J’entends par suppositions des affirmations qui se caractérisent par le fait de n’être soutenues par aucune preuve. J’exclus également de cette catégorie les faits dont Mme Haïtiwaji dit avoir été témoin et dont nous traiterons plus bas. Souvent, elle utilise le futur simple, elle énonce donc des faits qui, d’après elle, « se produiront », ou le conditionnel, elle énonce donc des faits qui, d’après elle, « se produiraient ». Sur l’ensemble du livre, j’ai comptabilisé pas moins de 97 occurrences d’affirmations de ce type, sur 245 pages.

Le thème de la mort (que Mme Haïtiwaji l’évoque pour elle-même, pour ses codétenues dans les camps ou pour l’ensemble du peuple ouïghour) y est récurrent et donne, tout au long de la lecture, une impression très pénible de violence extrême (p.7, p.13 par deux fois, p.15, p.16, p.31, p.41, p.63, p.80, p.88, p.89, p.115, p.120 par deux fois, p.122, p.125, p.133, p.135, p.137 p.139 par deux fois, p.143, p.159, p.161, p.163, p.164, p.174, p.189 par deux fois, p.190 par deux fois, p.191, p.193, p.197, p.231, p.241, p.245).

Par exemple, dès la page 13, on lit : « Après avoir longtemps cru qu’elle serait exécutée, la certitude qu’elle mourrait dans un goulag du Xinjiang l’a alors envahie » et page 143 : « J’allais mourir dans un camp, c’était certain ». Ces phrases sont caractéristiques de ces suppositions, elles portent sur l’avenir (elles sont donc par nature incertaines) et sur la mort. Elles sont par ailleurs infirmées par les faits. Mais faire se fréquenter le terme de « certitude » avec une construction au conditionnel, au-delà de la contradiction évidente, offre une solide force performative.

Le même phénomène, répété presque une page sur deux, est ainsi formidablement efficace : « on la fusillerait au milieu du désert enneigé » (p.16 et p.160 – apparemment ce n’est pas arrivé), « rien n’est plus simple que d’organiser la disparition d’un dissident puis d’enterrer son corps au milieu de nulle part » (p.31 – aucune preuve de telles choses), « […] qu’on ait jeté mon corps dans une fosse commune avec d’autre ouïghours » (p.193 – elle ne serait pas là pour en parler), « personne ne réchappe de ces camps » (p.243 – dixit la personne qui en a réchappé), etc.

Que ces suppositions soient, soit invalidées (pour la majorité), soit non démontrées, ne semble pas préoccuper Gulbahar Haïtiwaji ou Rozenn Morgat. « Mentez, il en restera toujours quelque chose ».

Outre la mort, il est impossible d’analyser ici tous les thèmes abordés dans ces suppositions mais il y en a un en particulier qui mérite notre attention et que nous analyserons de près dans le second volet de ce grand dossier : les stérilisations forcées.

Une erreur dans ce dossier ? Laissez-moi un commentaire argumenté et je modifierai en conséquence.
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Analyses

Les mensonges d’Amnesty International sur la Chine

L’article qui suit conclut un important dossier que j’ai consacré ces derniers mois à la situation des droits de l’homme en Chine. Après un bref aperçu de ce qui se dit sur la Chine dans l’actualité récente, je résume les découvertes que j’ai pu faire sur les affirmations d’Amnesty International. Je reviens ensuite plus en détails sur le rôle particulier des ONG dans la propagande occidentale, puis sur les droits des travailleurs en Chine. Avant de conclure, j’évoque quelques éléments de comparaison entre la Chine et les pays occidentaux.

Masques produits sous la contrainte, esclavage et travail forcé dans les champs de coton : voilà les dernières nouvelles de la Chine si l’on en croit nos médias occidentaux. Des informations qui risquent bien de se retrouver dans le prochain rapport que rédigera Amnesty International sur la situation des droits de l’homme en Chine, comme ça a été le cas concernant le « million de Ouïghour.es » enfermé.es dans des camps où seraient pratiqués « mauvais traitements » et « lavage de cerveaux ».

À la source de cette info ? Un certain Adrian Zenz que les médias mainstream continuent de présenter comme un expert du Xinjiang mais qui est surtout un évangéliste allemand anticommuniste (voir note 2), travaillant depuis les États-Unis, et dont toutes les « analyses » sont reprises sans jamais qu’en soient critiquées les sources.

