Analyses

Émeutes à Bruxelles : vite, plus de répression !

Les Paradise Papers ou le financement de Daesh par le groupe Lafarge d’Albert Frère ont vite été relégués au second plan. Pas assez sexy. Pas assez esthétique. LA véritable et seule légitime info de ces derniers jours ? Les émeutes à Bruxelles.

Le discours médiatique a été tout en nuances. Pas la place ici pour en faire l’inventaire exhaustif, je ne retiens qu’une ou deux formules « chocs » : celle du SLFP (syndicat des policiers) déclarant, je cite, que « les jeunes doivent à nouveau avoir peur de la police », celle de notre vice-Premier ministre (notez qu’il y a « vice » dans son titre !) Jambon qui voit dans les émeutes non un incident mais le développement d’un « cancer », volonté politique d’un « plan d’action répressif », appel à la « tolérance zéro », l’affirmation que le temps où « on gâte la jeunesse » est terminé, etc. Ce discours-là a, de plus, été renforcé par un autre discours : celui de Bruxellois partageant – on le suppose- les mêmes origines socio-culturelles (mais pas forcément économiques…) que les fauteurs de trouble et qui ont vivement condamné les émeutes, telle la carte blanche publiée dans Le Soir par Sammy Mahdi, Président des Jeunes CD&V ou la vidéo Facebook de Morad Essebar.

riots

Émeutes à New-York

Il y a toujours le même schéma. Derrière l’expression : « pas d’excuses », on refuse souvent les explications. Pourquoi ? Parce que ces dernières sont toujours plus nuancées que ce qu’on voudrait et parce que, conséquemment, les réponses ne sont jamais aussi simples qu’un appel à la répression. Disons-le directement : aucune étude n’a été en mesure de prouver que la « tolérance zéro » avait une quelconque incidence sur la diminution de la récidive, comme le rappelait Charlotte Vanneste (ULg). Voilà, c’est dit. On peut passer aux choses sérieuses.

Adolescence et psychologie sociale

Doit-on vraiment rappeler les changements hormonaux chez les adolescents ? Doit-on vraiment oublier si facilement les propres débordements auxquels on s’est livré dans notre adolescence ? Peut-on faire fît, parce que ça nous arrange, des effets de groupe pourtant très bien décrits par les psychologues sociaux depuis les années 50 ? Par exemple, l’expérience de Ash a mis en évidence le conformisme dans un groupe, c’est-à-dire la probabilité que si un abruti fait n’importe quoi, les autres suivront comme des moutons. Mieux, Ash a mis en évidence les facteurs qui renforçaient cette tendance préexistante. On y lit que l’ambiguïté du stimulus a un effet puissant sur les individus qui ne se sentent pas compétents et qui ont alors tendance à suivre le groupe ; la taille, l’unanimité et l’attrait du groupe ainsi que sa cohésion et le besoin d’affiliation renforcent encore le conformisme.

Bien. À partir de ces éléments, serait-on en droit de penser que le contexte sociétal d’exclusion des familles d’origine immigrée est exacerbé par des hormones adolescentes trouvant à s’exprimer dans une cohésion de groupe particulièrement singulière après un match de foot qui voit mettre à l’honneur une population se sentant par ailleurs marginalisée ?

Des émeutes sociales ?

En 2005, lors des révoltes en banlieue parisienne, le politique et les intellectuels à la Finkielkraut s’étaient efforcés d’y voir la marque religieuse[1]. Pure manipulation, il s’agissait d’occulter le caractère social de ces dernières, provoquées par la mort de deux adolescents. Quelques années plus tôt, dans son célèbre titre « Qu’est-ce qu’on attend ? », puis dans « Odeur de soufre », le groupe de rap NTM expliquait sans concession : « Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? Juste d’être un peu plus nombreux. Car y’a beaucoup plus de oufs, que d’odeur de bouffe, dans les quartiers de ceux qui souffrent, y’a comme des odeurs de soufre ». Alors, 2017, c’est la version bruxelloise de 2005 ? Ce serait trop facile. Écoutez Vargasss92, le Youtubeur et « star » de Snapchat suite à la visite duquel la seconde émeute a éclaté ! Pas besoin d’un doctorat pour comprendre que son discours est singulièrement vide. Pire, même…

Le tort serait pourtant de croire que l’absence de discours raisonné signifie l’absence de raison. L’expression de la violence n’ayant plus de contenu, c’est la violence elle-même qui devient le contenu de son expression. La violence pour la violence. D’où une difficulté pour la pensée critique : comme défendre une parole qui n’a rien à dire ?

