Analyses

Changement climatique : pourquoi on ne se bouge pas?

Il y a un dilemme que j’adore : le dilemme dit « du prisonnier ». Je l’adore parce qu’il illustre à merveille, à mon avis, des situations dans lesquelles l’intérêt individuel est opposé à l’intérêt collectif. Le dilemme met en scène l’histoire suivante : deux voleurs complices se font attraper. Les interrogeant séparément, la police fait à chacun la proposition suivante : si tu dénonces l’autre, tu seras libre ! Mais si vous vous dénoncez mutuellement, vous en prendrez pour dix ans. Enfin, dans le cas où les voleurs sont solidaires, la police manquant de preuves…ils n’en prendront que pour deux ans. Quel choix les voleurs devraient-ils faire ?

Le dilemme peut se visualiser sous la forme du tableau suivant :

prisonnier

On voit bien que collectivement les voleurs ont intérêt à être solidaires. Mais individuellement, ils ont intérêt à trahir… Aujourd’hui, je vais adapter ce dilemme du prisonnier aux actions que l’on peut entreprendre pour enrayer le changement climatique. Vous allez voir que ça permet de montrer très facilement pourquoi, en fait, on ne se bouge pas…

prisonnier2

Que comprendre ?

Le tableau montre très clairement que chacun d’entre nous a intérêt à être dans la situation 2, la situation dans laquelle on ne se bouge pas et où on attend que les autres se bougent pour nous. En effet, on tire tous les bénéfices des luttes accomplies par les autres collectivement sans devoir dépenser d’énergie ni prendre de risques pour soi-même. D’autant qu’à court terme, on reste dans son confort, on ne perd pas en pouvoir d’achat.

Le problème, évidemment, c’est que comme (ou « si », selon que vous êtes optimiste ou pas) chacun agit égoïstement de la même façon, la situation 2 n’est qu’une illusion : elle se transforme nécessairement en la situation 4 où il n’y a plus de collectif pour lutter…mais seulement des individus qui profitent des dernières miettes de pain. À ce jeu, les plus faibles trinquent les premiers : les pauvres venant d’ailleurs qui sont les premiers exposés aux cyclones et autres montées des eaux, et les pauvres d’ici qui n’ont pas les moyens de payer tous les coûts qu’impliquent le changement climatique. À moyen et à long terme, tout le monde est évidemment perdant puisque le changement climatique n’est pas enrayé. La situation 2, c’est-à-dire la meilleure individuellement, se transforme donc nécessairement en la pire collectivement.

Toutefois, les individus sentent bien qu’il y a une arnaque : s’ils n’agissent pas égoïstement et se bougent localement, à leur échelle (à l’échelle prônée par les Rabhi, les Dion et consorts), ils sentent qu’ils vont se retrouver dans la situation 3, c’est-à-dire celle qui est la pire individuellement. Je ne parle pas ici des bobos qui ont les moyens de vivre « zéro déchets » et d’acheter tout bio-local (tout en enchaînant les city-trips à Barcelone), mais je parle de la vraie classe moyenne, les gilets jaunes pour qui il en coûte vraiment de faire des efforts. Eux perdront tout. Non seulement les efforts consentis individuellement ne changeront rien au climat, mais en plus ils perdront directement leur confort, leur pouvoir d’achat et le reste ! Ce qui permet de comprendre pourquoi le mouvement des gilets jaunes a démarré sur une question comme celle du prix de l’essence : ils étaient conscients que ça les mettait, contraints et forcés, dans la situation 3, celle où l’impact sur le climat était nul mais l’impact sur leur portefeuille était énorme.

Il en résulte que seule la situation 1 est profitable. C’est la meilleure collectivement. Certes, nous perdrons tous notre confort et du pouvoir d’achat. Certes, il faudra être dans la lutte, prendre des risques, se faire violence.