Vous pouvez lire le rapport de Zenz sur « l’esclavage dans les champs de coton » et vous essayer à la déconstruction, c’est édifiant. On y retrouve des liens, des liens et encore des liens qui…ne prouvent rien du tout. Parfois Zenz fait tout simplement mentir les articles qu’il cite. Parfois il procède à de manifestes surinterprétations. Parfois il cite ses amis qui le citent en retour. J’en veux pour preuve ce document « remarquable » (selon ses propres mots), document dont il ne donne que les premières pages, allez savoir pourquoi, et censé présenter « la preuve la plus forte que Beijing persécute activement et punit les pratiques normales des croyances religieuses traditionnelles » (sic) dans les fameux centres de rééducation du Xinjiang.

Vraiment ? Lisez-le et faites-vous votre propre opinion, en gardant en tête de surcroît que ce document est censé être la meilleure preuve que l’Occident détient contre la Chine.

Un temps de retard sur la propagande

Débunker la propagande antichinoise prend énormément de temps. Déconstruire point par point nous force à être toujours en retard. La guerre de l’information est une guerre qui se joue par asphyxie : il est beaucoup plus simple, rapide et efficace d’étouffer la contradiction en produisant des faux en série que ne l’est notre capacité à apporter la preuve de leur fausseté. Libé, Le Monde, Le Soir…ne font que colporter, sans jamais vérifier, des informations cohérentes avec leur perspective antichinoise. Le dossier auquel je me suis attelé ces derniers mois avait pour objectif de montrer qu’en adoptant la méthode adéquate et en y consacrant suffisamment de temps, la vérification de l’information EST souvent possible. Les journalistes POURRAIENT faire leur travail.

J’ai donc analysé de façon exhaustive les affirmations d’Amnesty International quant à la situation des droits de l’homme en Chine. Je voudrais ici (1) partager la synthèse des résultats auxquels l’enquête m’a mené ; (2) proposer quelques éléments d’interprétation.

Mes articles s’inscrivent dans un ensemble plus large de travaux qui refusent de considérer comme des « évidences » les critiques – positives ou négatives – sur la Chine. Comme expliqué dans le premier épisode, l’évidence pose qu’il serait possible de se dispenser de toute preuve ; une telle position est irrationnelle et dangereuse en ce qu’elle prête le flanc à la manipulation et au mensonge. En fait, l’évidence pousse à une compréhension univoque du monde (du type, « la Chine, c’est le mal »). Or, comme le disait Gramsci (1983, p.89), « si une conception du monde est largement répandue, elle devient alors « sens commun », c’est-à-dire un ensemble de vérités indisputables et le constituant d’un groupe social homogène ». Le lien entre réalité et discours sur la réalité est brisé. Le discours devient propagande.

Je ne suis pas le seul à prendre le temps de l’analyse (voir par exemple, en français, l’excellent site TibetDoc ou la très bonne synthèse, en anglais, sur le Xinjiang et le rôle du World Uyghur Congress – une source ouvertement prochinoise et à considérer de façon critique comme telle). Un corpus d’articles similaires, classé par catégories thématiques, avait été construit de façon collaborative, mais il semblerait que Google ait censuré la page, comme le montre la capture d’écran ci-dessous. Ainsi, l’on voit que la censure n’est certainement pas l’apanage des gouvernements dits « dictatoriaux ». Toutefois, jusqu’à présent, la page censurée est encore accessible via l’Internet Archive Wayback Machine.

Les droits de l’homme en Chine selon Amnesty

Amnesty International a acquis, depuis sa création, une grande légitimité dans le monde occidental grâce à son travail de dénonciation des violations des droits humains partout sur la planète. Pour comprendre d’où viennent les conclusions auxquelles je suis arrivé ci-dessous, j’invite les lecteurices à consulter l’ensemble du dossier accessible directement sur mon blog. Au terme de cette analyse, que pouvons-nous conclure ?