Je vois là la grande victoire d’un système qui a ôté jusqu’à la faculté de penser sa propre condition. Une aliénation particulièrement puissante qui rend aveugle aux yeux mêmes des révoltés le motif de leur révolte. L’impossibilité de formuler une pensée est précisément le projet du Novlangue tel qu’imaginé par Orwell dans 1984 : « Comparé au nôtre, le vocabulaire novlangue était minuscule. On imaginait constamment de nouveaux moyens de le réduire. Il différait, en vérité, de presque tous les autres en ceci qu’il s’appauvrissait chaque année au lieu de s’enrichir. Chaque réduction était un gain puisque, moins le choix est étendu, moindre est la tentation de réfléchir. » Cette définition décrit à merveille les discours d’un Vargasss92 et, en ce sens, on comprend que ce dernier travaille main dans la main avec un système dont l’incapacité de réfléchir est une victoire puisqu’elle permet le plébiscite d’une répression très utile lorsqu’il s’agit de faire taire…ceux qui pensent encore !

Des facteurs objectifs de la révolte

Pourtant, il y aurait bien des raisons de se révolter. Puisqu’il s’agit ici essentiellement de confrontations avec la Police, faut-il rappeler les accès de violence de cette dernière, répertoriés par Obspol, le laboratoire lié à la Ligue des Droits de l’Homme? En outre, le chômage des jeunes issus de l’immigration demeure irrévocablement haut et, en miroir, les emplois que les autres occupent sont parmi les moins valorisés. La discrimination à l’embauche persiste au point où un ami avait changé son nom sur son mail pour éviter la consonance arabe. Ceci favorise l’établissement d’économies parallèles qui ne font que reproduire à une échelle plus petite la loi de la jungle capitaliste – surtout lorsque le business est celui de la drogue ou des electros volés. La discrimination au logement est généralisée, là encore renforçant des circuits parallèles où des vendeurs de sommeil se sucrent allègrement sur le dos de familles exploitées. La scolarité est éminemment injuste, ces jeunes étant relégués dans de « mauvaises écoles » là où les enfants des classes supérieures fréquentent Saint-Michel. Le contenu des cours est en plus stigmatisant, les profs étant nourris – à leur corps défendant – aux mamelles médiatiques répétant à l’envi les mêmes sornettes sur leur religion ou leur culture.

Bref. Impossible ici de dresser un portrait complet des causes objectives de la révolte, mais ce simple aperçu donne la mesure de ce qu’une pensée articulée pourrait très bien trouver, dans l’action directe, la voie de son expression. Au contraire de cela, les émeutes des jeunes étaient politiquement vides. Donc inutiles. Donc pire qu’inutiles : dommageables à leur potentielle finalité objective.

 Sources

[1] https://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20091009.OBS4100/alain-finkielkraut-en-2005-l-interview-polemique-a-haaretz.html

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3 réflexions sur “Émeutes à Bruxelles : vite, plus de répression !

  1. Pingback: #5 Revue de presse | Le blog du radis

  2. Pingback: #8 Revue de presse (Carrefour) – 26 janvier 2018 | Le blog du radis

  3. Sébastien dit :

    « La discrimination à l’embauche persiste au point où un ami avait changé son nom sur son mail pour éviter la consonance arabe. »
    -> C’est une pratique courante je pense et effectivement, le changement de nom a un effet « magique » ! C’est d’une tristesse… à vomir !

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