Notons qu’agir collectivement signifie avant tout agir sur les structures, sur les causes du changement climatique. Ainsi, par exemple, si l’on considère que l’industrie, l’agriculture et les transports concourent à près de 80% des émissions de gaz à effets de serre en Belgique, c’est bien sur ces leviers-là qu’il faut agir. Et impossible de le faire en restant dans le système capitaliste, puisque ces secteurs en sont directement conséquents.

Ce n’est pas en vain que l’on rappelle qu’historiquement seuls les mouvements collectifs ont permis de changer les règles des systèmes défaillants. À garder en tête les prochaines fois que nous serons en colère à cause d’une grève ou d’un rond-point bloqué, alors que nous faisons partie des « traîtres » de la situation 2…ou des « naïfs » de la situation 3.


N’hésitez pas à commenter ci-dessous et à partager sur les réseaux sociaux, si vous pensez que le blog mérite d’être lu.
Vous pouvez également soutenir mon travail sur Tipeee.


Sur le même sujet, lire aussi :
Ma critique du film « Demain »,
Ma critique du film « Après Demain »,
Un dialogue sur les choix à poser entre autonomisme, réformisme et révolution.

Par défaut

5 réflexions sur “Changement climatique : pourquoi on ne se bouge pas?

  1. jojo dit :

    Bonjour. Les fondamentaux de l´économie c´est l´argent contrôle tout l´économie, la politique, etc donc aussi la science. Lorsque les marchés sont saturés il faut détruire pour pouvoir revendre. une bonne guerre, obsolescence programmée ou la connerie du réchauffement climatique car il faut détruire les anciennes centrales qui sont déjà payées et en construire des nouvelles! La pire des intox c´est l´énergie éolienne et le photovoltaique car elles ne sont pas compatible avec le réseau électrique. Essaye de prendre l´ascenceur ou le métro lorsqu´un nuage passe devant le soleil ou le vent s´affaisse? Donc il faut garder des centrales classiques en réserve qui ne doivent fonctionner que lorsque l´éolien et le photovoltaique ne fonctionnent pas ou peu. Tuer l´écologie au nom de l´écologie, voilà le refrain des ignares qui sont convaincu de sauver leur planète. Les banques se frottent les mains face à une telle occasion d´avoir trouver le perpetum mobile des gains. Même la banque mondiale le reconnait la transition énergétique aggrave les problèmes environementaux eh oui c´est le but de la manoeuvre! Salutations.

    J’aime

  2. Une analyse des plus singulières menée à l’aide du fameux dilemme du prisonnier. En prenant connaissance de cette perspective, on voit mieux le nœud de certains problèmes. Du coup, ceux qui passaient, à certains égards, pour les ennemis des efforts menés pour l’atténuation du changement climatique apparaissent clairement comme les premières personnes sacrifiées pour arriver à ces objectifs.
    Comme quoi, revenir sensiblement à l’état de nature alors qu’on a toujours vécu dans le confort de l’état de culture demande d’importantes concessions qui ne feront qu’accabler davantage les plus défavorisés si rien n’est fait pour les épauler. Ce qui me ramène à la réflexion que vous avez déjà menée sur la question de l’égalité.

    Cela dit, merci pour cet apport!

    J’aime

  3. Benoit P. dit :

    Dans leur livre « L’entraide, l’autre loi de la jungle », P. Servigne et G. Chapelle consacrent un morceau de chapitre sur l’inaction face au changement climatique selon cette grille de lecture (qu’ils n’évoquent pas explicitement comme ici), à la différence près que les prisonniers sont dans leur analyse les Etats et que le jeu se joue à l’échelle du monde entier.
    Je trouvais leur analyse particulièrement éclairante car le problème revêt une dimension systémique, à l’échelle mondiale, et nécessite une coopération de même envergure pour trouver une issue favorable.
    Cela dit, il me semble que cette analyse ne prenait pas en compte le verrouillage technologique (l’incapacité à dépasser le système ou s’en extraire) auquel sont soumis les pays, tous pris au piège du système.
    Je vous en recommande la lecture car c’est à ma connaissance le seul article qui abordait cette question de la sorte.

    J’aime

Laisser un commentaire