  1. Amnesty International ne fournit des sources pour ses affirmations que dans de rares cas. Lorsqu’elles existent, ces sources sont essentiellement autoréférentielles : Amnesty cite ses propres recherches. En ce qui concerne la Chine, ses recherches se basent essentiellement sur des témoignages dont elle reconnaît qu’ils ne sont ni solides, ni représentatifs. L’absence de sources et de solidité des témoignages doivent inviter à suspendre notre jugement quant à ces affirmations, tout en reconnaissant que l’absence de preuves (quant à certaines violations des droits humains) n’est pas non plus une preuve de l’absence (de violations des droits humains).
  2. Amnesty International affirme « ne pas accepter de subsides gouvernementaux » sauf pour « certains projets spécifiques en matière d’éducation aux droits humains ». Par conséquent, factuellement, AI accepte des subsides gouvernementaux. Toutefois, elle ne précise ni combien elle reçoit, ni pourquoi elle se trouve dans la nécessité d’en accepter. Par ailleurs, nous savons qu’au moins le département d’État des USA finance Amnesty, ce qui est loin d’être anecdotique étant donné l’état des relations sino-états-uniennes.
  3. Amnesty use d’une série de procédés rhétoriques portant atteinte à une lecture éclairée de son analyse. On peut lui reprocher un manque total de précaution dans plusieurs de ses affirmations. Par exemple, elle affirme sans preuves que la Chine se livre à des attaques informatiques. Par exemple, elle accumule des dénonciations, en mettant sur un pied d’égalité des affirmations dont les niveaux de preuves sont pourtant incompatibles. Elle présente de bonnes nouvelles (par exemple les progrès environnementaux ou l’amélioration des droits pour les LGBTI) de façon négative. Elle pose comme certaines des affirmations qui sont seulement possibles et qu’elle n’a pu vérifier.
  4. Amnesty pratique toutes les formes de mensonge, si l’on envisage ce dernier comme un continuum.
    (1) Le mensonge pur et simple (par exemple que le document récupéré par l’ICIJ soutiendrait la thèse de torture et le lavage de cerveaux de prisonniers ouïghours),
    (2) la surinterprétation (par exemple lorsqu’AI dit que le Parti communiste chinois se place au-dessus du système judiciaire),
    (3) le mensonge par omission (par exemple sur la loi sur l’irresponsabilité des forces de l’ordre, sur le crédit social, sur le positionnement séparatiste du World Uyghur Congress, sur les liens entre certaines ONG chinoises et des ingérences étrangères, sur le nombre d’attentats islamistes en Chine et l’innombrable quantité de leurs victimes, sur le soutien massif des pays musulmans à la Chine lors de commissions onusiennes),
    (4) le cherry picking (par exemple en ne sélectionnant que ce qui sert son propos sur les droits LGBTI),
    (5) la répétition d’affirmations sans sources (par exemple en disant que les détentions extrajudiciaires seraient légalisées, que la Chine procède à des attaques informatiques de grande ampleur, que la Chine pratique la peine de mort intensivement),
    (6) la simplification outrancière (par exemple sur la sinisation des religions).

Rôle des ONG

L’ensemble du dossier a par ailleurs montré le rôle des ONG internationales (voir ici et ici) qui sont amenées à jouer le rôle de « sous-traitantes » dans un environnement concurrentiel (Hailey, 2000) et sont transformées en de simples « exécutantes » des politiques de leurs bailleurs de fonds (Bornstein, 2003).

Sous quelles conditions une ONG étrangère à un certain territoire pourrait-elle agir de manière éthique ? La réponse n’est pas si évidente qu’il y paraît de prime abord. Ainsi, faudrait-il dans un premier temps déterminer les valeurs défendues par les ONG dont il est question. Il est patent que les différences culturelles entre la Chine (où le collectif prime sur l’individu) et l’Occident (où l’individu prime sur le collectif) posent de sérieuses questions quant à la légitimité de l’action d’ONG occidentales en territoire chinois – à moins de considérer que seul.es nous savons ce qui est juste en termes de valeurs morales…tout en faisant le contraire de ce qu’on dit de façon systém(at)ique.

Un détour par l’histoire s’avère ensuite pertinent. Quand donc est-ce que les conséquences des financements étrangers à des ONG et/ou à des groupes d’opposition locaux ont-ils été à la hauteur des objectifs explicites poursuivis, voire n’ont tout simplement pas empiré une situation ? Que peut-on dire de toutes les « révolutions colorées » abondamment financées par les USA comme le montre Ahmed Bensaada dans son livre Arabesque$ ? Si de tels financements ne sont pas à même de répondre aux défis qu’ils se donnent, pourquoi faudrait-il encore les soutenir ? N’y a-t-il pas d’autres voies, notamment diplomatiques ? Ne devrions-nous pas alors commencer par regarder nos propres exactions ?

S’ils n’atteignent pas les objectifs explicites, quels sont les intérêts effectifs que servent ces ONG et ces financements étrangers ? Il est impensable que quiconque dépense autant d’argent sans, d’une façon ou d’une autre, en tirer bénéfice ou quelque forme de retour sur investissement. Dans bien des cas, y appliquer une grille d’analyse géopolitique s’avère utile, en rappelant par exemple la situation du Xinjiang qui regorge de matières premières sur lesquelles les USA se verraient bien avoir le contrôle en instrumentalisant le séparatisme dans la région.

Réserves de pétrole dans le monde

À la suite de l’effondrement du monde bipolaire, les États-Unis se sont retrouvés seuls pour diriger le monde. Depuis quelques années pourtant, il semble que le rapport de forces ait évolué vers un monde multipolaire où la Chine joue un rôle économique (et, de plus en plus, politique) essentiel. L’affaiblissement, par tous les moyens, de Beijing profite directement aux USA. Il n’est dès lors pas étonnant de les retrouver derrière pratiquement toutes les ONG favorisant le séparatisme des régions autonomes, critiquant la politique chinoise, etc. À l’origine de ces financements, on trouve régulièrement la NED (National Endowment for Democracy), qualifiée d’organisme-écran de la CIA par son ancien président Allen Weinstein.

Censure et lanceurs d’alerte

Dans ces conditions, la censure massive qu’impose la Chine à sa population prend un sens un peu différent. Côté pile, on ne peut qu’être très critique de ce que la plupart des cas de violations des droits humains évoqués par Amnesty ne sont pas abordés dans la presse chinoise (continentale du moins), même avec un discours qui aurait été au service de la perspective du pouvoir. Côté face, on est obligé de reconnaître que la campagne de désinformation, que l’on peut sans peine qualifier de propagande antichinoise extrêmement agressive mais formidablement orchestrée, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la politique intérieure chinoise et pour la stabilité du pays. Si toutes les fausses informations qui nous parviennent en Occident atteignaient de la même façon, sans filtre, ses 1 milliard 400 millions d’habitant.es, le gouvernement chinois prendrait le risque de voir se lever contre lui sa population – dans une forme d’insurrection semblable aux révolutions colorées dont on a vu qu’elles ne pouvaient atteindre leur pseudo-objectif « démocratique » (voir par exemple le site d’Ahmed Bensaada).

Chelsea Manning

À l’instar des USA (de Snowden à Assange en passant par Manning) et de l’Europe (Deltour, Halet, Pfeiffer, etc.), la Chine n’hésite pas à arrêter et condamner les lanceurs d’alerte. Toutefois, une position morale catégorique (au sens de Kant) a moins de sens qu’observer la situation concrète : par exemple, la condamnation pour divulgation de secrets d’État dépend d’une évaluation des coûts et des bénéfices d’une semblable « trahison ». Ainsi, je pense qu’il est salubre et même nécessaire que des crimes et exactions commis par des États soient rendus publics si et seulement si la sortie de cette information ne met pas en danger plus de monde que le silence – une position moralement insatisfaisante mais qui renvoie au principe du moindre mal.

On aurait pu aussi se demander ce qu’il en est de la liberté d’expression quand on a la confiance de la Chine. Par exemple en regardant les films documentaires de Jean-Michel Carré qui, au contraire du récent documentaire d’Arte, refuse de ne mettre en scène que des occidentaux travaillant à la solde de la NED ou de Soros mais donne la voix aux Chinois.es eux-mêmes – parmi lesquel.les on trouve des voix très critiques.

Droits des travailleurs

Parmi les informations révélées par Amnesty International, j’ai été amené à m’intéresser à l’expropriation d’ouvriers agricoles au profit de méga projets immobiliers, plus rentables, mais faisant courir le risque d’une  mise en danger de l’autonomie alimentaire. D’autre part, je n’ai pas été en mesure de confirmer ou déconstruire les affirmations adressant les atteintes aux droits des travailleurs. La question est toutefois cruciale dans la mesure où le parti communiste est supposé émaner du peuple et en garantir ses intérêts.

Parmi mes contacts, Ng Sauw Tjhoi a supervisé plusieurs visites pour la Belgique au syndicat unique ACFTU (Fédération panchinoise des syndicats) en République populaire. Comme il me l’a aussi suggéré, je vous conseille de lire cette synthèse du China Labour Bulletin qui résumerait assez bien la situation des droits des travailleur.euses. On y apprend que :

  1. Les employé.es peuvent ne pas avoir été payé.es, souffrir de problèmes de sécurité au travail, ne pas bénéficier d’une assurance, ne pas avoir de contrat, subir de la discrimination, etc. Ainsi, iels se trouvent opposé.es à leur employeur.
  2. Les employeurs privés ont pris de plus en plus de place depuis les grandes réformes notamment initiées par Deng Xiaoping. Les intérêts privés ont dès lors commencé à s’opposer aux droits des travailleur.euses, au nom de la performance économique…avec un parti communiste lui aussi amené à favoriser la croissance.
  3. Les syndicats sont autorisés mais, dans les faits, tous doivent être affiliés à l’ACFTU, laquelle sert les intérêts du parti plutôt que ceux des membres et fonctionne seulement comme une «courroie de transmission» vers le parti. Ainsi, toute tentative de création d’un syndicat indépendant sera considérée par le parti communiste comme une menace politique…et traitée en conséquence. Fonctionnant selon les principes de la méritocratie, l’ACFTU est un passage presque obligé vers une carrière politique.
  4. Les autorités locales sont censées assurer le respect du droit du travail dans leurs circonscriptions mais, dans les faits, elles sont plutôt laxistes, sous-financées, manquent de personnel et de capacités véritables à protéger les travailleurs, en particulier dans les villes plus petites et plus pauvres. Elles sont de surcroît prises dans des conflits d’intérêts qui les amènent à créer un environnement économique favorable au business plutôt que favoriser la protection des travailleur.euses.
  5. Dans ces conditions, des leaders d’opportunités apparaissent ponctuellement dans le cadre d’actions collectives, comme des grèves. Si le droit de grève a été retiré de la constitution en 1982, la grève n’est pas non plus légalement interdite. Les leaders de manifestation sont rarement inculpé.es et, s’iels le sont, c’est plus souvent pour trouble à l’ordre public plutôt que pour la grève en tant que telle.
  6. Si les actions collectives sont difficiles, il reste aux travailleur.euses à saisir le LDAC (Labour Dispute Arbitration Committee), ce qui permet dans la plupart des cas une résolution rapide des problèmes, essentiellement via une médiation plutôt que via un arbitrage. La charge de la preuve pèse alors sur l’employeur. Si le principe semble fonctionner adéquatement, on comprend toutefois qu’il ne s’agit que d’un pis-aller, une réponse individuelle à des problèmes pourtant systémiques.
  7. Des groupes de pression issus de la société civile ont également pu jouer le rôle des syndicats, mais ils sont victimes de répression– même s’il en existe encore qui agissent en concertation avec les autres parties.

On en conclut que la Chine, actuellement, n’a pu résoudre les problèmes intrinsèques liés au droit du travail – surtout dans le cadre d’une économie qui s’est ouverte au privé. Il en résulte qu’une majorité de travailleur.euses ne bénéficient toujours pas d’une croissance qui a pourtant vu une portion du Parti et des entrepreneur.es devenir riches de façon obscène. L’extrême inégalité a été en empirant ces dernières années. Le plus absurde est que tout ceci est malheureusement très cohérent avec ce qu’on connaît chez nous de l’économie de marché.

Éléments de comparaison

Vltchek disait que l’Occident utilise le concept des « droits de l’homme » de façon « ciblée » contre la Chine. La plus grande partie des accusations et des « faits » sont, pour lui, sortis du contexte de l’échelle mondiale (aujourd’hui et dans l’histoire). Seuls des points de vue et des analyses eurocentriques ont été appliqués. En effet, la question du droit du travail est-elle, par exemple chez nous, tellement différente de ce qui se passe en Chine ? Les reproches contre la Chine concernant son supposé impérialisme en Afrique ne peuvent-ils avant tout s’adresser à nos pays occidentaux qui ont prolongé le colonialisme par un néocolonialisme pernicieux mais tout aussi réel ? Les partis politiques et les syndicats ne sont-ils pas ici aussi « superficiellement pluralistes », en ce que les désaccords exprimés ne remettent fondamentalement en cause les paradigmes économiques et politiques dans lesquels ils s’inscrivent ?

Jusqu’ici, j’ai refusé la comparaison entre la Chine et l’Occident, car le fait que des crimes similaires existent ailleurs ne peut en rien justifier qu’ils soient commis en Chine. En revanche, c’est bien le caractère exceptionnel des « crimes chinois » qui doit être relativisé. Dresser un tableau similaire à celui de la Chine pour la France des gilets jaunes, à travers par exemple, l’énumération des violences policières est tout à fait sensé. De même que rappeler l’absence de résultats des manifestations contre la loi travail, Nuit debout, contre l’appauvrissement des services publics, etc.

Dénonciation des violences policières à Toulouse. Source : Libération

Faut-il rappeler que les USA, si prompts à dénoncer la Chine et à y opérer une abominable ingérence, pratiquent la peine de mort, et la torture dans des territoires hors-la-loi comme Guantanamo, ou que les thérapies de conversion quant à l’orientation sexuelle y sont monnaie courante ? Dans leur magnifique ouvrage « Jours de destruction, jours de révolte », Chris Hedges et Joe Sacco listent une série de statistiques propres aux USA qui font frémir (voir ci-dessous).

Pouvons-nous encore décemment nous dire : « Qu’importe si ce sont les USA qui financent la propagande antichinoise, puisque c’est une démocratie » ? Pouvons-nous encore décemment dire que la misère provoquée par un pays comme les USA est « moins grave », que ses bombes sont moins hostiles, ses crimes plus acceptables, sa destruction de l’environnement plus raisonnable, ses lanceurs d’alerte moins dignes, son racisme moins horrible, etc. parce qu’on a donné à ce pays l’étiquette absurde de « démocratie » ? Quel sens cela a-t-il encore ?

Quant à l’Union européenne, elle ne vaut guère mieux. C’est en Grèce, berceau de la sacro-sainte « démocratie », qu’aujourd’hui l’on tolère, par exemple, des atrocités telles que celles se déroulant sur l’île de Lesbos. Et, dans ce cas, contrairement aux fameux « camps de Ouïghours », les preuves non seulement existent mais elles sont accablantes – on traite les animaux avec plus d’humanité.

Chine, et outre les droits de l’homme ?

Enfin, les articles de mon dossier ne s’attachant qu’à la question des droits de l’homme, d’autres données bien différentes sont passées sous silence. Alors que nous observons une énième fois le coronavirus qui reprend de la vigueur en Europe, la Chine semble s’en être débarrassé avec organisation, rigueur et solidarité. Une vraie leçon que même la propagande occidentale n’arrive pas à étouffer.

Je vous invite à lire cet article pour comprendre aussi comment la Chine a doublé l’espérance de vie de sa population et pour comprendre ce qu’est leur couverture santé au regard de celle de la « démocratie » états-unienne. On aurait pu parler d’augmentation du niveau de vie, de prouesses technologiques, d’enseignement, de couverture sociale, de réduction de la pauvreté, de progrès scientifiques et de collaboration entre chercheur.euses chinois.es et à l’international, etc. Nous n’avons abordé que les sujets sur lesquels l’Occident est critique : un cadrage bien particulier qui favorise « l’accusation ».   

Conclusions

Dans mon premier article sur la Chine, j’évoquais le cas d’Étienne Chouard qui déclarait (42’) à propos de doutes éventuels sur les chambres à gaz : « Ce n’est pas mon sujet, je n’y connais rien ». Dans ce débat sur Le Média, on se trouve dans la situation classique où l’interviewé est sommé de condamner une évidence (comme l’explique le Stagirite dans une vidéo à partir de laquelle je construis mon analyse ci-dessous). Il s’agit d’une forme de procédé rhétorique s’apparentant à un empoisonnement du puits où l’on est implicitement accusé avant même d’avoir prononcé un mot.

Dans le cas de la Chine, lorsqu’on me dit : « Condamnes-tu cette dictature ? », je me trouve dans une situation similaire où tout ce que je pourrai répondre sera lu à partir de la perspective de la suspicion originelle. Exit l’explicitation des fausses informations et de la propagande, exit la mise en comparaison avec d’autres pays, exit le contexte géopolitique…seule « l’évidence de la dictature chinoise » devrait suffire et toute parole supplémentaire n’ajoute qu’à la suspicion.

Toutefois, il y a une grande différence entre Chouard qui ne « se prononce pas sur les chambres à gaz » et moi qui questionne « l’évidence criminelle » de la Chine. Personnellement, mes doutes quant aux informations d’Amnesty sur les droits de l’homme en Chine provenaient de connaissances antérieures de situations similaires, considérant qu’à conditions égales, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ainsi, si l’Europe et les USA ont menti sur le Tibet (voir par exemple le site Tibetdoc ou le livre de Maxime Vivas « Pas si zen »), il est possible que les mêmes mentent sur le Xinjiang. Il est alors rationnel, dans un premier temps du moins, de suspendre son jugement.

Cela implique d’ailleurs d’éviter toute expression publique de ce doute tant qu’il n’est pas informé. Et il peut l’être (1) soit en cherchant des preuves existantes – dans un sens ou dans l’autre – (on ne peut pas tout connaître par soi-même et, sur ce point, je renvoie à un article, aussi relayé par le Stagirite, sur la dépendance épistémique) ; (2) soit en faisant soi-même le travail de recherche. En effet, puisque ma position est hétérodoxe, la charge de la preuve me revient. C’est tout à fait normal : quand Einstein a remis en question la physique newtonienne faisant pourtant consensus, on attendait de lui non pas des affirmations en l’air mais bien une rigoureuse démonstration (je ne me compare pas à Einstein, hein ;)).

Je me suis donc saisi de ce devoir de recherche et c’est la raison pour laquelle mon dossier est aussi long… Ces deux démarches, Chouard ne les a pas entreprises : non seulement il a émis des doutes en dépit de travaux solides d’historiens, mais il n’a pas non plus effectué un travail de mise à niveau personnelle – ce qui rend l’expression publique d’une opinion controversée particulièrement insultante pour les victimes et leur descendance.  

Quant à moi, je conclus ici plusieurs mois de travail acharné, à lire des articles, traduire, lire et recouper les sources de ces articles, à remettre en question les « évidences », à remettre en question mes propres parti-pris, à engranger de la connaissance, apprendre, faire preuve d’humilité face à un dossier éminemment complexe. Au final, j’ai accumulé la matière pour un livre entier. Au terme de ce travail, je prends une nouvelle fois conscience de ce que chacun des partis en guerre a intérêt à désigner l’autre comme l’ennemi – comme l’aurait dit Desproges : « L’ennemi est bête, il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui. »

Bien sûr, il est impossible que chacun.e d’entre nous procède à un tel travail de déconstruction. Sommes-nous donc condamné.es à croire de fausses informations ? Je pense en tout cas qu’il est nécessaire de (1) connaître l’histoire et les désinformations du passé ; (2) repérer les mécanismes dans la construction des fausses infos et les intérêts des parties en présence ; (3) suspendre son jugement jusqu’à consultation de preuves explicites, rationnelles et convaincantes ; (4) acquérir des réflexes de critiques des sources.

Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons être mieux armé.es face aux mensonges de demain, qu’ils concernent la Chine ou tout autre pays non aligné sur les intérêts occidentaux.


Je remercie du fond du cœur toutes les personnes qui m’ont aidé dans la constitution de ce dossier : mes ami.es chinois.es en Belgique, des Européen.nes expatrié.es en Chine, mon réseau hyper efficace de militant.es, le travail colossal des vulgarisateurices scientifiques sur Youtube, tou.te.s les auteurices que j’ai pu lire, mon amoureuse qui m’a soutenu au long de ces derniers mois, les personnes qui m’auront fait des feedbacks rigoureux et, bien sûr, les quelques tipeurs qui me soutiennent via un pourboire.

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